Gilbert Casasus
La semaine dernière, Angela Merkel sonnait le glas du multikulti - modèle multiculturel - mais Gilbert Casasus, professeur et chaire en études européennes, nous rappelle que la religion et plus encore l'appartenance religieuse ont toujours joué un rôle important dans la vie politique allemande.
L’appartenance religieuse des citoyens a toujours joué un rôle primordial dans la politique allemande. Les débats entre membres de l’église « évangélique » et l’église catholique ont fort souvent défrayé la chronique. Quant à l’influence de ces deux églises, elle n’a jamais été démentie par les faits. De surcroît, nombre de partis ont recruté leurs cadres et leurs futurs élus dans plusieurs organisations confessionnelles. Outre les différents ecclésiastiques qui sont venus garnir les rangs du Bundestag, on se souviendra que le successeur de Willy Brandt à la Mairie de Berlin ne fut autre que le pasteur Heinrich Albertz, que l’un des hauts responsables de l’église évangélique de la DDR, Manfred Stolpe a été le premier Ministre-Président du Brandebourg, avant de rejoindre le cabinet de Gerhard Schröder, et que la RFA a failli élire, le 30 juin dernier, un pasteur au poste de Président de la République. En effet, Joachim Gauk avait réuni un nombre important de suffrages sur son nom, contraignant son adversaire Christian Wulff à trois tours de scrutin.
Certains hommes ou femmes politiques ont même confondu leur militantisme partisan et leur engagement religieux. Les plus anciens se remémorent ici des messes qui ont accompagné le mouvement pacifique des années 80, où nombre des sermons politiques se substituaient à des appels à caractère plus politique. D’autres évoqueront ici le rôle majeur joué par l’église luthérienne lors des premiers mouvements des citoyens est-Allemands qui, souvent réfugiés dans les temples, comme la « Nikolaikirche » de Leipzig, y préparaient leurs manifestations contre le régime de la SED. Quant à l’église catholique, elle n’est pas en reste, à l’image de ces cérémonies où les dirigeants bavarois de la CSU s’affichent volontiers avec les cardinaux et autres évêques de la région.
En revanche, la laïcité, au sens français du terme, ne joue pratiquement aucun rôle en Allemagne, tant ce mot est inconnu par la majorité de ses habitants. Les Allemands préfèrent d’abord évoquer la « sécularisation » de leur société, considérant que le modèle français de la séparation de l’église et de l’État n’est pas adapté à leur pays. En ce sens, ils confondent volontiers laïcité et « anticléricalisme primaire », pensant même que cette même laïcité serait un pur produit socialiste, venu tout droit de la feue République démocratique allemande.
Cette imprécision historique se retrouve aussi dans l’analyse faussée que beaucoup d’Allemands se font de l’Islam. Ainsi la Turquie demeure pour eux le pays islamique par excellence. N’ayant que peu entendu parler du Kémalisme, ils assimilent trop rapidement la pratique religieuse de nombreux travailleurs immigrés à la réalité politique et économique d’une Turquie dont les citoyens les plus ouverts, les plus européens, et par conséquent les plus attachés à la démocratie, ont sans cesse rejeté toute forme d’intégrisme et toute prise influence de l’Islam sur les affaires de l’Etat. A l’inverse du Président Christian Wulff qui lors de son très bon discours du 3 octobre dernier a reconnu l’appartenance de l’Islam à l’Allemagne, la chancelière n’a pas encore pris la mesure de cette nouvelle dimension religieuse, culturelle et politique. Parce que trop soucieuse de ne pas heurter l’aile droite de la CDU, mais aussi influencée par une vision très traditionaliste de l’Allemagne, elle vient de décréter la fin du modèle multiculturel dont la gauche allemande s’était fait l’avocate depuis près de trente ans.
Ce modèle est toutefois moins exemplaire que ses défenseurs ne veuillent bien le prétendre. Il favorise certes l’acceptation de l’autre, mais réfute son intégration au sein de la société. Il est fondé sur le principe du respect mais non sur celui de l’égalité. Se voulant tolérant, il a aussi pour effet pervers de distinguer ce qui est allemand de ce qui ne l’est pas. Toutefois, telle ne fut jamais la volonté de la gauche allemande qui, en la matière, a certainement confondu générosité et diversité.
