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01/12/2009

L’actualité de la crise: la facilité pour les uns, les efforts pour les autres

François Leclerc

La BCE devrait annoncer en fanfare, jeudi prochain à l’occasion de la réunion de ses gouverneurs, que sa prochaine adjudication à un an sera la dernière. Des spéculations font par ailleurs état dans la presse spécialisée d’une modification des conditions dans lesquelles certaines de ses autres adjudications, à plus courtes échéances, pourraient à nouveau être soumises à appel d’offres (et non plus, comme c’est actuellement le cas, être illimitées en volume selon un taux annoncé à l’avance). Ces ajustements signifient que la banque centrale s’efforce, en entamant un processus de modification des mesures de soutien financier aux banques, de sortir celles-ci de l’addiction dans laquelle elles semblent être tombées, dont Jean-Claude Trichet (le président de la BCE) s’était inquiété, et les engager à revenir sur le droit chemin. Tout en cherchant à contenir la croissance de la bulle financière qui continue de prospérer, ce qui pourrait être sa véritable intention.

La suite dira si ces objectifs ont des chances d’être atteints, au moins partiellement, alors que les autres grandes banques centrales ne s’engagent pas sur le même chemin, ni aux Etats-Unis, ni au Japon, ni au Royaume-Uni. Le problème de la synchronisation des politiques financières reste entier. Dans ces conditions, on peut se demander (façon de parler) s’il n’est pas illusoire de chercher ainsi à relancer le crédit, le système bancaire européen, à commencer par les banques allemandes, restant pour sa part très fragilisé. Pour considérer que les banques européennes risquent de s’adapter à cette nouvelle politique de la BCE, un peu plus restrictive, en réactivant des marchés qui étaient délaissés, pour avoir trop contribué à la crise, et qu’elles vont ainsi accroître leurs prises de risques afin de continuer à renforcer leurs marges pour de se renflouer…

Quelque soit l’angle sous lequel on observe la situation, une seule et unique constatation peut être tirée : la phase aiguë de la crise passée, nous sommes désormais dans la phase chronique de la maladie (caractérisée par une lente évolution, mais n’allant pas nécessairement vers un mieux).

La situation allemande est à cet égard assez exemplaire. Les banques pourraient avoir à déprécier encore jusqu’à 90 milliards d’euros, selon la Bundesbank. Entre 50 et 75 milliards en raison des défauts à venir sur les crédits consentis (d’ici fin 2010), et de 10 à 15 milliards sur des produits financiers titrisés (des CDO). Le gouvernement s’apprêterait par ailleurs à garantir pour 10 milliards d’euros de créances des banques, espérant qu’elles génèrent en proportion un volume de crédit de l’ordre de 100 milliards d’euros, alors que la chancelière Angela Merkel vient à nouveau de tirer la sonnette d’alarme à ce propos. Affirmant : « Nous sommes dans une situation critique » (en ce qui concerne le financement des grandes et moyennes entreprises), tout en rappelant que les banques ont « des devoirs envers l’ensemble de la société en tant que responsables économiques », pour publiquement conclure que « nous exigeons que les institutions financières remplissent leurs devoirs ».

L’exaspération semble revenue au sein des instances gouvernementales allemandes, la première poussée ayant été occasionnée par la découverte de l’ampleur des dégâts et des risques inconsidérés pris par les banques. Car elles ne se précipitent pas pour utiliser le dispositif de « bad bank » péniblement mis au point par le gouvernement précédent, à l’exception de l’une d’entre elles, la banque régionale WestLB, qui envisage d’y déposer pas moins que la valeur de 85 milliards d’actifs à elle seule. La garantie gouvernementale qui est apportée à ces actifs, permettant d’éviter de les déprécier, ayant en effet pour contrepartie un contrôle des salaires des cadres supérieurs. L’espoir grandissant, par ailleurs, que le rétablissement des marchés financiers permette d’éviter cette contrainte.

Mais cette situation, où les banques privilégient leurs opérations financières sur les marchés au détriment du crédit, met à mal l’application des mesures envisagées par le nouveau gouvernement, notamment en matière de réduction des impôts, suscitant déjà une polémique publique avec un « comité des sages », qui considère inopportun de telles initiatives en raison du déficit des comptes publics. Alors que le gouvernement vient de décider de prolonger d’un an, jusqu’à fin décembre 2010, son dispositif de soutien au chômage partiel (pris en charge de 67% des revenus manquants), un élément essentiel de son plan social, plus d’un million de travailleurs allemands en bénéficiant.

Si l’on cherche un point de vue plus global, l’étude, dernièrement rendue publique, de Standard & Poor’s est incontournable. Elle analyse le montant des fonds propres de 45 des plus grandes banques mondiales, en application de règles propres d’évaluation de l’agence de notation, plus restrictives que le flou réglementaire qui règne actuellement. Il apparaît que la plupart des banques étudiées sont nettement en dessous du ratio de 8% minimum (rapport fonds propres/engagements), qui est actuellement la norme. Ce ratio devant être prochainement fortement élevé, en application des décisions du G20, dans le cadre des mesures de régulation antisystémiques. S&P’s considère en effet avec moins de tolérance que cela n’a été jusqu’alors le cas les fameux titres hybrides, qui ont l’étrange capacité de transmuer de dettes en actions, alors que l’on attend à ce propos les conclusions du Comité de Bâle, qui devrait énoncer la règle à appliquer pour déterminer ce qui doit être ou non considéré comme entrant dans le calcul du ratio de solvabilité.

