Valentina Grossi
L’extrême diffusion de la retouche dans la presse people est sans doute liée à l’importance que le personnage de la célébrité aussi bien que son image photographique revêtent dans ce type de contenu éditorial. Comme Marc Lits le souligne dans son article « La construction du personnage dans la presse people »[1], la sublimation de la star, l’« idéal auquel le lecteur peut s’identifier », est l’une des composantes du succès de ce type de publication. Ce n’est donc pas étonnant que les images destinées aux magazines people passent de façon presque systématique par le stade de la retouche, pendant lequel certains “défauts” sont corrigés. Au cours d’une interview, Sylvain, le directeur du service photo d’un magazine français, confirme : la retouche à caractère esthétique « ça fait rêver les dames : “elle est bien conservée à son âge !”». Mais, s’il est vrai que le magazine peut être intéressé à rendre plus belles les stars afin d’attirer son lectorat, il est aussi indéniable que la retouche photo permet aux vedettes le maintien de leur capital image, par un contrôle renforcé sur celle-ci.
La construction de l’image de la célébrité – qu’elle fasse partie du star system ou du monde de la politique – commence en réalité bien avant la retouche : « En fait, ce qui va être retouché, ça va être souvent ce qui s’appelle un “rendez-vous”, c’est-à-dire des photos posées et exclusives. C’est-à-dire que, par exemple, un comédien ou une comédienne va dire “ok, on vous accorde une séance photo d’une demi journée” (en général, c’est moins longtemps). Du coup, ça va être peut-être […] avec un styliste, avec un maquilleur, ils vont faire une séance photo avec plusieurs tenues, avec plusieurs ambiances, et, en général, le procès après le shooting c’est de faire valider les photos, c’est-à-dire qu’il y a un pre-editing qui est fait et, une fois ce pre-editing fait, ils peuvent demander (ce n’est pas systématique, même si aujourd’hui c’est quand même extrêmement répandu), ils vont demander si on peut retoucher, je ne sais pas moi… les cernes… si on peut adoucir la peu, si on peut enlever un bouton…Voilà, dans ce genre de photos, l’agence va faire effectivement retoucher les images », dit Jérôme, photographe et ex-retoucheur dans une agence photo spécialisée en people.
La retouche, précédée par l’organisation de la séance photo et du pre-editing, et suivie par l’éditorialisation qui sera faite par le magazine, n’est donc qu’une des étapes de la construction de ce type d’images, appelées en jargon « rendez-vous » ou « close-ups », lesquelles peuvent être réalisées par un photographe lié à une agence ou à un magazine. Ce type d’images, qui se différencient des photos paparazzi par leur caractère construit – reconnaissable essentiellement par la pose du personnage – font obligatoirement l’objet d’une validation de la part de la star, et passent donc presque systématiquement par l’étape de la retouche. Sylvain le confirme : la célébrité « fait appel à un ou deux photographes pour avoir ce qu’on appelle des “close-ups”, pour avoir des photos dans sa chambre d’hôtel ou en privé ; donc, c’est intéressant pour le magazine, parce qu’ils ne vont pas avoir les photos qu’ont tout le monde. Ça permet à ce magazine d’avoir des photos exclusives, et, à elle, ça lui permet de retoucher ses photos ».
Une autre caractéristique de ce type de contenus éditoriaux, c’est que, à la différence des photos paparazzi, ils associent aux photos une interview exclusive de la célébrité : « souvent, un portrait posé où la personne va être vraiment mise en valeur, souvent elle est là aussi parce qu’il y a une interview derrière, et l’interview c’est un peu comme la photo qu’on va faire valider, l’interview est en général relue par la personne avant publication », explique Jérôme.
