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18/11/2010

Tenon : un hôpital en pleine crise de nerfs

Clotilde Cadu 

Depuis presque deux mois, infirmières et aide-soignants de l’hôpital parisien Tenon sont en grève pour obtenir plus de moyens, plus de personnels et de meilleures conditions de travail. Face au raz-le-bol du personnel médical, la direction de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris semble opter pour le pourrissement de la situation.


(Photo CC - Entrée de l'hôpital Tenon)
(Photo CC - Entrée de l'hôpital Tenon)
« Il n’y a pas un service qui n’est pas en souffrance ici ». Jusqu’à présent, les soignants de l’hôpital Tenon, dans le XXème arrondissement de Paris, camouflaient leurs difficultés avec une grosse dose de bonne volonté. Des moyens insuffisants, des effectifs jamais assez nombreux, des heures de service qui s’enchaînent… « On fait tous les jours des efforts, et ça depuis toujours », remarque Fabienne Chevalier, infirmière au service d’oncologie médicale, « et on nous en demande encore plus. La situation est très très critique ».

Les bonnes volontés ne suffisent plus pour pallier les manques. Sur l’ensemble de l’hôpital Tenon, 60 postes d’infirmière attendent désespérément de trouver preneur. « Et ça, c’est le chiffre de la direction », note Isabelle Borne, secrétaire générale adjointe de SUD-Santé. « Pour nous, c’est plus que ça, et ça touche toutes les catégories professionnelles, pas seulement les infirmières ». « Même la propre norme de la direction - une infirmière pour 12 patients – n’est pas respectée ! », constate Olivier Barbieux, infirmier depuis 18 ans à Tenon, syndiqué à la CGT. Pour tenter de faire face, la direction de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP) a fait le choix de fermer des lits – et donc de renvoyer des patients vers d’autres hôpitaux, parfois même dans des structures privées. Mais ce « bidouillage » a fait long feu. Épuisés, les soignants de Tenon ont craqué : depuis plus de sept semaines, ils sont en grève.

Aux urgences et en néphrologie – deux des services les plus sinistrés –, le personnel a carrément fait jouer son droit de retrait. Une décision prise à contre-cœur, mais nécessaire, pour ne pas mettre en danger les patients qui viennent, nombreux, dans ces services de Tenon. « Je suis sortie d’une chambre la semaine dernière au bord des larmes », raconte, encore émue, Adjia, aide-soignante en oncologie, en grève mais assignée, comme la plupart de ses collègues. « J’étais toute seule pour faire sa toilette à un patient et donc forcément, je lui ai fait mal. C’est terrible ». Et tellement peu exceptionnel ! Il n’est pas rare que des services où sont soignés 20, même 30 patients qui ont besoin de soins lourds, soient mis sous la responsabilité d’une seule infirmière. Souvent, c’est un intérimaire, appelé à la rescousse, faute de personnel disponible. « On rappelle très souvent les gens le soir pour le lendemain matin, on leur fait annuler leurs congés… », liste Isabelle Borne, loin d’être convaincue de la légalité de cette pratique. Par chance, les bonnes volontés répondent présentes. Mais de moins en moins.

Pour cette année, le budget intérim a explosé à Tenon : 3 millions d’euros. Mais pour les soignants, la solution à la crise que traverse leur hôpital n’est pas là. Ce qu’ils veulent, ce sont des embauches. La possibilité de faire son travail de soignant correctement, sans frustration, sans avoir le sentiment de faire de « l’abattage de soins ». Pouvoir assurer une mission de service public, ce pourquoi ils ont signé. Et surtout offrir aux patients du XXème arrondissement des soins de qualité. Dans ce quartier de Paris, la précarité s’est installée. Le taux de chômage y flirte avec les 15%. « On traite des patients qui ne seraient pas acceptés ailleurs », note Lamia, jeune infirmière au service de néphrologie et dialyse. « On reçoit des patients lourds, des patients qui souffrent du HIV, des patients âgés, des patients qui ont la CMU, d’autres sans-papiers. Si nous ne sommes plus là, où iront-ils ? », s’interroge la jeune femme, sachant pertinemment que si Tenon n’accueille plus ces patients, ceux-là arrêteront tout bonnement de se soigner.

