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27/10/2010

Ce que la « mastérisation » signifie

1. Constats
Depuis la rentrée, la réforme de la formation des enseignants, dite « mastérisation », a retrouvé une place dans les medias et dans les débats. Ceux qui, il y a encore quelque temps, la considéraient au mieux comme un non-sujet s’étonnent des ravages que produit la nouvelle organisation de la première année des lauréats des concours de recrutement. Commencé au début de l’année 2008, un mouvement de contestation de ladite réforme – d’abord minoritaire et extérieur aux syndicats – a rallié peu à peu à lui l’ensemble des acteurs de la formation dans un front large et aux motivations variées (des présidents d’université aux syndicats, des enseignants aux étudiants, des amoureux de la pédagogie et de la didactique aux chantres des disciplines). Face à ce consensus rarissime dans le monde de l’éducation, la surdité du gouvernement a été totale et sa réponse aux critiques a consisté en un passage en force – quitte à prendre des libertés avec la légalité comme l’illustrent le non respect du Code de l’éducation et les atteintes à la définition réglementaire du Master. Le tout a été enrobé d’annonces non suivies d’effets, relevant parfois de mensonges purs et simples : il suffit de songer à la prétendue concession selon laquelle un tiers du temps de travail serait consacré à la formation, alors que la plupart des jeunes collègues se retrouve à ce jour devant des classes pendant 15 à 18 heures par semaine.
La souffrance et l’exaspération de ces milliers de nouveaux enseignants servant de cobayes constituent le cœur des témoignages de ces dernières semaines. S’il est important que cette souffrance soit exprimée et relayée, le risque existe toutefois que l’analyse soit réduite à une dramatisation jouant sur le pathos dont les jeunes collègues eux-mêmes ne veulent pas. Pire, en perdant de vue la responsabilité du gouvernement dans cette situation, on en arriverait vite au simple constat que ces nouveaux enseignants n’ont pas été bien formés ou que les modalités de leur recrutement sont décidément trop éloignées de la pratique du métier qui les attend ! À ce jeu de la mauvaise foi, les universités formatrices ou les concours recrutant pourraient bien se retrouver dans l’œil du cyclone. Dans ce renversement, d’un côté, les ministères se laveraient les mains de ce qu’ils ont créé de toutes pièces pour en faire une arme contre ceux-là même qui ont tenté de leur résister. De l’autre, n’en viendraient-ils pas à affirmer que, puisque les concours n’apportent rien de plus à une formation qu’il convient de concentrer sur les improbables « Masters d’enseignement », le Master pourrait bien pour le coup rendre à terme le concours inutile ?
Une telle situation engage à ne pas perdre de vue le rôle clé que joue la « mastérisation » dans un projet beaucoup plus vaste concernant les diplômes nationaux de Masters, et dont l’enseignement primaire et secondaire est l’un des laboratoires privilégiés. De fait, au-delà de la politique délétère de suppression massive de postes, on trouve, parmi les effets collatéraux de la « mastérisation », les véritables objectifs, inavoués, de la réforme : la redéfinition de la nature des diplômes et des articulations entre le premier cycle et les cycles suivants. Cet objectif est d’autant plus probable qu’il règne un flou total sur le fondement juridique des diplômes de Master instaurés par la mise en place en France du LMD au début de la présente décennie. L’arrêté du 25 avril 2002, très vague, signé à la hâte par un ministre sur le départ (J. Lang) est actuellement encore le seul cadre juridique de référence pour les Masters. Il distingue selon leur finalité, deux types de Masters, (article 2), exclusifs l’un de l’autre : Master « professionnel » ou Master « recherche ». Cette distinction est établie pour le M2, l’année de M1 étant indifférenciée. Nombre de maquettes sont déjà loin de ce cadre mais le phénomène ne peut qu’être amplifié par la « mastérisation » des concours, conduisant à consacrer, de fait, l’année de M1 à la préparation des écrits des concours et l’année de M2 aux stages ainsi qu’à la préparation de l’oral, malgré le maintien de façade d’une finalité recherche, ce qui impliquerait, selon l’arrêté, un travail d’écriture scientifique conséquent. La question de la place de la recherche dans la formation des enseignants est donc posée, nous y reviendrons. Bien plus, à terme, mettant en évidence certaines des contradictions du système LMD, le processus ainsi enclenché pourrait bien conduire à détruire le caractère national des diplômes (d’abord au niveau Master) au profit de diplômes d’établissements.
2. Nouveaux Masters, vieilles impostures
De plus en plus clairement, ces nouveaux Masters des métiers de l’enseignement et de la formation apparaissent ainsi pour ce qu’ils sont : de lourds dispositifs incapables d’assurer une formation efficace au métier d’enseignant, non plus qu’une véritable initiation à la recherche. Leur création a pour effet de construire, sur le papier, des diplômes professionnels non plus de trois ans mais de cinq ans, contrairement à ce qui était le modèle dominant. Cela ne va pas sans de nombreux flottements dans la définition de leurs caractéristiques, ce qui conduit à une très grande diversité d’interprétation du croisement des modèles de référence selon les universités, faisant éclater tout cadre national dans la formation des enseignants. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche en est même réduite à nommer un comité de suivi pour examiner l’offre, plus que variée et incohérente, de formation.