Il y a donc, dans le processus de fabrication de l’image de la star, des intérêts entremêlés : de la part du personnage célèbre, celui de préserver son image à des fins commerciales ou politiques ; de la part du magazine, celui de sauvegarder le capital image du star system, grâce auquel il crée son public, mais aussi celui de ne pas perdre la confiance de la star, avec laquelle de bonnes relations sont indispensables afin de pouvoir obtenir des interviews et des photos exclusives : « les personnalités (parce que ce n’est pas seulement les stars, ça peut être des politiques…), les personnalités ont besoin des journaux pour pouvoir s’exprimer, pour pouvoir toucher un peu l’opinion publique ou passer un capital sympathie, pour passer un message on va dire, pour véhiculer un message, et les journaux ont besoin de ces gens-là pour vendre du papier, parce que avoir de bonnes relations pour faire la couv’ avec des gens très connus, derrière lesquels tous les journaux courent, ou avoir une interview exclusive, ça risque de faire vendre plus de papier que si on a une interview de n’importe quel pinpin. C’est une espèce de cercle vicieux », dit Jérôme. Sylvain, côté magazine, confirme : « il est évident que, si on veut s’attirer les bonnes grâces d’une personne, on évite de publier des photos qui ne sont pas belles, et même des éléments qu’on ne voit pas, parce qu’il y a des choses que nous parfois on ne voit pas ; elle, elle les voit ».
Du point de vue législatif, le droit à l’image des personnes en France contribue au maintien de cet état des choses : en protégeant la vie privée, le code civil oblige les médias à stipuler des accords avec les personnalités afin d’obtenir des images qui ne relèvent pas de la sphère publique, et permet aux célébrités de les poursuivre en justice au cas où ces accords ne seraient pas respectés. Cela explique l’importance des sommes qu’un certain type de presse people, férue de photos paparazzi, verse annuellement aux célébrités en tant que dédommagement[2]. En revanche, d’autres types de magazines, comme Paris Match ou VSD, misent moins sur ce type de scoop en lui préférant les images « contractuelles »[3]. En ce qui concerne ces derniers, d’ailleurs, il n’est pas rare qu’une photo paparazzi, qui normalement ne passe pas par la validation de la star, soit retouchée par la rédaction du magazine elle-même afin de sauvegarder l’image de la célébrité, et donc les relations avec celle-ci. C’est le cas décrit par Marc Simon, responsable du service photo de VSD, qui, en parlant d’une des photos de Ségolène Royal faisant partie du reportage paparazzi publié par Paris Match en juillet 2007, explique : « C’est une photo prise en vacances, à son insu. Si on l’avait passée, on aurait enlevé quelques, un peu, des traces de cellulite pour ne pas être désagréable. Ce sont des retouches qui peuvent se faire par correction »[4].
La même chose vaut pour des photos provenant des agences dites “filaires” (qui normalement ne passent pas par la validation de la star ou de la personnalité politique), lesquelles peuvent aussi être retouchées dans un deuxième temps par la rédaction du magazine afin de protéger l’image de la célébrité, comme l’a montré Paris Match en gommant un bourrelet de Sarkozy sur une photo diffusée par Reuters. Pour Sylvain, rien d’inquiétant là-dedans : « on a enlevé un élément, et c’est ce qu’on appelle une retouche pour embellir une photo, le physique d’une personne. Or, ça s’est porté sur un homme politique, Sarkozy en l’occurrence, mais on oublie une chose, c’est que ça se fait depuis des années, sur la plupart des mannequins, sur la plupart des photos de toutes les vedettes du show-business : quand vous faites une photo, elle demande au photographe avec lequel elle a fait des photos (c’est pour ça qu’ils choisissent souvent un ou deux photographes) de montrer les photos, de retoucher les rides. La retouche elle est faite depuis longtemps sur les photos qu’on voit… ». Mais, de l’autre côté, lorsque la complaisance qui est accordée par le magazine à la star à des fins commerciales se déplace sur un personnage politique, la frontière entre indulgence intéressée et propagande politique tend à s’estomper. Et si, bien sûr, la retouche n’est qu’une étape du processus d’éditorialisation subi par l’image, elle peut néanmoins représenter un indicateur intéressant pour comprendre de quelle façon l’on utilise les images, et dans quel but.
[1] Marc Lits, « La construction du personnage dans la presse people », Communication, n° 27/1, 2009 (en ligne : http://communication.revues.org/index1292.html).
[2] Voir Eric de Legge, « Stars, combien la presse people leur a versé de dommages en 2009 », Le Journal du Net, 25 mars 2010 (http://www.journaldunet.com/economie/communication/proces-people-2009/).
[3] Voir Philippe Marion, « Petite phénoménologie de la photo people », Communication n° 27/1, 2009 (en ligne : http://communication.revues.org/index1314.html).
[4] Gilles Klein, « Des retouches par correction », Arrêt sur images, 29 novembre 2008 (http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=2606).
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