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30/01/2010

Face-à-face entre Christian Estrosi et Daniel Paul

Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, et Daniel Paul, député PCF de Seine-Maritime, confrontent leurs analyses sur les causes du déclin industriel et les moyens d’inverser cette tendance.

Le constat d’un affaiblissement préoccupant de l’industrie française, amorcé de longue date et accéléré par la crise actuelle, est assez partagé. À quoi l’attribuez-vous ?
CHRISTIAN ESTROSI. Les politiques, de gauche comme de droite, ont abandonné depuis vingt ou trente ans l’idée que la France avait un avenir industriel. On a trop laissé croire à l’avenir des services et que l’industrie lourde ou de pointe était démodée. Forcément, quand on distille ce venin dans la conscience collective depuis des générations, tout doucement, on pousse les jeunes vers les métiers de la finance. En même temps que les groupes délocalisent, c’est de la main-d’oeuvre, des savoir-faire qui se perdent pour notre pays. Regardez dans l’industrie de la mode, tout ce qui est sous-traité dans les pays de la Méditerranée, et les combats qu’il faut mener pour sauver nos derniers façonniers, nos brodeurs. Et dans le domaine des télécommunications ! Nous avons de très bonnes écoles d’ingénieurs, mais beaucoup d’élèves s’interrogent : est-ce que je ne prends pas un risque, alors que les grandes entreprises de télécom ont tendance à développer leur Recherche et Développement (R&D) en Asie ? Donc, il y a bien une faute des politiques, qui n’ont pas suffisamment promu les formations, les orientations scolaires et universitaires dans ces voies. Ensuite, tout s’enchaîne…
DANIEL PAUL. C’est vrai que certains, dont nous n’avons jamais été, ont intérêt à dénigrer la vocation industrielle de la France, pour menacer de délocaliser, peser sur les salariés et obtenir des exonérations et aides diverses. L’industrie française a souffert, et continue de souffrir, avant tout d’une logique de gestion financière. Depuis vingt ans, c’est cette recherche de la rentabilité financière qui tient lieu de politique industrielle. Nous perdons massivement des emplois industriels (100 000 depuis janvier 2009) ; en huit ans, notre part dans la production industrielle européenne a baissé de 25 %. Mais dans le même temps, la part des dividendes versés aux actionnaires dans la valeur ajoutée est passée de 5 % à 25 % ! Cherchez l’erreur ! La loi du taux de profit étouffe notre industrie, mais votre gouvernement, comme votre majorité, a laissé faire. J’entends vos paroles, mais vos actes les contredisent.
CHRISTIAN ESTROSI. Vous dites : « La majorité a laissé faire. » Je dis que, si nous en sommes arrivés là, c’est que tout le monde a laissé faire. L’ensemble des gouvernements, de gauche ou de droite, ont considéré que nous étions une société de liberté inconditionnelle du marché et que l’interventionnisme de l’État n’avait plus lieu d’être. Nous avons un modèle social que le monde nous envie. Ce modèle est une force, pas un handicap. En même temps, nous sommes confrontés à une concurrence internationale où tous les pays ne s’imposent pas les mêmes règles sociales ou environnementales, ce qui permet à certains de produire à moindre coût. À partir du moment où on laisse cette liberté du marché, et où on défend notre modèle social, les groupes se disent : pour être à la pointe dans le marché international, on délocalise.

« L’industrie française a souffert, et continue de souffrir, avant tout d’une logique de gestion fi nancière. Depuis vingt ans, c’est cette recherche de la rentabilité fi nancière qui tient lieu de politique industrielle. »
DANIEL PAUL

Que peut-on faire ? Je fonde d’abord des espoirs sur l’Europe. À l’heure où un nouveau cycle institutionnel s’ouvre, il faut engager le chantier de la révision de la stratégie européenne de croissance et d’emploi post- Lisbonne. Je défendrai devant les instances de l’UE la nécessité d’initier une politique industrielle forte, par filière, et d’avoir une politique aux frontières davantage axée sur la réciprocité. Ensuite, la France a commis des erreurs que l’Allemagne n’a pas commises. L’Allemagne a su organiser, structurer ses filières, créer des écosystèmes gagnant-gagnant. Aujourd’hui, quand on dit que l’industrie française fabrique des modèles, on ne se demande pas d’où viennent les composants, par qui ils sont faits. Certains modèles de voiture sont fabriqués avec 60 % de composants produits à l’étranger, parce que notre sous-traitance a été délocalisée. L’Allemagne a su résister : quand elle décide de concevoir un nouveau modèle, d’auto, de robot, ou de médicament, les donneurs d’ordres mettent tout le monde dans la boucle, du plus gros industriel au plus petit sous-traitant.