De manière plus structurelle, cette évolution vers l’affichage d’une professionnalisation plus accentuée des formations universitaires s’inscrit largement dans la réponse majoritairement apportée par les politiques universitaires pour répondre à la deuxième vague de massification de l’enseignement supérieur – amorcée depuis les années 1990 et conséquence logique de l’augmentation de la proportion d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat. On se réjouirait d’une véritable augmentation du nombre d’années de formation et d’une élévation potentielle de la qualification des étudiants. Cependant, on est fondé à douter de la réalité de la chose à trois titres au moins. D’abord, malgré les objectifs affichés et les effets d’annonce, ces Masters ne permettent pas d’assurer une réelle professionnalisation des étudiants aux métiers de l’enseignement. La formation didactique et pédagogique dans ces diplômes reste en grande partie de fait déconnectée de la pratique de terrain. Pis, le ministère de l’Éducation nationale conseille lui-même d’utiliser les étudiants qui sont appelés à dispenser 108 heures d’enseignement au sein de leur Master comme des moyens de remplacement, simples bouche-trous conjoncturels, ce qui n’a rien de commun avec une véritable formation. Cette réforme conduit donc à accentuer cela même qui a pu être reproché aux IUFM : une formation trop théorique éloignée des réalités du terrain. Ensuite, ces nouveaux diplômes évacuent largement ce qui fait le propre d’une formation universitaire : l’articulation avec la recherche. Ainsi réussissent-ils le tour de force de ne pouvoir être réellement professionnalisants ni de permettre une véritable initiation à la recherche dans le cadre imposé (malgré l’ingéniosité des collègues) (voir plus loin). Enfin, ils ne permettent pas une meilleure insertion professionnelle ; produisant, d’une part, une nouvelle catégorie : « les reçus collés » et soumettant, d’autre part, la nomination comme fonctionnaires-stagiaires des reçus aux concours à des conditions supplémentaires désormais extérieures à ces derniers : la réussite au diplôme de Master (Voir sur ce sujet les recours en annulation déposés par SLU, SUD-Éducation, la FCPE, SUD-Étudiant, l’AGEPS et autres contre l’arrêté du 28 mai 2010) – sous peine de perdre, au bout d’un an, le bénéfice de la réussite aux concours. Les postes sont déjà en forte baisse, les nominations pourront l’être encore davantage...
Les Masters dits « en alternance » annoncés par Luc Chatel sont-ils une solution plus satisfaisante ? Ce dispositif peut être développé dans le cadre réglementaire actuel pour les concours (en M2 ou après le M2, voir la circulaire du 13 juillet 2010). Il conduit à utiliser les étudiants qui sont assistants d’éducation comme moyens de remplacement à tout faire pendant leurs années de Master en alternance (« formation sur le tas »), ce qui servira à « justifier » pour les étudiants ayant réussi le concours, le « stage » d’une année à plein temps. Quant à la majorité des étudiants qui n’auront pas de concours et seront seulement diplômés, le ministère de l’Éducation nationale explique qu’il est possible de les « fidéliser » et une fois le Master en poche, de les recruter comme « agents non titulaires » comme l’indique la circulaire du 14 octobre 2010 sur « l’amélioration du dispositif de remplacements des personnels enseignants dans les établissements d’enseignement du second degré ». Dans cette perspective, le concours devient tout à fait superflu. Si ces Masters en alternance appartiennent à la catégorie Master professionnel, un rapport de stage plutôt qu’un mémoire peut suffire. Cerise sur le gâteau, le statut d’apprentissage induit par les Masters en alternance présente l’intérêt de pouvoir faire financer les étudiants non par des bourses du MESR mais par la région, ce qui va tout à fait dans le sens de la « décentralisation » sarkozyenne.
Une telle réforme de la formation des enseignants ne laisse pas de bouleverser également l’école primaire, le collège et le lycée. La « mastérisation » prépare les étudiants à devenir des « animateurs » de classe plus que des professeurs. La dégradation de la formation engendrée par un dispositif mal conçu mène ainsi les jeunes professeurs à adopter des situations défensives relevant d’une simple gestion empirique de l’urgence. La modification importante de la nature des épreuves des concours est l’un des ressorts de cette évolution : ils encouragent le bachotage de vastes questions, sans approfondissement des démarches propres aux métiers ou aux disciplines spécifiques des enseignants, se souciant en revanche de vérifier a priori la compétence des candidats à « agir en fonctionnaire de l’État, de façon éthique et responsable ». Ce qui est en jeu, c’est la réalisation d’une sorte de bloc indistinct du premier degré au collège, sans guère de différenciation disciplinaire, au profit d’un ensemble de « compétences ». Il n’est pas alors nécessaire de construire un cadre permettant une formation de qualité des enseignants car on peut se demander par ailleurs s’il ne s’agit pas avant tout de « gérer des groupes », comme le laissent pressentir d’actuelles actions de formations organisées dans les académies.
