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01/03/2009

Le grand risque

Uri Avnery - Mondialisation.ca, - 28 février 2009

"ALEA JACTA EST" – le sort en est jeté s’écria Jules César en franchissant le Rubicon pour partir à la conquête de Rome. Ce fut la fin de la démocratie romaine.

Nous n’avons pas un Jules César. Mais nous avons un Avigdor Liberman. Quand il a annoncé ces derniers jours qu’il apporterait son soutien à un gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou, c’était le franchissement du Rubicon.

J’espère qu’il ne s’agit pas du commencement de la fin de la démocratie israélienne.

JUSQU’AU dernier moment, Liberman a tenu l’opinion publique israélienne en haleine. Allait-il rejoindre Netanyahou ? Allait-il rejoindre Tzipi Livni ?

Ceux qui ont pris part au jeu de pronostics divergeaient dans leur vision de Liberman.

Plusieurs d’entre eux disaient : Liberman est bien ce qu’il prétend être : un nationaliste extrémiste et raciste. Son objectif est bien de faire d’Israël un État juif nettoyé de ses arabes – "Araberrein", en allemand. Il n’a que mépris pour la démocratie, dans le pays comme dans son parti qui rassemble des béni-oui-oui dépourvus de toute personnalité. Comme des partis du même genre dans le passé, il est fondé sur le culte de sa personnalité, celui de la force brutale, le mépris de la démocratie et du système judiciaire. Dans d’autres pays, on appelle cela le fascisme.

D’autres disent : ce n’est qu’une façade. Liberman n’est pas un Führer israélien, parce qu’il n’est rien d’autre qu’un escroc et un cynique. Les enquêtes de la police à son sujet et au sujet de ses relations d’affaires avec les Palestiniens le montrent sous un jour d’opportuniste corrompu. C’est aussi un ami de Tzipi. Il cultive une image de fasciste pour s’ouvrir une voie vers le pouvoir. Il est prêt à vendre tous ces slogans pour une place au gouvernement.

Le premier Liberman est prêt à soutenir la formation par Netanyahou d’un gouvernement d’extrême droite. Le second Liberman pourrait apporter son soutien à un gouvernement Livni. Pendant toute une semaine, il a jonglé avec les balles. Maintenant, il a fait son choix : c’est vraiment un nationaliste extrémiste et raciste. Comme disent les Américains : s’il marche comme un canard et fait coin-coin comme un canard, c’est un canard.

Pour sauver les apparences il a déclaré au président que sa proposition de confier à Netanyahou la formation d’un gouvernement ne concerne qu’une large coalition englobant le Likoud, Kadima, et son propre parti. Mais ce n’est qu’une astuce : un tel gouvernement ne verra probablement pas le jour, et le prochain gouvernement sera une coalition du Likoud, de Liberman, des disciples de Meir Kahane et des partis religieux.

CERTAINS À gauche disent : excellent. Les électeurs vont récolter exactement ce qu’ils méritent. Enfin, il va y avoir un gouvernement entièrement de droite.

L’un des partisans de cette attitude est Gideon Lévy, un partisan assidu de la paix, de la démocratie et de l’égalité des droits civils.

Lui et ceux qui partagent son point de vue disent : il faut simplement qu’Israël passe par cette étape avant de pouvoir retrouver la santé. La droite doit obtenir tout pouvoir pour mettre en œuvre son programme, sans être en mesure de prétexter qu’elle est bridée par les membres de gauche ou du centre au sein de la coalition. Laissons-les, sous les yeux du monde entier, essayer de poursuivre une politique de guerre, en cherchant à renverser le pouvoir du Hamas à Gaza, en rejetant toute négociation de paix, en pratiquant une colonisation débridée, en crachant au visage de l’opinion publique mondiale et en s’opposant aux États-Unis.