En France, les constructeurs auto ont reçu 6 milliards d’euros d’aides publiques pour surmonter la crise, mais cela ne les a pas empêchés de continuer leurs pressions sur les sous-traitants, qui ont beaucoup souffert. Le mode d’intervention de la puissance publique n’est-il pas à revoir ?
CHRISTIAN ESTROSI. Les 6 milliards, c’était des prêts, pas une subvention. Si on ne l’avait pas fait, on aurait perdu deux grands constructeurs d’automobiles. Mais j’ai eu à reprocher aux industriels de l’auto de laisser tomber les sous-traitants, de rang 2 et plus, ceux qui fabriquent les composants. Là, il ne s’agit pas seulement d’être en réaction, mais d’anticiper, de voir comment accompagner ces PME qui sont le fondement même du savoir-faire qui fera que, demain, on pourra construire une auto française avec des équipements français. Il s’agit de structurer une relation industrielsfabricants de composants qui n’existe pas aujourd’hui. La voiture électrique Zoe, qui va être fabriquée à Flins, va démarrer avec 35 % de composants français, 65 % d’étrangers. Nous venons d’obtenir du président de Renault l’engagement qu’on passe en trois ans à 70 % de composants fabriqués en France. Et quand on me dit qu’en Turquie, il coûte 10 % moins cher de produire les petits véhicules, je pose la question : et le coût des transports ? On ne peut vouloir être exemplaire en matière écologique sans calculer le taux d’émission de CO2 que représente de faire venir un petit véhicule pour le marché français. La suppression de la taxe professionnelle va représenter 51 millions d’euros d’économies pour Renault. Cela compense une bonne part de ces 10 % d’écart de coût, et cela légitime qu’on produise plus de petits véhicules en France.
DANIEL PAUL. Encore une fois, il y a ce que vous dites et ce qui se passe dans la réalité. Oui, il faut que la puissance publique intervienne, et il ne faut pas laisser faire les groupes. Or, on a laissé, et vous laissez toujours faire. Même dans le cas de Renault. Parce que l’atterrissage, après le psychodrame de ces derniers jours (l’injonction gouvernementale de ne pas délocaliser la production de la future Clio IV – NDLR), signifie : vous pouvez continuer ! Renault, qui ne réalise plus que 25 % de sa production en France, ne va pas changer d’orientation. Une minorité de Clio III (120 000 environ) sont produites en France, à Flins, ce sera à peu près la même chose pour la Clio IV. En sachant que la Clio IV est essentiellement destinée à l’importation en Europe de l’Ouest. C’est un exemple précis de délocalisation pour réimporter en France et en Europe de l’Ouest. Cette logique améliore les profits, fait chuter notre part de production, met les salariés en concurrence et casse notre socle social. Elle est inacceptable.