Il n’en est pas de même pour Angela Merkel. Prononcé devant les jeunes de la CDU/CSU, soit devant la Junge Union connue pour ses positions doctrinales, son discours a provoqué de multiples réactions. Beaucoup y voient la fin d’une Allemagne plurielle. D’autres craignent même une recrudescence de la xénophobie. Mais au-delà même de la polémique, il se situe dans l’esprit de ce protestantisme luthérien qui peut même prendre des contours particulièrement rigoristes, voire dangereux pour l’ensemble de la société allemande. Alors que les protestants de gauche ont souvent oeuvré pour une Allemagne plus ouverte, ceux de droite ont parfois défendu les positions les plus scélérates que l’Allemagne a connues durant son histoire. Ainsi est-il bon de rappeler que, à l’exception de quelques personnalités comme le pasteur Martin Niemöller, l’Allemagne évangélique fut plus nazie que ne le fut l’Allemagne catholique. Bavière y compris. Angela Merkel est heureusement très loin de cette dérive intellectuelle. Néanmoins cette fille de pasteur demeure toujours influencée par une pensée luthérienne. Celle-ci, qui bien que se voulant réformatrice à l’origine, a aussi cautionné les pires affres de l’histoire allemande.
Certains hommes ou femmes politiques ont même confondu leur militantisme partisan et leur engagement religieux. Les plus anciens se remémorent ici des messes qui ont accompagné le mouvement pacifique des années 80, où nombre des sermons politiques se substituaient à des appels à caractère plus politique. D’autres évoqueront ici le rôle majeur joué par l’église luthérienne lors des premiers mouvements des citoyens est-Allemands qui, souvent réfugiés dans les temples, comme la « Nikolaikirche » de Leipzig, y préparaient leurs manifestations contre le régime de la SED. Quant à l’église catholique, elle n’est pas en reste, à l’image de ces cérémonies où les dirigeants bavarois de la CSU s’affichent volontiers avec les cardinaux et autres évêques de la région.
En revanche, la laïcité, au sens français du terme, ne joue pratiquement aucun rôle en Allemagne, tant ce mot est inconnu par la majorité de ses habitants. Les Allemands préfèrent d’abord évoquer la « sécularisation » de leur société, considérant que le modèle français de la séparation de l’église et de l’État n’est pas adapté à leur pays. En ce sens, ils confondent volontiers laïcité et « anticléricalisme primaire », pensant même que cette même laïcité serait un pur produit socialiste, venu tout droit de la feue République démocratique allemande.
Cette imprécision historique se retrouve aussi dans l’analyse faussée que beaucoup d’Allemands se font de l’Islam. Ainsi la Turquie demeure pour eux le pays islamique par excellence. N’ayant que peu entendu parler du Kémalisme, ils assimilent trop rapidement la pratique religieuse de nombreux travailleurs immigrés à la réalité politique et économique d’une Turquie dont les citoyens les plus ouverts, les plus européens, et par conséquent les plus attachés à la démocratie, ont sans cesse rejeté toute forme d’intégrisme et toute prise influence de l’Islam sur les affaires de l’Etat. A l’inverse du Président Christian Wulff qui lors de son très bon discours du 3 octobre dernier a reconnu l’appartenance de l’Islam à l’Allemagne, la chancelière n’a pas encore pris la mesure de cette nouvelle dimension religieuse, culturelle et politique. Parce que trop soucieuse de ne pas heurter l’aile droite de la CDU, mais aussi influencée par une vision très traditionaliste de l’Allemagne, elle vient de décréter la fin du modèle multiculturel dont la gauche allemande s’était fait l’avocate depuis près de trente ans.
Ce modèle est toutefois moins exemplaire que ses défenseurs ne veuillent bien le prétendre. Il favorise certes l’acceptation de l’autre, mais réfute son intégration au sein de la société. Il est fondé sur le principe du respect mais non sur celui de l’égalité. Se voulant tolérant, il a aussi pour effet pervers de distinguer ce qui est allemand de ce qui ne l’est pas. Toutefois, telle ne fut jamais la volonté de la gauche allemande qui, en la matière, a certainement confondu générosité et diversité.
Il n’en est pas de même pour Angela Merkel. Prononcé devant les jeunes de la CDU/CSU, soit devant la Junge Union connue pour ses positions doctrinales, son discours a provoqué de multiples réactions. Beaucoup y voient la fin d’une Allemagne plurielle. D’autres craignent même une recrudescence de la xénophobie. Mais au-delà même de la polémique, il se situe dans l’esprit de ce protestantisme luthérien qui peut même prendre des contours particulièrement rigoristes, voire dangereux pour l’ensemble de la société allemande. Alors que les protestants de gauche ont souvent oeuvré pour une Allemagne plus ouverte, ceux de droite ont parfois défendu les positions les plus scélérates que l’Allemagne a connues durant son histoire. Ainsi est-il bon de rappeler que, à l’exception de quelques personnalités comme le pasteur Martin Niemöller, l’Allemagne évangélique fut plus nazie que ne le fut l’Allemagne catholique. Bavière y compris. Angela Merkel est heureusement très loin de cette dérive intellectuelle. Néanmoins cette fille de pasteur demeure toujours influencée par une pensée luthérienne. Celle-ci, qui bien que se voulant réformatrice à l’origine, a aussi cautionné les pires affres de l’histoire allemande.
http://www.marianne2.fr/Au-dela-du-MultiKulti-l-Allemagne-prisonniere-des-religions_a199010.html
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