Dans cette perspective, un tel gouvernement ne peut pas tenir longtemps. La nouvelle administration de Barack Obama ne le permettra pas. Le monde le boycottera. Le judaïsme américain sera choqué. Et si Netanyahou s’écarte – même de peu – du chemin étroit de la droite, son gouvernement éclatera. Les Kahanistes, jusque là ses partenaires résolus, se sépareront de lui sur le champ. Après tout, le dernier gouvernement Netanyahou a été renversé il y a dix ans par l’extrême droite après sa rencontre avec Yasser Arafat conclue par la signature d’un accord de cession (formelle) d’une partie d’Hébron à l’Autorité Palestinienne.

Après la chute du gouvernement, selon ce pronostic, l’opinion publique comprendra qu’il n’y a pas d’option de droite, que les slogans de la droite sont un tissu d’absurdités. C’est seulement de cette façon que les gens en viendront à la conclusion qu’il n’y a pas d’alternative à la voie de la paix. Les électeurs éliront un gouvernement qui mettra fin à l’occupation, qui ouvrira la voie à un État Palestinien libre avec Jérusalem Est pour capitale et le retrait sur la Ligne Verte (avec de légères rectifications définies d’un commun accord).

Pour faire accepter cela à l’opinion publique, il faut un choc. La chute d’un gouvernement profondément ancré à droite peut créer un tel choc. Selon une parole attribuée (à tort, semble-t-il) à Lénine : le pire, c’est ce qu’il y a de mieux. Ou, pour le dire autrement : les choses doivent empirer beaucoup avant que l’on puisse obtenir quelque amélioration.

CELA REPRÉSENTE une théorie séduisante. Mais elle est aussi particulièrement effrayante.

Comment pouvons-nous être sûrs que l’Administration Obama exercera vraiment des pressions irrésistibles sur Netanyahou ? C’est possible, espérons que cela se produira. Mais cela n’est pas certain du tout.

Obama n’a encore réussi aucune épreuve véritable sur aucun sujet. Il apparaît déjà clairement qu’il y a une différence sensible entre ce qu’il a promis au cours de la campagne électorale et ce qu’il est en train de réaliser en pratique. Dans plusieurs domaines, il est en train de continuer la politique de George Bush avec de légères modifications. Il fallait naturellement s’attendre à cela. Mais Obama n’a pas encore montré comment il se comporterait face à une situation réellement tendue. Quand Netanyahu mobilisera toute la force du lobby pro-israélien, est-ce qu’Obama cédera comme les présidents qui l’ont précédé ?

Et l’opinion publique mondiale, - dans quelle mesure sera-t-elle unie ? Quel niveau de pression peut-elle exercer ? Lorsque Netanyahou déclarera que toute critique de son gouvernement est "antisémite" et que chaque appel au boycott est la reprise du slogan nazi "Kauft nicht bei Juden" (“N’achetez pas chez les juifs”) – combien des critiques résisteront à la pression ? De combien de courage Merkel, Sarkozy, Berlusconi et les autres seront-ils capables de faire preuve ? Et par ailleurs : est-ce qu’un boycott mondial n’accroîtrait pas la paranoïa en Israël et ne pousserait pas l’opinion publique israélienne dans les bras de l’extrême droite, avec le slogan rebattu "Le monde entier est contre nous ?"

DANS LES circonstances les plus favorables, si toutes les pressions se concrétisent et produisent l’effet maximum – combien de temps cela va-t-il prendre ? À quels désastres peut entraîner un tel gouvernement avant que les pressions ne commencent à produire leurs effets ? Combien d’êtres humains vont être tués ou blessés au cours des attaques et des actes de vengeance de part et d’autre ? Combien de colonies existantes seront développées à un rythme accéléré ? Et dans le même temps, est-ce que les colons ne vont pas intensifier leur harcèlement de la population palestinienne à des fins de nettoyage ethnique ?

Les composantes de la coalition de droite ont déjà déclaré qu’ils ne sont pas d’accord pour un cessez-le-feu à Gaza parce que cela y renforcerait le pouvoir du Hamas. Ils cherchent à reprendre la Guerre de Gaza sous un commandement encore plus brutal pour reconquérir la Bande et y faire revenir les colons.