L’enjeu est très important, car il pourra impliquer de la part des banques de très gros efforts d’accroissement de leurs fonds propres. Ce qui les incite, afin de faire pression, à mettre en garde à propos de l’adoption de normes trop drastiques… qui les empêcheraient de soutenir l’économie avec leurs crédits. Baudoin Prot, directeur général de BNP Paribas et président de la Fédération des banques françaises (FBF), vient ainsi de juger, à l’occasion d’une conférence organisée par The Economist, qu’il est « absurde qu’on insiste à ce point sur la question des capitaux propres ». Poursuivant « Pourquoi diable devrions-nous relever les exigences en capital à un niveau tel que cela pèsera sur le financement de l’économie ? ».

Sur un autre aspect de la prévention des risques systémiques, on apprenait aujourd’hui que le FSB (Conseil de stabilité financière) était engagé dans une concertation internationale avec une trentaine d’établissements financiers (banques et assurances). La tâche s’avérant particulièrement complexe. Car, du dire même des experts du FSB, il n’y a pas de définition de ce qu’est un établissement systémique, la distinction étant extrêmement difficile à établir entre ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas ! Logiquement, il a donc été précisé à propos de ce groupe de travail, que la liste de ses trente participants, par ailleurs secrète (tout en pouvant être facilement établie sur un coin de table), ne recoupait pas celle des établissements systémiques, qui n’est pas dressable… Albert Cohen n’aurait pas trouvé mieux pour un chapitre supplémentaire de « Belle du seigneur » ! On croit pourtant savoir que la discussion porterait notamment sur l’établissement des désormais célèbres testaments, dont les dispositions permettront en cas de besoin le démantèlement d’un établissement systémique donné (voir plus haut). D’après des indiscrétions, rapportées par le Financial Times, certains de ces établissements ont fait valoir qu’il serait extrêmement difficile de les établir, étant donné que l’on ne sait pas par avance le maillon de la chaîne qui va craquer… Pour résumer les travaux approfondis du FSB, on peut donc écrire qu’il travaille à la conception de testaments, sans savoir ni comment les établir, ni qui va devoir le faire.

Alors que l’audition de Ben Bernanke par le Sénat américain, à l’occasion de la confirmation de sa nomination à la présidence de la Fed par Barack Obama, va être l’occasion de mesurer l’évolution de l’état d’esprit des sénateurs, les Européens continuent d’être embourbés dans leurs propres avancées à propos de la régulation financière. Les Britanniques continuent de bloquer l’adoption du dispositif de supervision financière européen, tandis que la réglementation future des hedge funds laisse de plus en plus de latitude aux Etats de l’Union européenne, les règles prévues se limitant à un cadre très général. En particulier à propos des hedge funds qui ne seront pas basés en Europe. C’est devenu un panier percé rempli d’exigences formelles laissant aux gestionnaires de ces trous noirs de grandes libertés pour exercer leurs talents. Les réactions satisfaites des professionnels à propos de la tournure que prennent les discussions ne trompent pas sur la direction qu’elles empruntent. On devrait mieux apprécier l’ensemble les 10 et 11 décembre prochains, à l’occasion de la prochaine réunion des dirigeants européens, précédée cette semaine d’une rencontre des ministres des finances.

Les ministres vont y être fort occupés, sommés de toute part de présenter des stratégies de réduction des déficits, en vue de les appliquer plus tard (mais d’y préparer les esprits). La tendance est désormais inversée, et ce ne sont plus les plans de relance publics qui sont aujourd’hui présentés comme indispensables au retour de la croissance, mais de plus en plus la réduction de ces déficits. Comprenne qui pourra. Joaquim Almeida, futur commissaire à la concurrence, a ainsi déclaré au Monde : « Les objectifs de croissance et d’assainissement des finances publiques sont un seul et même combat ». Cette déclaration augure de discussions serrées, les gouvernements européens ayant tendance à jouer le retour de la croissance afin d’éviter les mesures qui fâchent. L’air du temps continuant d’être favorable à la baisse la pression fiscale, selon une alchimie qui la plupart du temps favorise les revenus les plus élevés, Joaquim Almeida, socialiste Espagnol, est resté dans le vent, précisant que « l’effort devra venir essentiellement d’aménagements du côté de la dépense », laissant toutefois entrevoir que des augmentations d’impôts n’étaient pas à écarter.

Des deux côtés de l’Atlantique, les gouvernements doivent faire face aux conséquences sociales et politiques de la crise et marchent pour l’instant à reculons. Pour le moins, ils ne font pas preuve de la même détermination que celle qui les a animés quand il a fallu sauver dans l’urgence le système financier, ou bien accepter que ses représentants aient voix prépondérante dans les discussions sur la régulation future. Sauront-ils faire preuve demain, devant l’adversité, tenant les leviers des appareils institutionnels et idéologiques d’Etat, de la vigueur nécessaire ? On peut le leur accorder, en déclinant, tous autant que nous sommes, notre responsabilité pour ce qu’il adviendra.

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