François Leclerc
Certaines réactions aux récents épisodes de la crise actuelle, s’appuyant sur la conviction que l’oligarchie financière est décidée à tout pour conserver son pouvoir, prennent pour acquis que celle-ci a déjà gagné, et qu’elle va pouvoir recommencer ses affaires comme avant. Que nous sommes condamnés à apurer son passif, puis à en faire à nouveau les frais. En d’autres termes, que le pire nous est garanti.
Certes, il n’est pas impossible que cela se termine ainsi, mais n’est-il pas un peu prématuré de le décréter déjà, comme si la boucle était déjà bouclée ? L’histoire n’est pas finie, on n’a pas encore tout vu.
L’embellie boursière que l’on enregistre actuellement, une sorte de feu de paille, n’est pas destinée à durer et ne durera pas. Elle prépare même des lendemains qui déchantent pour ceux qui ne se retireront du jeu pas à temps. Les discours sur les signes incontestables de la reprise à venir vont quant à eux s’user, à force d’être prononcés sans que celle-ci n’intervienne. Une inflexion est déjà perceptible dans les discours, mettant l’accent sur la longueur de la crise. Enfin, et surtout, les actifs toxiques ne vont pas comme par enchantement prendre des couleurs, libérant d’autant les banques, hôtes de ces encombrants invités.
Tout au contraire, le poids de la crise économique va peser plus encore sur les établissements financiers. Les banques vont-elles pouvoir continuer à surfer sur la crise, seules en bonne santé dans un environnement de malades, en s’alimentant uniquement sur des dépouilles ? Les actifs toxiques vont continuer de paralyser le système bancaire, les banques centrales les tenant toujours à bout de bras, mais pouvant un jour devoir se retourner vers les Etats, afin de soulager leurs bilans déséquilibrés par des contreparties qu’elles acceptent sans sourciller, de plus en plus douteuses. Les banques centrales, dont la BCE désormais, vont continuer de battre monnaie, se substituant de plus en plus largement au système bancaire afin de tenter de soutenir l’économie. Des recapitalisations bancaires seront à nouveau nécessaires, ainsi que l’adoption de nouvelles mesures de soutien et de relance, accroissant les déficits des Etats et leur dette, amenés à la financer, ou la refinancer, à des taux de plus en plus élevés. Le FMI et ses collègues institutionnels vont être de plus en plus sollicités par certains Etats au bord de la banqueroute, et il faudra leur trouver de nouveaux relais de financement pour y faire face.
Il va falloir se rendre à l’évidence : quand bien même la question des actifs toxiques serait réglée (elle est loin de l’être), l’absence d’un moteur mondial de la croissance resterait entière. Ni la consommation des classes moyennes américaines, dont il était fait si grand cas, ni celle des paysans chinois, dont on voudrait bien qu’elle prenne le relais, ne vont être demain ou après-demain au rendez-vous. Les calculs qui sont actuellement faits sur cette base n’y résisteront pas, la machine ne repartira pas ainsi.
Voilà ce qu’a déclaré, sur la chaîne publique de télévision PBS, vendredi soir dernier, Tim Geithner, secrétaire au Trésor : « Les choses se stabilisent un peu. Les marchés financiers vont légèrement mieux, les taux d’intérêt ont baissé, les marchés du crédit se rouvrent, et c’est un début important aussi ». Il est « important de se concentrer sur ce qui s’améliore ». Interrogé sur la possibilité que la reprise économique soit très tardive, il a répondu : « C’est le risque. Les économistes s’inquiètent généralement qu’une récession qui arrive après une période où les gens ont trop emprunté, où les banques ont pris trop de risques, provoque une reprise plus lente, plus longue, parce qu’il va falloir que les gens réduisent leur dette, et ils vont devoir épargner plus ». Tout en affirmant « Mais nous allons faire tout ce que nous pouvons pour nous assurer que nous revenons sur les rails ». Il n’est pas nécessaire de lire entre les lignes, il faut « se concentrer sur ce qui s’améliore », car pour le reste…
Un programme très chargé attend en effet le Trésor, le FDIC et la Fed. A partir de juin, de premiers programmes tests d’achat d’actifs toxiques, prêts immobiliers et produits dérivés notamment, devraient être comme annoncé, lancés. Une échéance qui va précéder la date butoir de la période au sein de laquelle les banques déclarées dans le besoin doivent se recapitaliser. Toute une palette d’autres mesures seraient également à l’étude, afin de soutenir en premier lieu les compagnies d’assurance et les municipalités, très éprouvées, mais également les écoles, les hôpitaux et le « small business », en leur permettant de contracter des prêts à moindre coût. Les enveloppes et les modalités ne sont pas encore connues, mais ces nouveaux programmes vont mettre à nouveau à contribution les fonds publics, directement ou indirectement. Sans qu’il soit nécessaire de rappeler le dossier de l’industrie automobile, qui est loin d’être refermé. Nul ne peut dire quand cette course poursuite va trouver sa fin, ni ce qu’elle sera.
En Europe, il commence à être admis, mais du bout des lèvres, que les banques y sont peut-être encore plus cachottières que leurs consœurs américaines. Il va bien falloir prendre à bras le corps leur situation, la relance américaine n’intervenant pas, l’espoir que de nombreux actifs plombés reprennent prochainement de la valeur s’évanouissant. A la différence des Etats-Unis, la dégringolade des banques n’a pas été brutale, en chute libre comme vient de le dire Joseph Stiglitz. Les situations qui étaient les plus alarmantes ont été déjà affrontées dans l’urgence. Il était possible de prendre son temps pour voir venir, pensait-on. Va-t-il pouvoir longtemps encore en être ainsi, alors que le système bancaire allemand ou français donne des signes prononcés de faiblesse ? Alors que la situation britannique est alarmante et que de nombreux pays de l’Est sont extrêmement fragilisés ?
Nous sommes entrés dans l’acte II de la crise, sans que cela soit encore annoncé. Il va devoir être reconnu petit à petit que la crise sera plus longue que prévu et que l’on risque même de s’y installer un peu. Ses effets vont alors se faire de plus en plus ressentir. Leur traduction sociale et politique également. Dans ces conditions, il n’est pas exclu que certains, au pouvoir, soient amenés à agir autrement et plus loin qu’ils ne l’auraient voulu, que d’autres, dans l’opposition, le soient aussi en ce qui concerne leurs intentions. Les uns et les autres un peu poussés par les circonstances, et beaucoup par les réactions auxquelles ils devront faire face. Cela s’est déjà vu.
Blog de Paul Jorion - 10.05.09
À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.
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