Les propos de Netanyahou sur une "paix économique" sont complètement insensés, parce qu’aucune économie ne peut se développer sous un régime d’occupation avec des centaines de barrages routiers. Tout processus de paix – réel ou potentiel – va s’arrêter dans la douleur. Le résultat : l’Autorité Palestinienne va s’effondrer. Par désespoir, la population de Cisjordanie va se tourner encore plus vers le Hamas, à moins que le Fatah ne devienne un Hamas N°2.

À l’intérieur d’Israël, le gouvernement devra faire face à une forte récession et sera peut-être la cause d’un chaos économique. Tous les secteurs du gouvernement sont unis par leur haine de la cour suprême, et les folles manœuvres du Ministre de la Justice Daniel Friedman seront suivies de manœuvres encore plus folles. Sous le slogan racoleur de "changement de régime", des attaques précises vont être lancées contre le système démocratique.

Toutes ces choses sont possibles. Une ou deux années d’un gouvernement Bibi Netanyahou-Liberman-Kahane peut causer des dommages irréparables à la position d’Israël dans le monde, aux relations israélo-américaines, au système judiciaire, à la démocratie israélienne, au moral de la nation et à sa santé mentale.

L’ASPECT POSITIF de cette situation tient au fait que la Knesset comportera une fois encore une opposition nombreuse. Peut-être même une opposition efficace.

Kadima était devenu un parti de gouvernement. Il ne lui sera pas facile de s’adapter au rôle de parti d’opposition. Cela va lui demander une transformation émotionnelle et intellectuelle. Pendant dix ans, j’ai moi-même conduit une lutte d’opposition intransigeante au sein de la Knesset, et je sais à quel point c’est difficile. Mais, si Kadima arrive à subir une telle transformation avec succès – ce qui est très peu probable – il pourrait devenir une force d’opposition efficace. La nécessité de proposer une alternative claire au gouvernement de droite peut le conduire à découvrir en son sein des forces inattendues. Les jeux de Tzipi Livni avec les Palestiniens peuvent donner naissance à un programme sérieux de solution à Deux États, un programme qui sera renforcé et approfondi par le combat parlementaire quotidien face au gouvernement avec un programme d’opposition.

Le parti travailliste aussi devra subir une profonde transformation. Ehoud Barak n’est certainement pas l’homme à conduire un combat d’opposition – d’autant moins qu’il ne sera pas le "chef de l’opposition", un titre conféré officiellement par la constitution au chef de la composante la plus nombreuse de l’opposition. Il sera le second violon même dans l’opposition. Le parti travailliste devra se battre, et peut-être, peut-être, cela le conduira à se régénérer. La Bible nous parle du miracle des os desséchés (Ezéchiel 37)

Cela est encore plus vrai pour le Meretz. Il devra rivaliser avec à la fois Kadima et le parti travailliste pour justifier sa place dans la lutte pour la paix et le redressement social.

Quelqu’un de vraiment optimiste peut même espérer une réduction du fossé qui sépare la "gauche juive" des "partis arabes" que la gauche a jusqu’à présent boycottés et tenus à l’écart de tous les calculs de coalition. La lutte commune et les votes communs à la Knesset peuvent entraîner une évolution positive là aussi.

Et, au-delà de l’arène parlementaire, le gouvernement d’extrême droite peut changer l’atmosphère dans le pays et inciter beaucoup de gens de bonne volonté à quitter la sécurité de leur tour d’ivoire pour engager un processus de rajeunissement intellectuel dans les cercles d’où doit émerger une gauche nouvelle, ouverte et différente.

TOUTES CES CHOSES représentent des possibilités théoriques. Que va-t-il se passer en réalité ? Quelles vont être les conséquences d’un régime de droite "pure", si Tzipi Livni maintient sa détermination de ne pas entrer dans un gouvernement Netanyahou ? Israël va-t-il s’engager dans la pente suicidaire d’une route sans retour, ou bien sera-ce une phase transitoire avant l’appel au réveil ?

C’est un grand risque, et comme tout risque, il soulève à la fois la crainte et l’espoir.

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