Dans un avis juridique fort intéressant publié sur le site de la Banque Centrale Européenne, il est question de l'expulsion et du retrait volontaire d'un pays membre de l'Union européenne et de la zone euro. Si, grâce au Traité de Lisbonne, les Etats disposent au moins théoriquement d'un droit unilatéral de sortie de l'Union, ont-ils pour autant le droit de sortir de l'euro ? L'Union ne pourrait-elle pas, réciproquement, en mettre quelques-uns dehors ? Edgar* y voit clairement un "avertissement à la Grèce".
La Banque Centrale Européenne publie sur son site un avis juridique consacré à la question de l'expulsion ou du retrait d'un pays membre de l'Union européenne et de la zone euro. Très délicatement, cette note est signée Phoebus Attanassiou, vraisemblablement grec (ou chypriote ?).
Télécharger la note, intitulée "Withdrawal and expulsion from the EU and EMU: some reflections" (note à M. Raffarin : tout le site de la BCE est en anglais).
Peu importe. Il s'agit dans cette note (que je n'ai parcourue qu'en diagonale, elle fait 50 pages denses), d'étudier ce qui se passe en cas de sortie de l'eurozone par un pays membre.
Quelques idées relevées dans ce papier :
1. Très clairement, d'après M. Attanassiou, donc d'après la BCE, un retrait de l'Union européenne avant le Traité de Lisbonne était impossible. L'Union européenne est un état, de facto, dont les régions que sont l'Allemagne, l'Italie, la France et autres survivances folkloriques ont perdu assez vite le droit de se retirer (the lack, until recently, of a formal exit clause in Community primary law must have been intentional, testifying to the Member States’ lasting commitment to the EU’s objectives and to the irreversibility of the European unification process, which is irreconcilable with a unilateral right of withdrawal).
Il ne s'agit pas d'une simple position de juriste international considérant qu'un état ne peut se dédire d'un traité. L'auteur assimile l'Union européenne à un état en devenir et démarque bien cette institution liberticide d'un simple traité (it would be to disregard the sui generis constitutional nature of the Community legal order and the ECJ’s well-established interpretation of the treaties as being permanently binding on the Member States.)
L'auteur renvoie ceux qui prétendraient que les états membres de l'union européenne ont conservé leur souveraineté à leur ringardise : "it would be to subscribe to an extreme and largely obsolete concept of sovereignty".
Comme le Traité de Lisbonne prévoit une clause de retrait explicite - assimilée à une énorme faute de goût par M. Attanassiou (a recently enacted exit clause is, prima facie, not in harmony with the rationale of the European unification project and is otherwise problematic, mainly from a legal perspective), il faut se féliciter du passage en force du Traité de Lisbonne.
2. on trouve confirmation du fait qu'entre européens on ne mache pas ses mots. Alors que les européens nous rebattent les oreilles de la faiblesse de la pauvre Union européenne (on nous a refait le coup récemment avec Copenhague), notre juriste note que l'Union voit sans cesse s'accroître ses pouvoirs souverains, à mesure que les états en sont dépouillés (The Union’s slow but continuing progress towards a more advanced level of integration, involving closer political and economic ties between its Member States and the transfer of an ever-increasing share of their essential sovereignty to the supranational European institutions).
3. Pour la BCE, la sortie d'un membre de l'eurozone est une possibilité non nulle (however remote, the risk of a non-compliant Member State being expelled from the EU or EMU is still conceivable).
4. Un état qui sortirait de la zone euro actuellement devrait également quitter l'Union européenne. Mais l'auteur ajoute qu'un état qui quitterait l'Union européenne pourrait continuer à utiliser l'euro.
5. Une province d'un état-membre qui déclarerait son indépendance n'aurait pas de droit automatique à une place dans l'Union européenne (the assumption that the EU would treat both the rump Member State and the seceding entity as Member States would not hold true, as the rump Member State could veto the accession of the seceding entity under Article 49 TEU [...]. Moreover, it cannot be in the EU’s interest to have an ever increasing number of veto-wielding members, as this would make its business more difficult to manage).
6. Question soulevée par Attanassiou : si, grâce au Traité de Lisbonne, les états disposent indéniablement d'un droit unilatéral de sortie de l'Union, ont-ils pour autant le droit de sortir de l'euro ? L'auteur conclut que ce n'est pas très clair en l'état du traité. Les états ayant le droit de sortir de l'Union doivent a fortiori avoir le droit de sortir de l'euro, mais autant la sortie de l'Union est organisée par les textes, autant il y a silence sur la sortie de l'euro - puisqu'au contraire l'entrée dans l'euro est explicitement désignée comme "irrévocable". L'auteur en conclut qu'il faudrait amender le traité de Lisbonne (good luck my dear fellow !)
Il rappelle aussi que la politique peut faire des miracles : le Groenland a quitté l'Union européenne en 1982-1984, dans le silence des textes et contre l'interprétation des traités que défend l'auteur.
7. Non content de constater que la sortie unilatérale de l'euro sans quitter l'Union pose un cas juridique complexe, l'auteur se demande si, puisque les états peuvent sortir de l'Union, l'Union ne pourrait pas, réciproquement, en mettre quelques-uns dehors ? La question se pose d'ailleurs aussi bien pour l'Union que pour l'euro d'après lui. Pour mettre un état en dehors de l'Union, la question est complexe et juridiquement difficile. Mais son propos n'est pas l'Union en général, le représentant de la BCE s'intéresse plus particulièrement à une question : peut-on sortir un état de la zone euro ? L'auteur ne répond pas sur ce point, qu'il trouve juridiquement très peu justifiable, mais s'attarde longuement sur un fait : il serait possible que les états membres de l'Union ayant évacué un pays membre, concède à celui-ci la possibilité d'utiliser l'euro comme monnaie domestique (euroisation concédée). L'auteur cite San Marin, le Vatican et Monaco comme exemples.
Que conclure de ce papier ?
1. Il est brillant et fort intéressant. Nul doute que l'auteur a traité le problème à tous les niveaux, depuis les principes du droit public jusqu'aux détails techniques.
2. On peut le lire comme un avertissement à la Grèce : la BCE et l'Union européenne se préparent à votre départ. Ce qui est envisagé c'est de vous mettre à la porte de l'euro et de l'Union (c'est indissociable pour l'auteur) et de vous laisser utiliser l'euro sans participer à sa gestion (comme cela l'Union ne sera pas accusée d'ingratitude).
3. On notera avec beaucoup d'intérêt que dans le secret des notes obscures et techniques publiées en anglais, les juristes du système européen se lâchent : bien sûr que l'Union européenne est un état, bien sûr qu'elle grignote les pouvoirs souverains les uns après les autres et bien évidemment il est inconcevable que ce système soit défait - même si une clause de sortie de l'Union chagrine beaucoup les doctes et trouble l'harmonieuse marche en avant sans issue de secours que dessinaient jusque là les traités.
4. Le mieux : il est de moins en moins irréaliste d'évoquer, de demander et de préparer la sortie de la France de l'Union européenne. Puisque déjà, officiellement, la Banque Centrale Européenne s'y prépare.
http://www.observatoiredeleurope.com/La-BCE-prepare-t-elle-l-expulsion-d-un-pays-de-l-eurozone_a1329.html
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