À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

01/03/2009

Avec la crise, le vent de l'Histoire tourne

En bas de son gratte-ciel à Wall Street, devant une caméra de télévision, un trader, costume noir et lunettes de soleil, ne sait s’il doit se réjouir : « dans cinq ans, les professeurs de finance expliqueront à leurs étudiants ce qui s’est passé en 2008. On vit un épisode historique ». Ce retour de l’Histoire avec un grand « H » est une surprise, pour lui comme pour beaucoup.

Il faut dire que la « fin de l’Histoire » avait été théorisée par des intellectuels, en 1989, au moment de la chute du Mur de Berlin... Le philosophe américain Francis Fukuyama voyait dans l’effondrement du communisme l’entrée de l’Humanité dans l’ultime étape de son développement, celle qui devait voir le triomphe de la « démocratie libérale occidentale » : « les grandes forces alternatives qui ont traversé le siècle (fascisme et communisme) n’étant pas parvenues à en dépasser les principes »

Deux décennies plus tard, l’économie mondiale vacille face à une crise financière mondiale sans précédent. Et les dogmes de la politique dite néolibérale que sont la fin de l’Etat-providence, la déréglementation financière, la privatisation des services publics, sont aussitôt remis en cause par ceux-là mêmes qui les avaient promus.

Il faut faire marche arrière

Dans une tribune récente, et sans doute mémorable, publiée dans Le Monde (10/10/08), Francis Fukuyama lui-même proclame « la chute d’America Inc. ». En matière de politique intérieure, il reconnaît qu’il faut faire marche arrière, rétablir l’Etat-providence et en finir avec la dérégulation financière : « les marchés financiers sont incapables de s’autoréguler », dit-il, quant au « secteur public américain – sous-financé, dé-professionnalisé et démoralisé –, il a besoin d’être reconstruit ».

En matière de politique extérieure, plus grave, l’Amérique comme garant de la paix est décrédibilisée. De l’Afghanistan à l’Irak, en emmenant le monde sur le chemin de la guerre, elle n’a provoqué qu’exaspération et ressentiment. Comme le résume habilement Fukuyama, « le détenu encagoulé d’Abou-Ghraib » a remplacé « la Statue de la Liberté » en tant que symbole de l’Amérique.

Au-delà des répercussions spectaculaires qu’elle ne manquera pas d’occasionner, notamment sur la vie des classes populaires et moyennes des pays occidentaux, on peut penser (et espérer ?) que la crise financière aura aussi des conséquences sur l’idéologie des élites politiques et intellectuelles. Cette crise démontre, en effet, et de manière implacable, que les politiques économiques néolibérales, qui prônent sans discernement la privatisation et le retrait de l’Etat, forment une idéologie néfaste, que ce soit pour la paix ou pour la démocratie, parce qu’elle impose le primat du désir de liberté sur ceux d’égalité et de fraternité.

Le dogme du tout-économique vacille

Dans l’histoire récente, des précédents existent, qui montrent pourtant, qu’une économie capitaliste (s’il faut réellement le sauver…) peut fonctionner en étant fortement encadrée par des institutions sociales, à la fois puissantes et qui favorisent une redistribution, moins inégalitaire et plus fraternelle des richesses librement produites.

C’est, en tout cas, le sens du consensus keynésien des Trente Glorieuses, qui a trouvé sa traduction politique, en France, dans un préambule ajouté en 1946 à la Constitution par le C.N.R. (conseil national de la Résistance). Un texte à la fois progressiste et moderne, toujours d’actualité. Un texte dessinant les contours d’une société démocratique, solidaire, humaniste et pacifiste, et porteur d’un projet. Celui d’un pays qui aurait décidé de faire passer au premier plan le progrès social, et de reléguer au second le progrès économique. Quelques décennies plus tard, il faut bien se rendre à l’évidence : c’est le projet inverse qui a fini par s’imposer…

Vers une société plus décente ?

Tout se passe comme si cette pseudo-théorie de la Fin de l’Histoire n’avait, finalement, été qu’un prétexte destiné à légitimer un changement d’orientation pour les sociétés occidentales alors engagées (même si un long chemin était encore à parcourir) sur une voie démocratique, égalitaire et émancipatrice. Dès l’après-guerre, cette voie, à laquelle le philosophe Cornélius Castoriadis avait donné le nom de « projet d’autonomie », était en concurrence avec une autre, finalement réalisée, celle de la transformation des économies les plus avancées du monde en grandes machines capitalistes uniquement dédiées à générer de la croissance.

Les conditions semblent réunies pour que l’imaginaire social du tout-économique vacille. Reste à savoir par quoi le remplacer ? Certainement, par l’établissement d’une société plus décente, à la fois plus respectueuse de la vie ordinaire des gens et de la nature. L’humanité est, à nouveau, arrivée à un de ces moments où elle doit démontrer ses capacités à créer de nouvelles formes de société. Dans ce domaine, tout reste encore à faire…

La « fin de l’Histoire »

La « fin de l’Histoire » fut d’abord une hypothèse philosophique posée par Hegel au début du XIXème siècle. Sa remise au goût du jour, à la fin du XXème siècle, conserve une vocation philosophique, mais s’accompagne surtout d’une dimension politico-économique : sont ainsi assimilés et rendus indissociables ce qui relève du régime politique libéral (la démocratie, le vote) et ce qui relève du régime économique libéral (le marché, le libre-échange).

On comprend, dès lors, le succès de cette idée qui, proclamant la « fin de l’Histoire », proclamait en même temps la fin des grandes idéologies politiques et surtout économiques. Autrement dit, le capitalisme, associé à la démocratie, débarrassé du communisme, associé au totalitarisme, semblait devoir s’imposer, marquant l’entrée dans une société postmoderne et pacifique.

A l’époque, tout conspire à valider cette hypothèse : dans le monde anglo-saxon, la révolution conservatrice est largement engagée, Reagan et Thatcher ont enclenché le cycle des politiques néolibérales ; à l’Est, les régimes communistes totalitaires s’effondrent, et la fin de la guerre froide se profile ; en France, même, les socialistes ont pris le tournant de la rigueur (1983) et mis en œuvre la loi de déréglementation financière (1986).

L'Interdit - Fabien Eloire - 23.02.09

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails