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08/02/2011

Bernard Thibault : « La voix des syndicats porte loin dans la société »

Jeudi et vendredi derniers, la CGT réunissait son comité confédéral national (CCN). Lors de cette première réunion après le conflit sur les retraites, le parlement cégétiste a adopté deux résolutions à l’unanimité. Elles appellent à des actions unitaires tous azimuts et à accélérer l’évolution des structures du syndicat.
Tensions internes, durcissement de la ligne, rumeurs de démission… Depuis le début de l’année, la CGT et son secrétaire général font l’objet d’une attention particulière dans les médias. À la sortie de la réunion du comité confédéral national, Bernard Thibault s’est confié à l’Humanité.
Après les rumeurs sur votre départ, avez-vous ouvert devant le comité confédéral national (CCN) 
la succession du secrétaire général de la CGT ?
Bernard Thibault. Non, parce qu’il n’y a aucune raison de le faire. Nous avons tenu un congrès, fin 2009, les textes ont été très largement approuvés et la direction confédérale a été élue confortablement. Loin de remettre en question la démarche ou la direction confédérale, le conflit des retraites nous a confortés. Bien que nous n’ayons pas réussi à obliger le président de la République à retirer son texte, nous sommes parvenus à imposer un débat dans le pays et, au bout du compte, les critiques s’adressent au président de la République, pas aux syndicats et à la CGT. Le CCN a adopté ses deux résolutions à l’unanimité : il n’y a pas de tensions au sein de la CGT.
Qu’est-ce qui a bougé dans le conflit des retraites ?
Bernard Thibault. Il a fait la démonstration que, malgré la faible syndicalisation en France, la voix des syndicats portait loin dans la société et qu’il était possible de mobiliser. C’est un élément de confiance. En même temps, lucidement, nous sommes obligés de constater qu’il y a des limites à cette mobilisation qui sont très directement liées à l’implantation syndicale dans les entreprises. C’est pourquoi les travaux du CCN étaient en grande partie consacrés à cette question. Si nous voulons obtenir des succès significatifs, il nous faut élargir notre implantation syndicale.
Mais ça fait longtemps 
que vous avez pointé ces questions. 
Qu’est-ce qui coince ?
Bernard Thibault. Nous sommes sur une pente positive puisque nous enregistrons une progression en 2010 de 4 % des cotisations. Mais il y a des facteurs défavorables. Les nouvelles adhésions ne compensent pas les pertes, principalement à cause d’une mobilité professionnelle qui bouscule tous les syndicats. Dans l’industrie, les emplois détruits, les fermetures d’entreprises pèsent. Dans le commerce, 2 millions de salariés, il y a moins de 1 % de syndiqués. Dans certaines enseignes, la durée moyenne des contrats de travail est de huit mois, dans certains secteurs, 80 % des embauches sont des étudiants salariés. C’est évident que la syndicalisation dans ces secteurs précarisés ne peut pas se faire dans les mêmes conditions que dans ceux où le CDI domine. On ne peut pas avoir les mêmes ambitions revendicatives quand on a 3 % de syndiqués dans un secteur ou 30 %. Il faut ajouter la répression antisyndicale. Les sanctions lourdes, les condamnations, les gardes à vue de syndicalistes durant ce conflit sont autant de signaux délivrés aux salariés pour les dissuader de s’engager. On peut faire des adhésions à la CGT telle qu’elle est aujourd’hui. Je considère que la CGT a le potentiel de développement le plus important, par sa démarche, par les revendications qu’elle porte et parce qu’elle est unitaire. Mais il faut se structurer autrement. Il y a un éclatement des collectifs de travail, parfois autant de conventions collectives que de métiers dans une même entreprise. C’est pourquoi nous avons l’objectif d’un nouveau statut du travail salarié, d’une sécurité sociale professionnelle. Il faut construire une cohérence d’organisation des salariés, quels que soient leur statut, leur employeur et la taille de leur entreprise.
Est-ce que vous ne vous êtes pas surtout heurté à un pouvoir 
qui a eu la volonté, et les moyens, 
de ne rien céder ?
