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29/04/2009

Interview de Gerardo Hernández, leader des Cinq Cubains prisonniers aux Etats-Unis, infiltré dans Alpha 66.

Saul Landau

Cette conversation a eu lieu le 1er avril 2009. Le Département de justice a autorisé notre équipe d’enregistrement à parler avec « le prisonnier » en présence d’un gardien de sécurité dans la pièce. Avant sa détention en 1998, Gerardo Hernández dirigeait les opérations des autres agents de sécurité de l’Etat cubain infiltrés dans de dangereux groupes dans la région de Miami. Ils avaient pour objectif d’empêcher les attaques terroristes contre des sites touristiques à Cuba. Nous avons pris avec soin des notes détaillées.

Quelle était votre mission et pour quelles raisons ?

Aux Etats-Unis en général, et spécialement en Floride, de nombreux groupes organisaient et perpétraient des actes terroristes à Cuba. Notre mission était de rassembler des informations sur Alfa 66, Les Commandos F-4, la Fondation nationale cubano-américaine et Hermanos al Rescate. De nombreuses années ont passé et j’espère ne rien avoir oublié, mais je crois que ce sont les principaux groupes dans lesquels nous avons travaillé (nous étions infiltrés).

Quelles informations avez-vous tirées de votre infiltration ?

Ce qui m’a d’abord impressionné, c’est l’impunité dans laquelle ces groupes opéraient, alors qu’ils violaient les propres lois des Etats-Unis : les Lois de neutralité (de 1790) qui stipulent qu’aucune organisation ne peut utiliser le sol étasunien pour commettre des attentats terroristes contre un autre pays. Dans le cas d’Alfa 66, les agents embarquaient sur une vedette rapide et tiraient contre des objectifs le long des côtes cubaines. Quand ils revenaient à Miami, ils organisaient une conférence de presse et déclaraient ouvertement ce qu’ils venaient de faire. Si quelqu’un leur demandait : « Mais, ce que vous faites, ne viole-t-il pas les Lois de neutralité ? ». Ils répondaient : « En réalité non, parce que d’abord nous sommes allés sur un des cayos quelconque des Caraïbes et ensuite nous sommes allés à Cuba. Techniquement, nous ne sommes pas partis des Etats-Unis ». Ils faisaient cela publiquement et aucune agence étasunienne ne leur demandait des comptes.

En quelle année ?

Cela s’est passé ainsi depuis 1959. Personnellement, j’ai commencé à combattre contre cela dans les années 90. Depuis que je suis ici, à la prison de Victorville (Californie), depuis trois ans, il me semble qu’en 2005, un cubain a été arrêté dans ce même comté avec un arsenal, toute sorte d’armes chez lui. La première chose qu’il a dite a été : « Bon, je suis un membre d’Alpha 66 et j’utilise ces armes pour lutter pour la libération de Cuba ». Voilà ce que fut sa défense.

Les Cinq étaient-ils tous volontaires ? Comment se prépare-t-on pour infiltrer un groupe ennemi dans un pays ennemi ? Et ensuite, pour agir comme si tu étais ennemi de ton pays et un de leurs amis ?

Oui, nous sommes tous volontaires. Dans mon cas, je ne suis pas militaire de carrière. J’ai étudié la diplomatie. Il m’a fallu 6 ans pour terminer ma carrière dans les Relations politiques et internationales. Ensuite, je suis allé en Angola, en mission internationaliste volontaire. Alors que je me trouvais en Angola, il semble que j’ai attiré l’attention des services de renseignements cubains et à mon retour d’Angola, ils m’ont proposé cette mission. Ils m’ont dit : « Nous savons que vous avez étudié la diplomatie, mais vous connaissez la situation particulière dont souffre notre pays, du fait de l’activité de ces groupes terroristes qui viennent de Floride pour commettre toutes sortes de crimes et nous avons besoin de quelqu’un qui aille là-bas pour accomplir cette mission ».

J’aurais pu leur dire : « Non, j’ai étudié la diplomatie, je veux être diplomate », mais les Cubains, ceux qui ont grandi avec la Révolution, nous savons que pendant ces dernières cinquante années, notre pays s’est trouvé pratiquement confronté à une situation de guerre. À Cuba, celui qui ne connaît pas personnellement une victime du terrorisme, est au courant de l’avion qui explosa en plein vol au dessus de La Barbade et dans lequel sont mortes 73 personnes (octobre 1976). Qui n’est pas au courant de la bombe (en 1997) qui a tué Fabio di Celmo (un tourisme italien en vacance dans l’hôtel Copacabana à la Havane). La bombe avait été placée par un Salvadorien qui a affirmé avoir été engagé par Luis Posada Carriles, pour ne mentionner que ces deux exemples ? Une garderie d’enfants a également été incendiée avec une bonbonne de gaz. Ces événements font partie de la conscience collective cubaine. Si bien que j’ai répondu aux officiers de renseignements : « D’accord, je suis prêt à accomplir la mission ».

