Les petits épargnants de Bank of America garantissent aujourd’hui ses gigantesques positions de dérivés. Spéculation assistée?
Pendant que l’Italie et la Grèce faisaient la une des médias, une banque américaine présentait une facture de risques plus importante que celle des deux pays réunis: Bank of America Merrill Lynch. En effet, trois ans après avoir bénéficié d’un sauvetage de 45 milliards de dollars, BofAML, dont la note de crédit a été rétrogradée par Moody’s le 21 septembre, a dû trouver rapidement, avec les régulateurs, une solution face à l’explosion des risques de son portefeuille de dérivés. Jusque-là, officiellement, on considérait que BofAML et Citigroup avaient remboursé au Trésor l’intégralité des prêts qu’il leur avait consentis en catastrophe en 2008, et ce avec intérêts. Et officiellement, on considérait que les banques américaines avaient passé avec succès les «stress tests» (tests de résistance) de l’administration Obama en février 2010. Mais depuis 2011, les risques posés par les contrats de dérivés émis par la banque d’affaires (Merrill Lynch) n’étaient plus adéquatement couverts.
Méga sauvetage passé inaperçu
Ces dernières semaines, on a donc assisté au transfert discret du gigantesque portefeuille de dérivés de BofAML, estimé à 75 000 milliards de dollars, du bilan de la banque d’affaires vers le bilan de la banque de détail du groupe, celle qui s’occupe des petits clients et bénéficie d’une garantie d’Etat. Ainsi, ce portefeuille hautement spéculatif peut-il désormais bénéficier de la garantie de la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). Le tout, sous la bénédiction de la Réserve fédérale (Fed), qui a approuvé une exemption de BofAML en septembre afin d’autoriser cette opération. De sauvetage, il ne fut pas question dans les médias, et pourtant, celui-là est de taille. L’objectif est en principe d’éviter de la sorte un problème au système financier global, mais la réalité est que les petits déposants d’une banque comme BofAML garantissent aujourd’hui son énorme exposition en dérivés. La subvention permettant de garantir aux épargnants l’accès à leurs dépôts se voit ainsi détournée pour couvrir les risques de la banque d’affaires. Telle est la solution qu’ont trouvée les banques d’affaires fusionnées par Washington en 2008: au lieu d’augmenter les fonds propres dans l’unité vraiment concernée par les risques — ce qui la rendrait évidemment moins lucrative — ils obtiennent des dérogations du Trésor et de la Fed afin de pouvoir spéculer en s’appuyant sur les divisions sûres des petits déposants qui ont une garantie étatique. Et quand ces risques ne sont pas parqués chez les petits clients, ils sont dissimulés hors bilan. C’est le cas de MF Global, le courtier américain parti récemment en faillite. Ces risques, amplifiés par l’effet de levier, sont d’autant plus inquiétants qu’ils sont cachés. Les régulateurs peuvent bien insister pour que ces risques hors bilan retournent sur les bilans, le coût en serait exorbitant, d’autant que les banques américaines n’appliquent actuellement que les règles prudentielles de Bâle I, alors que la Suisse s’empresse d’appliquer Bâle III.
La concentration des risques n’a jamais été aussi élevée. Sait-on que 94% du marché américain des dérivés est concentré entre les mains de trois banques, à savoir BofAML, Citigroup et Goldman Sachs? Citigroup a aussi le don de passer inaperçue ces derniers jours. Elle a réglé en catimini une amende de 285 millions de dollars après avoir admis avoir vendu des papiers subprimes défaillants à ses clients en 2007, puis parié contre eux. La somme est symbolique, pour un établissement qui a gagne 4 milliards de bénéfices par trimestre. Mais la pratique est identique à celle de Goldman Sachs. Les banques américaines ont été les principales vendeuses de CDS (dérivés permettant de se couvrir ou de spéculer sur un défaut) sur les dettes européennes au premier semestre 2011, augmentant le risque de remboursement en cas de défauts réels. Les garanties des prêteurs américains sur la dette souveraine, bancaire et d’entreprises européennes ont augmenté de 80 milliards, à 518 milliards. Les banques américaines indiquent que les ventes de CDS sont «nettées» (compensées) par l’utilisation de couvertures. Mais le problème est l’extrême imbrication des contreparties: cinq banques américaines émettent 97% des CDS, et 74% du négoce global de CDS est concentré entre seulement 20 banques. En cas de défaut, ces contreparties seront-elles solvables? Si chacun a une exposition aux autres, qui va payer au final pour les pertes?
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