Bernard Thibault. Tout le monde attribue le résultat de ce conflit à l’intransigeance du président de la République. Ce pouvoir est jugé insupportable par ceux qui se sont mobilisés. C’est pourquoi ce mouvement n’est pas vécu comme un échec.
Mais s’agissant du contexte politique, on vous sent désarmés…
Bernard Thibault. Nous sommes un syndicat, notre mission est de défendre au mieux, dans le contexte politique qui nous est imposé, les revendications des salariés. La CGT avait très largement alerté sur les risques pour le monde du travail de l’approche du candidat Nicolas Sarkozy. Les salariés qui avaient été séduits par le slogan « Travailler plus pour gagner plus » ont vu ce qu’il en était. Cela dit, nous ne sommes pas de ceux qui demanderont aux salariés d’être patients en attendant l’échéance de l’élection présidentielle car l’urgence sociale s’accroît.
Les élections professionnelles 
qui ont suivi le conflit n’ont pas été bonnes pour la CGT. 
Est-ce lié au mouvement ?
Bernard Thibault. Pas une des fédérations confrontées à ces résultats décevants dans certaines entreprises publiques ne les met sur le compte du conflit. Les nouvelles règles de représentativité amènent chaque organisation syndicale à conduire de fortes campagnes et peut-être, dans certains secteurs, a-t-on cru pouvoir se reposer sur des acquis. Cela renvoie aussi à la qualité de l’activité menée sur chaque lieu de travail. Il n’y a jamais de bons résultats acquis par avance et c’est plus délicat, pour le premier syndicat, de maintenir en permanence une influence à un haut niveau. Si on considère l’ensemble des élections, il n’y a pas de tendance générale à la baisse ou à la hausse d’un syndicat en particulier.
On parle aujourd’hui 
d’un « durcissement » de la CGT. 
Est-ce que le CCN confirme 
cette appréciation ?
Bernard Thibault. Il n’y a pas d’inflexion de notre démarche, ni dans un sens ni dans un autre. Nous avons parlé de « syndicalisme rassemblé » et certains y ont vu une CGT qui tomberait dans le « réformisme », une CGT qui y perdrait son âme. Ils se sont trompés. Le conflit des retraites a montré qu’il ne servait à rien de classer les syndicats a priori dans le camp dit « contestataire » ou « réformiste ». Tous les syndicats ont été sur une position contestataire.
Vous avez refusé les invitations 
aux vœux présidentiels, 
vous ne voulez pas participer à toutes 
les négociations avec le Medef…
Bernard Thibault. Ce n’est pas une posture car ce qui s’est passé en 2010 est tout sauf une parenthèse. En ne nous rendant pas aux vœux du président de la République, nous avons refusé de nous prêter à une mascarade après la fin de non-recevoir qu’il a adressée à la majorité du pays. Nous allons continuer notre campagne sur les retraites. Après trois séances de négociations sur les retraites complémentaires, le patronat n’a toujours rien dévoilé de ses intentions et nous sommes persuadés qu’il veut diminuer les pensions des régimes complémentaires. Aussi, le 24 février, nous allons organiser des rassemblements devant les chambres patronales. Le 8 mars, nous allons généraliser des initiatives pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, un sujet qui a pris de l’intensité avec la loi sur les retraites. Enfin, nous avons retenu la date du 28 avril, journée mondiale de la reconnaissance des accidents du travail, pour organiser une journée nationale de la reconnaissance de la pénibilité des métiers. Nous allons soumettre ces initiatives à la réflexion de l’intersyndicale.
À ce propos, que pense la CGT 
du conflit dans les ports ?
Bernard Thibault. Le gouvernement porte la totale responsabilité de ce conflit. Il y a eu négociation entre les employeurs et les syndicats pour organiser et financer des départs anticipés à la retraite. Le gouvernement avait donné son accord. Il explique après le remaniement qu’il n’en est plus question, au motif de l’application de la loi sur les retraites. Pour lui, accepter la reconnaissance de la pénibilité dans les ports serait un mauvais exemple pour les autres branches.