3. Formation, recherche, enseignement et responsabilités
Paradoxalement, si, à propos de la réforme actuelle de la formation des enseignants, l’on a toujours beaucoup critiqué, à juste titre, le manque de professionnalisation ou de travail sur le terrain dignes de ce nom, la place de la recherche non dans les Masters mais dans la formation des enseignants a été peu évoquée, comme si s’était peu à peu installée l’idée que celle-ci n’est pas nécessaire à une bonne formation des enseignants. Or, si le remplacement de l’année de formation – avec décharge et formation en IUFM – par des pseudo-stages, plus aptes à décourager les candidats qu’à les préparer, a détruit toute formation pratique à l’enseignement, la seconde victime de cette réforme est la formation par la recherche, et ce à deux niveaux : d’abord, en réduisant à néant le travail d’élaboration et de rédaction d’un mémoire de recherche antérieur à la préparation du concours ; ensuite en retirant toute dimension de recherche à la préparation aux concours. Initier à la recherche par la pratique effective de la recherche et non développer simplement le maniement d’une trousse à outils conceptuels et de grandes problématiques transversales, voilà l’enjeu. Indispensable à la formation des enseignants, ce travail permet d’apprendre concrètement comment les résultats que l’on enseigne sont élaborés de même qu’il suppose l’apprentissage de l’écriture scientifique, et donc la distinction entre opinions et énoncés scientifiques. La préparation aux concours est, en effet, censée faire découvrir aux candidats l’état actuel de la recherche sur un thème donné, ainsi que son histoire. Elle permet ainsi de prendre conscience que toute position énoncée selon des critères scientifiques contient les conditions de sa propre critique. L’enseignement en lien avec la recherche ne peut jamais se réduire à répéter ce que l’on aurait lu : elle exige de le comprendre, de le critiquer éventuellement, de le prolonger parfois. Rien ne ressemble moins à du bachotage.
Les nouveaux « Masters métiers de l’enseignement », en faisant du Master un « tout-en-un » (mémoire de recherche, stages et préparation au concours, cours de langues et d’informatique devant être cumulés), tuent donc la formation par la recherche qui caractérisait une partie de la formation des enseignants. Plus largement, cette évolution de la conception des concours, comme de la place de la recherche à l’Université avant le doctorat, fait courir aux champs disciplinaires un risque d’éclatement Ainsi, faisant d’une pierre deux coups, la réforme de la « mastérisation » aura réussi à détruire la formation des enseignants, tout en détruisant la place de la recherche à l’université, et probablement aussi la conception actuelle des disciplines (sans la remplacer par rien de convaincant).
Dans cette situation n’est-ce pas le moment de poser la question de la responsabilité ? Sacrifiant leurs convictions sur l’autel du réalisme ou de la bonne conscience (ne pas laisser les étudiants sans formation professionnelle, fût-elle minimaliste), arguant parfois des risques de la concurrence (l’université voisine fait bel et bien des maquettes), ou voulant souvent défendre les Masters recherche (de façon assez abstraite), les enseignants-chercheurs qui ont mis en place la réforme sont tombés à pieds joints dans le piège tendu par le gouvernement, lequel a parfois réussi à user habilement des ressorts de la division entre universités et entre secteurs de formation. Les Masters « métiers de l’enseignement » n’en sont pas moins des monstres nés dans l’Université, qu’ils aient été conçus par une poignée d’enseignants-chercheurs des composantes disciplinaires ou des IUFM ou sous la pression de responsables élus ou de conseils trop soucieux de faire remonter des maquettes au ministère, sur fond de désengagement, de lassitude, mais aussi d’impuissance des opposants à la réforme. Comme tels, ce sont les universitaires qui en ont bel et bien désormais la responsabilité. L’enjeu à présent est de se demander si nous sommes d’accord pour nous résigner à faire fonctionner une telle réforme dès lors que, de toutes les façons, il faut affirmer que les universités (dans la diversité de leurs composantes) seront tenues pour responsables de la médiocrité des résultats de ces "formations" qui leur ont été imposées. Il est donc de notre responsabilité de ne pas cautionner un tel système et de continuer au contraire à demander, preuves à l’appui désormais, une tout autre réforme de la formation des enseignants. Certainement plus consciente des conséquences incalculables de ces nouveaux Masters et de l’ensemble du dispositif de formation (ou plutôt de non formation), et désormais bien informée des conditions de travail inadmissibles des néo-recrutés, la communauté universitaire, tout comme au-delà, la communauté nationale, savent que cette réforme doit être d’urgence totalement réformée.
Sauvons l’Université ! 

http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article4124 

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