Oui, l’État doit intervenir, mais il ne suffit pas d’avoir 15 % de participation au capital, comme chez Renault, pour peser sur les décisions du groupe. Ni même 33,4 %, comme à STX, aux chantiers navals de Saint-Nazaire, où entre 300 et 400 emplois, dont des emplois d’ingénieurs, vont être supprimés… La présence au capital n’a de sens que si l’État a la volonté politique de porter une véritable politique industrielle. Il faut revoir l’ensemble des aides publiques, des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises ; elles se chiffrent en dizaines de milliards d’euros, qui devraient être conditionnés à des objectifs en termes d’emplois, d’activités. Prenez la recherche, élément majeur pour améliorer l’outil industriel, la production, la perception même de l’industrie par nos concitoyens. Vous développez le crédit d’impôt recherche (CIR) alors qu’il sert surtout les grands groupes ; son poids fiscal sera de 4 milliards d’euros en 2010, soit la deuxième dépense fiscale de l’État. Et cela, sans contrôle sérieux ! La direction d’Alcatel reconnaît même que le CIR est un « revenu », un « effet d’aubaine ». Les salariés doivent aussi disposer de plus de droits dans l’entreprise, non parce qu’ils seraient actionnaires, mais parce qu’ils sont partie prenante du travail global, et qu’à ce titre, ils ont leur mot à dire sur les stratégies. Aujourd’hui, les seuls qui défendent l’industrie, ce sont souvent les salariés, comme le montrent les propositions qu’ils font à Renault Sandouville.
CHRISTIAN ESTROSI. Sur le crédit d’impôt recherche, j’ai demandé une étude pour savoir combien de brevets financés par le CIR aboutissent à un produit made in France, combien restent dans les tiroirs et combien sont utilisés, après avoir été payés par le contribuable, pour aboutir à un produit fait hors de France. Si vous partez pour produire à l’extérieur en utilisant la matière grise des ingénieurs français, c’est un vrai problème. Mais je ne veux pas non plus montrer du doigt ceux qui ne vont pas jusqu’à la production. Souvent, ce sont des PME qui n’ont pas les moyens d’investir. C’est pourquoi il faudra réfléchir, une fois faite l’évaluation exhaustive du dispositif existant, à une nouvelle répartition des sommes du CIR, entre recherche et innovation, pour doper les produits de rupture qui tirent la croissance et l’emploi dans la durée. Nous avons l’exigence d’accompagner le monde industriel français sur l’innovation et la montée en gamme. Vous ne sauverez pas l’emploi industriel français si vous fabriquez des produits médiocres. Cela vaut pour l’automobile, comme pour le médicament, où le passage aux biotechnologies est un combat fondamental, face à Novartis, aux géants américains…

Vous évoquez l’industrie du médicament. Mais Sanofi -Aventis, après avoir largement bénéfi cié du crédit d’impôt recherche, a annoncé en 2009 son intention de supprimer 1 200 emplois dans la recherche…
CHRISTIAN ESTROSI. Cela s’appelle des restructurations. Il faut comprendre : soit Sanofi passe aux médicaments de nouvelle génération, fondés non plus sur la recherche chimique, mais sur la recherche biotechnologique, soit il n’y aura plus, à terme, de Sanofi.
DANIEL PAUL. Sanofi veut réduire sa part de recherche sur les médicaments en France, au profit de « produits de santé », faire de la croissance externe et positionner le groupe dans d’autres pays, le tout au détriment de nos sites industriels, des labos de recherche, donc de l’innovation. Vous le savez bien, les « départs volontaires » sont des suppressions de postes. Les salariés se voient proposer aujourd’hui 1,2 % d’augmentation salariale quand les actionnaires vont toucher le jackpot : Sanofi annonce 9 milliards d’euros de bénéfice. Résultat ? Des dividendes en hausse de 80 % en quatre ans. La colère des salariés de Sanofi est légitime et je pourrais donner d’autres exemples.
CHRISTIAN ESTROSI. Sanofi a besoin de se tourner vers l’innovation industrielle pour mettre au point les médicaments de demain. Forcément, ce sont d’autres emplois qualifiés qui seront capables de le faire. Et pour les emplois qualifiés qui travaillaient sur les savoir-faire de Sanofi aujourd’hui, Sanofi a pris l’engagement auprès de moi que, tant qu’ils ne seront pas repositionnés dans d’autres entreprises et des métiers équivalents à ceux qu’ils font aujourd’hui, ils seront préservés.

Il y a un grand absent dans le débat jusqu’alors, ce sont les banques. Le financement de l’industrie est une question-clé. Si les grands groupes peuvent faire appel aux marchés financiers, et compter sur l’aide de l’État, ce n’est pas le cas des PME, qui se heurtent à la frilosité des banques. Comment, selon vous, faire en sorte qu’elles contribuent au renouveau de l’industrie ?
CHRISTIAN ESTROSI. Une des propositions émanant des États généraux de l’industrie est d’augmenter la part de l’épargne des Français pour financer l’industrie, par exemple à travers des investissements des compagnies d’assurances dans le secteur industriel, notamment en direction des PME-PMI et des TPE industrielles.