On assiste à une offensive sur la compétitivité des entreprises françaises : le coût du travail serait excessif…
Bernard Thibault. Cette campagne a lieu dans un climat revendicatif qui est loin d’être atone, avec des conflits sur les salaires dans de nombreuses entreprises. L’offensive sur le coût du travail n’a rien d’original, c’est le message qu’entendent les syndicalistes dans tous les pays d’Europe. Le gouvernement roumain demande une diminution du salaire minimal et du niveau des pensions jugés trop importants ! La Commission européenne enjoint tous les États, quels que soient leurs niveaux sociaux, de réviser la législation ou les conventions collectives sur le temps de travail, de contenir le montant des salaires, de revoir les conditions de départ en retraite, de remettre en question les budgets publics. C’est pourquoi un nouveau rendez-vous européen de mobilisations syndicales est en train de se construire, il pourrait y avoir une initiative le 9 avril, veille du sommet des chefs d’État.
L’intersyndicale était votre 
point fort et vous paraissez 
plus en retrait aujourd’hui.
Bernard Thibault. La CGT n’est pas moins unitaire ! Ce serait changer notre démarche. Il n’y a pas eu de remise en question là-dessus au CCN. Par contre, nous avons fait une évaluation de la situation parce que, avec nos homologues, nous voyons bien que nous ne partageons pas tous la même analyse sur la situation, les possibilités de mobiliser les salariés. Dans une intersyndicale qui s’est réduite à cinq, nous nous étions fixé l’objectif de rédiger une plate-forme revendicative. C’était peut-être trop ambitieux. Nous proposons aujourd’hui aux autres organisations syndicales de nous réunir tous autour de la table. La situation sociale le nécessite. Essayons d’identifier les revendications sur lesquelles nous pouvons ensemble prendre des initiatives, organiser l’action, créer un cadre où les salariés puissent être plus forts face aux employeurs et au gouvernement.
On entre dans une période préélectorale. Craignez-vous de ne pas parvenir à faire entendre votre voix, les revendications sociales ?
Bernard Thibault. Les candidats qui ignoreraient les problèmes sociaux et économiques seraient mal inspirés, ces questions vont occuper une place grandissante. Du côté de l’actuel président, on sent une volonté de s’en dégager et de placer le débat sur des faits de société avec un accent très populiste sur le sécuritaire, l’immigration. Notre responsabilité est de continuer à porter les revendications et d’apporter notre concours au débat public. La CGT s’exprimera bien évidemment dans la campagne. Nous le ferons au début de l’année 2012. Nous ne resterons pas neutres sur un certain nombre de sujets qui touchent aux bilans comme aux projets.
Votre discours sur le président 
de la République est sévère…
Bernard Thibault. Oui, mais rappelez-vous que la CGT a été la seule organisation syndicale sifflée dans les meetings électoraux du candidat Nicolas Sarkozy. Il nous accusait de faire à son égard un procès d’intention. Aujourd’hui, on voit que la condition des salariés, depuis quatre ans, s’est largement détériorée, pas seulement à cause de la crise internationale, mais du fait de choix de politique intérieure.
Tunisie, Égypte... 
qu’en pense la CGT ?
Bernard Thibault. La Confédération syndicale internationale a décidé d’une journée de solidarité mardi 8 février avec des rassemblements devant toutes les ambassades d’Égypte dans le monde. Il y aura un rassemblement à Paris, à 17 h 30. Nous avons des informations sur la violence qui confirment que les processus engagés contre les dictatures ne sont pas irréversibles. En Tunisie, des locaux syndicaux sont incendiés, des militants de l’UGTT menacés. Moubarak en Égypte a recruté des brigands pour les habiller en partisans de son régime. Je note que les agences de notation financière viennent de déclasser la Tunisie et l’Égypte. C’est scandaleux et révélateur. Cela veut dire que les peuples en quête de démocratie devront en payer le prix. Le monde des affaires préfère les dictatures à la démocratie. Quelle dérive effrayante du système ! Mais je remarque surtout que le mot « révolution » redevient d’actualité. L’ordre établi n’est pas intangible.
Entretien réalisé 
par Olivier Mayer

http://www.humanite.fr/06_02_2011-bernard-thibault

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