Comment avez-vous réussi à infiltrer ces groupes ? Comment avez-vous réussi à convaincre des personnes comme José Basulto (leader de Hermanos al Rescate), par exemple ?

Pour les Cubains dans ce pays tout est organisé. Les Cubains aux Etats-Unis ont de grands privilèges, des privilèges qu’aucun autre citoyen n’a dans le monde. Les Cubains peuvent arriver par n’importe qu’elle voie, y compris avec de faux passeports. La seule chose qu’ils doivent dire, c’est : « Je viens chercher la liberté », et immédiatement les Etats-Unis leur donnent tous les papiers dont ils ont besoin. Ainsi, dans le cas de Basulto, par exemple, un des nos collègues qui s’est infiltré dans le groupe Hermanos al Rescate avait préalablement « dérobé » un avion de Cuba. René Gonzalez (un des cinq Cubains) a volé jusqu’ici avec son petit avion et, comme à l’habitude, il a été reçu comme un héros. On s’est très bien occupé de lui et ensuite il a rejoint Hermanos al Rescate. Sa mission était de rassembler des informations sur cette organisation. Si vous me demandez comment, je vous dirais que la méthode pour nous infiltrer, c’est d’utiliser ces mêmes privilèges que reçoivent tous les Cubains quand ils arrivent dans ce pays, y compris ceux qui ont séquestré d’autres personnes avec eux, qui ont détourné des avions, ou qui ont mis un pistolet sur la tempe du pilote. Regardez des personnes comme Leonel Matias : (en 1994, il a détourné un bateau à Cuba et a tué un officier naval au cours de son action), il a assassiné une personne sur un bateau, il est arrivé ici dans ce bateau, avec ce pistolet et on a même découvert le cadavre. Et bien, malgré tout cela, il n’a eu à répondre de rien devant la justice étasunienne. À ces personnes, tout leur est pardonné automatiquement. Alors, en utilisant ce même type d’avantages, nous avons réussi à nous introduire à un certain niveau de ces organisations.

Quand je fais référence à Hermanos al Rescate, certains doivent penser : « c’est une organisation humanitaire qui va secourir les balseros ». Pas du tout, si leurs activités se limitaient à secourir les balseros, ils n’auraient aucun problème avec les autorités cubaines. Ce que les gens ignorent, c’est que José Basulto, leader de cette organisation, a un long passé de terroriste. Il a été entraîné par la CIA et s’est infiltré à Cuba dans les années 60. En 1962, il est arrivé à Cuba dans une vedette rapide de laquelle il a tiré contre la côte cubaine, y compris contre un hôtel. Même Basulto, avec cette histoire connue, n’avait pas de problèmes tant qu’il a limité ses actions à secourir les balseros. En 1995, cependant, les Etats-Unis et Cuba ont signé des accords migratoires, spécifiant que les embarcations interceptées en mer ne seraient pas amenées aux Etats-Unis mais qu’elles seraient rendues à Cuba. À ce moment-là, les gens ont cessé de donner de l’argent à Basulto et à son organisation. Ils disaient : « Pourquoi va-t-on donner de l’argent à l’organisation de Basulto si quand la garde côtière sera informée, les balseros seront renvoyés à Cuba ? » Basulto, voyant son négoce en danger, a inventé cette intrusion (en 1995) de l’espace aérien cubain, de façon à ce que les gens continuent de lui donner de l’argent. Cette preuve a été présentée à notre procès. Si la presse n’a pas voulu porter beaucoup d’intérêt au sujet, eh bien, c’est qu’elle ne veut pas toucher un tel matériel, cela n’est pas de son ressort. Je veux parler des medias corporatifs. Les documents montrent parfaitement comment Basulto et Hermanos al Rescate essayaient des armes artisanales pour les introduire à Cuba. Quand Basalto a témoigné à notre procès (2001), nos avocats lui ont demandé ce qu’il comptait faire avec ces armes. Tout se trouve dans les enregistrements du procès, bien que personne ne veuille y prêter attention. Les gens ont tendance à parler de Hermanos al Rescate comme si c’était une organisation humanitaire ; ils omettent la partie sur le terrorisme, de la même manière qu’ils omettent le fait que le FBI était lui aussi infiltré dans ces organisations. Le FBI avait également quelqu’un dans le groupe qui informait sur les activités de Los Hermanos. Pourquoi le FBI irait-il infiltrer une organisation humanitaire ?

Le Grand Soir - 29.04.09

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