« Dans les États généraux de l’industrie, tout le monde le dit : sans innovation, pas de développement économique, pas de soutien au maintien de nos emplois localisés. »
CHRISTIAN ESTROSI

Nos PME souffrent d’un manque de fonds propres, d’investisseurs stables. D’un autre côté, notre pays dispose d’un taux d’épargne parmi les plus élevés du monde. Le premier capteur de cette épargne, c’est l’assurance-vie, avec plus de 1 200 milliards d’euros. Une masse potentielle extraordinaire de financement pour l’industrie. Il faut mettre en place des règles permettant d’orienter une plus grande part de cette manne vers l’industrie. Il faut aussi travailler sur la proposition, faite par la CGT et FO, consistant à créer une « banque de l’industrie ». Les PME-PMI n’ont pas assez accès au crédit, les banques se comportent mal. Ce nouvel organisme ne serait pas nécessairement un établissement bancaire en tant que tel, mais un organisme d’observation, d’orientation du financement long, qui pèserait sur les banques pour établir une ligne de conduite favorable au financement long de nos PMI.
DANIEL PAUL. Depuis le début, je dis que l’enjeu est de sortir du carcan de la logique financière dans lequel les banques et les grands groupes enferment notre industrie. Cette « banque de l’industrie » qui ferait de l’observation, j’avoue ne pas bien voir ce que c’est…
CHRISTIAN ESTROSI. Il faut que vous en parliez à Bernard Thibault !
DANIEL PAUL. Nous, nous proposons la création d’un pôle public financier, regroupant des organismes publics comme la Caisse des dépôts, Oséo, le secteur mutualiste… Avec ce pôle public, l’État pourrait donner corps à une politique industrielle, orienter les crédits vers les PME et les sortir des griffes des grands groupes.
CHRISTIAN ESTROSI. La « banque de l’industrie » répondrait largement à ces attentes !
DANIEL PAUL. La réalité de votre politique contredit vos paroles ! Nous proposons aussi de modifier les relations grands groupes/sous-traitants, de créer dans les régions des « fonds publics pour l’emploi », en veillant à toute la chaîne, qui va de la recherche à la production, dans des secteurs émergents, mais aussi dits traditionnels.

Des syndicats, la CGT en particulier, ont regretté la quasi-absence de la question sociale dans les États généraux de l’industrie. Le renouveau industriel ne passe-t-il pas par une revalorisation du travail, en termes de salaire, de formation, de conditions de travail, notamment ?
CHRISTIAN ESTROSI. Je soutiens la proposition d’instaurer une conférence nationale de l’industrie pour associer enfin à la gouvernance de la stratégie industrielle chacun des partenaires sociaux, de façon à prendre pleinement en compte le volet emploi et formation. Ce serait, pour moi, le véritable outil de stratégie industrielle transverse dont notre pays a besoin. Cette conférence pourrait identifier les secteurs à fort potentiel de croissance et d’emploi, les besoins de compétences, et proposer les plans de formation associés. Dans les États généraux de l’industrie, tout le monde le dit : sans innovation, pas de développement économique, pas de soutien au maintien de nos emplois localisés. D’un autre côté, tout ça ne doit pas faire de l’emploi une variable d’ajustement à l’intérieur de l’entreprise. Il faut donc aussi moderniser la relation sociale. Ce n’est pas dans le conflit qu’on peut construire l’avenir de l’industrie, mais par le dialogue social.
DANIEL PAUL. À quelques semaines des régionales, vous tentez de donner le change à une opinion publique très critique devant votre politique économique, mais, au-delà des mots, votre objectif est d’adapter notre pays aux exigences de ces grands groupes qui mènent aujourd’hui la danse. La quasi-absence du social dans votre discours est significative. Pourtant, l’augmentation du pouvoir d’achat, par la revalorisation des salaires, est indispensable au soutien de notre industrie. La prime à la casse l’a bien montré pour l’automobile. En outre, pour faire face au départ massif en retraite de salariés dans les années à venir, un effort considérable de formation s’impose, ce qui justifie notre demande d’une sécurité d’emploi et de formation. L’explosion des souffrances au travail a montré l’urgence d’une amélioration des conditions de travail.

Enfin, 600 000 chômeurs vont arriver en fin de droits en 2010. Et ça, c’est le résultat des réalités économiques et industrielles de ces derniers mois. Le gouvernement refuse de prendre cette question en compte, en renvoyant à l’Unedic, qui est déjà au quatrième dessous. Vous dites avoir sauvé les banques avec des aides publiques massives, mais vous continuez d’autoriser les bonus. Il faut une action, à la hauteur de ce qui a été fait dans le domaine économique, pour ces travailleurs en situation difficile.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR YVES HOUSSON ET CLOTILDE MATHIEU

http://www.humanite.fr/Face-a-face-entre-Christian-Estrosi-et-Daniel-Paul

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