Économique, sociale, écologique et morale, la crise du capitalisme est totale. Créé par l’homme, ce système est en train de se retourner contre lui comme les puissances maléfiques se retournent contre leurs magiciens. Les hommes et les femmes, qui ont fait et font leur histoire, paraissent, déroutés, désenchantés et dépassés. Ils assistent impuissants à leur lente destruction ainsi que celle de leur environnement. Ils constatent effarés, malgré l’idéologie dominante qui tente de masquer la réalité, les ravages du capitalisme. Mais les hommes qui ont produit ce système sont également capables de se dresser contre lui et le dépasser.
« Tous les indicateurs arrivent au même résultat : la crise est beaucoup plus profonde que prévu » titrait le journal Le Monde (1). Parmi ces indicateurs la destruction d’emplois par les entreprises qui licencient à tour de bras demeure la première et la plus angoissante de toutes les préoccupations. Plans de restructuration, plan sociaux, chômage partiel, chômage technique et chômage tout court, cette richesse dans le vocabulaire masque une misère insoutenable pour des millions d’hommes et de femmes. Suicides, dépressions, désespoirs, angoisses et souffrances sont les conséquences directes de cette crise.
Dans ce système, l’individu est réduit à l’état de marchandise qui se vend et s’achète sur le marché du travail. Thomas Hobbes dans son Léviathan disait « la valeur d’un homme, son estimation, est, comme pour toutes les autres choses, son prix, c’est à dire exactement ce qu’on en donne pour l’usage de sa force » (2). On peut ajouter pour l’usage de sa force de travail. Mais celle-ci, la seule qui intéresse le capitaliste, est soumise aux aléas de l’économie. On peut donc s’en passer lorsque son usage devient inutile. On la jette comme on a jeté les salariés de la Camif, de Texas Instruments, de Sanofi, de la Redoute, de Total, de Sony, de Continental, de Rhodia et tous les licenciés de toutes les entreprises et de tous les pays. Le salarié, c’est à dire le producteur et tout ce qu’il représente, est ainsi réduit au prix de sa force de travail. Le capitalisme méprise l’homme, le rabaisse à l’état d’article de commerce. Il est nié, il n’a pas de place dans ce système. Seule compte la réalisation maximale du profit. L’homme est ainsi amené, par ce processus de déshumanisation, à servir l’économie dont il n’est finalement qu’un simple rouage.
Un système qui méprise l’homme ne peut respecter la nature.
La course effrénée au profit, le fonctionnement même de ce système sont en profonde contradiction avec la nature. Les problèmes écologiques sont donc inséparables du mode de production capitaliste. Celui-ci est basé sur l’exploitation de l’homme et de la nature : « La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse ; la terre et le travailleur » (3).
L’homme évidemment fait partie de la nature tout en se distinguant d’elle. Il la transforme pour satisfaire ses besoins. L’homme par son activité transforme les matières fournies par la nature pour les rendre utiles à son propre usage. Mais dans le système capitaliste, la transformation de la nature n’a pas pour objet la satisfaction des besoins humains par la création des valeurs d’usage (valeur utile), mais la production de marchandises destinées à être échangées entre elles (valeur d’échange) pour réaliser un profit maximum. Il faut préciser que le profit est non seulement la raison d’être de ce système, mais aussi une fin en soi. Le procès de production peut donc se répéter à l’infini. Or les ressources naturelles ou tout du moins une partie d’entre elles sont finies.
Les problèmes écologiques sont intimement liés au mode de production capitaliste. Ce n’est pas un hasard si les patrons des secteurs, entre autres, de la chimie, de la construction automobile, de l’agroalimentaire, de la pêche industrielle, etc. sont systématiquement et farouchement hostiles à tout accord sur l’environnement mettant en cause, même partiellement, leurs marges bénéficiaires.
Détacher ces problèmes de leur contexte économique, social, et historique est une chimère et par-dessus le marché une absurdité.
Aucune conférence, aucun accord, aucun forum, aucune convention ni aucun protocole ne peut mettre fin au « massacre » de l’environnement sans remettre en cause le système lui-même. C’est ce qui explique d’ailleurs, et dans une large mesure, l’échec de ces rencontres et engagements internationaux. Le dernier en date est le Forum mondial de l’eau qui s’est achevé à Istanbul le 22 mars 2009. Ce Forum a réuni 25 000 participants de 192 nationalités. Tout le monde ou presque était présent : entreprises privées, délégations ministérielles, ONG, organisations internationales, associations agricoles etc. etc. Eh bien tout ce beau monde, après de longues palabres, a laissé derrière lui une déclaration finale qui satisfaisait les participants, mais vide de tout sens. Un échec de plus ! (4). Il y aura d’autres protocoles, d’autres accords, d’autres rencontres et... d’autres échecs.
Le « développement durable » ou « soutenable » n’est, lui aussi, qu’un gadget qui permet de faire durer le système et de le soutenir. L’ancien PDG de Renault, Louis Schweitzer, ne déclarait-il pas dans le mensuel Enjeux Les Echos en décembre 2004, « le développement durable n’est ni une utopie ni même une contestation, mais la condition de survie de l’économie de marché ». Par économie de marché il faut entendre le capitalisme. Il n’est qu’un simple slogan publicitaire rentable pour les entreprises.