« Je suis venue à Tenon faire du service public. Mais qu’est-ce que ça veut dire service public pour la direction ? »
, poursuit Lamia, effarée d’entendre les mots « conquête » et « parts de marché » dans les discours de la direction. Pour les patients « rentables », il n’y a pas de problème. Mais pour ceux qui ont le malheur de ne pas l’être, parce qu’ils sont vieux, parce qu’ils sont pauvres ou trop malades…

(Photo CC - Affiche des revendications des grévistes)
(Photo CC - Affiche des revendications des grévistes)
Dans les services de l’hôpital Tenon, malgré la grève, la vie continue, coûte que coûte. Les soins sont assurés par des personnels assignés, obligés de travailler, un bandeau « en grève » autour du bras ou collé sur la blouse.

Dans les urgences, en grève ou pas, l’engorgement est toujours là. Chaque jour, plus de 100 patients passent par ce service, porte d’entrée de l’hôpital. Sur les murs, une bande autocollante rouge et blanche crie le désespoir et la souffrance des personnels : « Hôpital en danger ! ». Dans les couloirs, sur les portes, sur les grilles d’entrée, partout, des banderoles, des affiches, des tracts, et même des pétitions invitant à sauver Tenon, et plus largement, l’hôpital public. Les signatures s’empilent les unes sous les autres. Le mouvement prend de l’ampleur, semaine après semaine. Et pourtant, la direction de l’APHP reste sourde aux revendications. « On a l’impression que c’est volontaire, qu’on laisse volontairement pourrir la situation », s’inquiète Myriam, infirmière aux urgences. Mardi dernier, une séance de négociations a été annulée par la direction générale de l'APHP. «On a l'impression que la direction joue une guerre d'usure », note Patrice Lardieux, délégué CGT à Tenon. « Nous rencontrons des interlocuteurs qui ne sont jamais les mêmes, qui nous disent « je ne connais pas bien le dossier »», poursuit le syndicaliste, dénonçant les tentatives d'intimidation de la direction générale. Cinq infirmières ayant fait valoir leur droit de retrait ont été convoquées et menacées. Devant la pression des personnels de Tenon, l'APHP a renoncé à les punir. Des négociations doivent être entamées demain vendredi. En attendant, l'inquiétude sur l'avenir de Tenon perdure. Les salariés ont d'ailleurs remarqué que la nouvelle directrice de l’institution, Mireille Faugère, a oublié de citer Tenon lorsqu’elle parlait du futur groupe hospitalier de l’est parisien au Salon infirmier. « Elle a mentionné Rothschild, Trousseau et Saint-Antoine, mais pas Tenon ! », rappelle Isabelle Borne.

Les services d’orthopédie et ORL ont déjà disparu. Bientôt, ce sera au tour de la cardiologie. Et puis il y a tous ces équipements de pointe, ces IRM dans lesquels la direction a investi. Mais qui ne fonctionnent pas, faute de personnel pour les faire tourner. Et puis il y a tout ce « gâchis humain », ces soignants qui perdent le goût de leur métier. A Tenon, le turn-over chez les soignants atteint 60%. « En oncologie, trois infirmiers sont arrivés, il y a plus ou moins un an », raconte Patrice Lardieux, « ils veulent déjà partir ! ». De fait, l’hôpital du XXème arrondissement n’est pas choisi par les jeunes infirmiers, ni même par les médecins. « C’est essentiellement lié à la réputation de Tenon, à ses mauvaises conditions de travail », note le syndicaliste. La direction de l’APHP semblerait ainsi avoir du mal à trouver du personnel pour, au moins dans un premier temps, combler les postes vacants. Pour le moment, le siège de l’institution a proposé un « plan d’action » pour les urgences. « En réponse à la fatigue professionnelle exprimée par le personnel des urgences, la direction et le CHSCT vont engager dès le 22 novembre un audit avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail »… Un audit et pas de recrutement : la grève et la souffrance à Tenon ont malheureusement encore de beaux jours devant eux.

http://www.marianne2.fr/Tenon-un-hopital-en-pleine-crise-de-nerfs_a199567.html

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