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26/04/2009

Précarité à durée indéterminée

TONINO SERAFINI

Les 16-25 ans sont une génération du paradoxe. Jamais leur niveau d’instruction n’a été aussi élevé : 62 % d’une classe d’âge obtient actuellement le bac contre 30 % en 1985. Mais jamais, depuis deux décennies, les jeunes n’ont autant peiné à intégrer le monde du travail. Leurs premiers pas dans les entreprises se déclinent en stages, petits boulots, intérim, CDD. Plus dramatique : cette précarité tend à s’éterniser.

Ce ressenti de terrain est confirmé par les statistiques, qui révèlent une véritable fracture générationnelle face à l’emploi. Pour mesurer l’ampleur du chômage qui frappe les jeunes, il faut procéder à une analyse des chiffres de l’emploi par tranche d’âge. Parmi la population active des 15-24 ans, une personne sur cinq est à la recherche d’un travail. Le taux de chômage des jeunes caracole à 20,4 % (1), contre 7 % chez les 25-49 ans. Soit trois fois plus.

La situation des jeunes est également bien plus dramatique que celle des seniors. Contrairement aux idées reçues, les «50 ans et plus» s’en tirent plutôt bien avec un taux de chômage limité à 5 % (quatre fois moins que les 15-24 ans). Mais il est vrai que les chiffres des seniors sont minorés par les dispositifs de mise à la retraite anticipée et de dispense de recherche d’emploi pour les plus de 57 ans.

Au total, les jeunes comptent dans leurs rangs 416 000 personnes à la recherche d’un emploi. Et avec la crise, leur situation se noircit encore. «Le chômage des jeunes augmente deux fois plus vite que celui du reste de la population […] On peut considérer qu’il y aura entre 150 000 et 250 000 jeunes de plus au chômage cette année», prévient un document issu du cabinet du haut-commissaire à la Jeunesse, Martin Hirsch. «La situation de la jeunesse en recherche d’emploi n’était déjà pas très brillante. Avec la crise, on remarque que les jeunes sont les plus exposés face à la remontée du chômage», confirme Bernard Schricke, directeur de l’action France au Secours catholique. Pour lui, les 16-24 ans sont spécialement touchés «par la baisse des CDD et des missions d’intérim». Mais aussi par les plans sociaux lorsqu’ils bénéficient d’un CDI : derniers arrivés dans les entreprises, ils sont aussi souvent les premiers partants, leur faible ancienneté rendant leur licenciement moins coûteux.

Pessimisme. Les difficultés récurrentes de la jeunesse à accéder à un travail stable ont des conséquences en chaîne : pas de revenus réguliers, pas de capacité financière pour accéder au logement, pas de possibilité de s’inscrire dans un parcours menant à l’autonomie. De quoi saper le moral de toute une génération. Une enquête internationale, menée pour le compte de la Fondation pour l’innovation politique en partenariat avec l’institut Kairos Future, témoigne de la très faible confiance en l’avenir des moins de 25 ans dans l’Hexagone. A l’affirmation «mon avenir est prometteur», seulement 26 % des jeunes Français répondent oui contre 60 % des jeunes Danois, 56 % des Américains, 49 % des Suédois et 36 % des Allemands. A l’affirmation «je suis certain que j’aurai un bon travail dans l’avenir», le pessimisme est également de mise : on compte 27 % de oui parmi les jeunes Français contre 60 % aux Etats-Unis et au Danemark, 43 % en Suède et 34 % en Allemagne. Ces résultats semblent signifier que la jeunesse française a acté l’idée selon laquelle elle vivra moins bien que ses aînés. Du reste, les statistiques économiques ne lui donnent pas vraiment tort : 20,2 % des 16-25 ans ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté (880 euros par mois pour une personne seule) contre 13 % pour l’ensemble de la population. Autre chiffre qui témoigne du fossé qui se creuse entre les générations : en 1975, les salariés de plus de 55 ans avaient en moyenne des revenus de 15 % supérieurs à ceux âgés de 30 ans. L’écart atteint désormais 40 %.

Solidarité familiale.Stagiaires, intérimaires, salariés en CDD, souvent les jeunes n’ont pas suffisamment travaillé pour prétendre à des allocations chômage. Exclus des prestations sociales type RMI avant l’âge de 25 ans, ils sont souvent tributaires de la solidarité familiale pour s’en sortir. «Ce qui est discriminant, c’est le soutien familial», pointe Nicole Maestracci, présidente de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars). Si la famille ne peut pas, n’a pas les moyens, si les relations parents-enfant ne sont pas au beau fixe, l’extrême précarité guette les jeunes. Ainsi les moins de 25 ans sont surreprésentés dans les structures d’hébergement gérées par les associations. «Ils représentent 20 % des accueillis, alors qu’ils ne sont que 9 % dans la population générale», fait observer la présidente de la Fnars. Une vie d’adulte qui commence dans des foyers de sans-abri.

(1) Insee. Informations rapides n°62 du 5 mars 2009.

Libération - 24.04.09

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