En crise totale, le capitalisme donne et continue à donner de belles leçons à celles et ceux qui cherchent encore dans ce système une quelconque morale. Il suffit de voir dans quel état de déconfiture et de faillite sont toutes les valeurs de la bourgeoisie aujourd’hui sans revenir aux guerres terribles, aux crimes innombrables et aux scandales multiples du passé. Des principes comme la démocratie, les droits de l’homme, la séparation des pouvoir, la liberté de la presse etc. s’effondrent les uns après les autres sinon en théorie du moins dans la pratique (5).
Le capitalisme foule aux pieds chaque jour qui passe toute la morale bourgeoise c’est à dire cette immense hypocrisie parée de toutes les vertus. Or comme disait Aristote il y a très longtemps « la richesse, loin d’être la récompense de la vertu, dispensait d’être vertueux » (6).
La crise économique a fait sortir de l’ombre les pratiques les plus sordides et les a projetées dans la lumière la plus éclatante. Parachutes dorés, retraites chapeau, actions gratuites, primes, bonus et autres stock-options sont ainsi distribués allègrement aux dirigeants des entreprises en contre partie des licenciements des salariés et des millions voire des milliards d’euros offerts généreusement par le gouvernement Sarkozy !
Au moment même où des millions d’hommes et de femmes criaient leur colère dans la rue contre le chômage et la baisse de leur pouvoir d’achat, fruit de la politique de classe de ce gouvernement, l’Assemblée nationale a reconduit pour 2009 le bouclier fiscal et a écarté toute taxation des hauts revenus. C’était le 19 mars 2009, le jour de la grève générale !
Il faut préciser que les contribuables les plus riches (patrimoine de plus de 15,5 millions d’euros), ont reçu au titre de 2008 comme restitution d’impôt, grâce à ce bouclier fiscal, un chèque moyen de 368 261 euros du fisc (7). Mais ce bouclier n’est qu’un cadeau pour les riches parmi tant d’autres. La loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi « TEPA » ou « paquet fiscal » prévoit d’autres offrandes à « la divinité patronale » : diminution de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), allègement des droits de succession etc. Concernant l’ISF, le gouvernement s’achemine progressivement vers sa suppression purement et simplement (8).
La fraude fiscale n’est pas en reste. Total, Michelin et Adidas font l’objet d’une enquête pour blanchiment de fraude fiscale. Selon Le Parisien, ils possèderaient des « comptes au Liechtenstein détenus par des Fondations liées aux trois groupes français » (9). Ainsi va la morale bourgeoise !
Ce qui est vrai pour la France est également valable pour tous les pays ou règne cette ardente et insatiable soif du profit. Car il s’agit d’un fonctionnement « naturel » du capitalisme. Les lois et mesures adoptées par les Etats pour le « moraliser et le moderniser », comme le décret Fillon par exemple, non seulement sont ridicules, mais permettent de renforcer le capitalisme en donnant l’illusion qu’il est « réformable ».
Mais, un léger vent d’espoir souffle sur la planète. Des hommes et des femmes relèvent la tête et se mettent en ordre de marche contre ce système. Des luttes éclatent un peu partout. De Pointe-à-Pitre au Caire, de Mexico à Tokyo en passant par Athènes et Berlin. En France, et sans parler des combats quotidiens menés par les salariés contre leurs patrons,des millions de citoyens se sont mobilisés, entre autres, contre le chômage, c’est à dire le produit le plus authentique de la crise et, partant, du capitalisme.
Au sommet du G20 à Londres, très nombreux étaient les citoyens qui manifestaient au cœur du quartier des affaires et devant la Banque d’Angleterre. Tout un symbole !
Malheureusement un homme est mort dans cette contestation anticapitaliste. La police veille et protège les banques et les banquiers bras financier de ce système ! Sarkozy, lui, est « heureux », et trouve que le sommet a été « au-delà de ce que nous pouvions imaginer » (10).
« Nous allons mettre au défi le capitalisme. Nous voulons montrer qu’il y a de meilleurs moyens de faire marcher le monde. Parce qu’ils ont complètement déconné. Le capitalisme se meurt, il se ronge lui-même » déclarait un manifestant de Londres(11).
En ce début du 21ème siècle, le monde connaît un niveau de développement scientifique, technique, médical etc. jamais atteint dans l’histoire de l’humanité. Pourtant, ce système créé par les hommes mais qui se situe au-dessus d’eux, provoque encore leur malheur et peut être leur perte. Mais ce système est en crise totale et de plus en plus contesté.
C’est une occasion historique offerte aux hommes pour qu’ils songent à le remplacer.
(1) Le Monde du 21 mars 2009, page10.
(2) T. Hobbes « Léviathan », cité par K Marx dans « Salaire, Prix et Profit ».
(3) K. Marx, Le Capital. Tome 1, livre premier, section IV.
(4) Le Monde du 24 mars 2009
(5) Mohamed Belaali, « L’illusion d’une démocratie ». http://www.legrandsoir.info/spip.php?article8006
(6) Cité par P. Lafargue dans « Le déterminisme économique de Marx ». 1909.
(7) Les Echos http://www.lesechos.fr/patrimoine/impots/300337773-impots---le-bouclier-fiscal-est-maintenu.htm
(11) http://fr.euronews.net/2009/04/01/g20-londres-capitale-de-la-contestation/
Le Grand Soir - 05.04.09
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