À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

27/10/2009

Migrations : la détresse des jeunes Rroms « réadmis » en Serbie

Momir Turudic - Traduit par Stéphane Surprenant

Des milliers de jeunes Rroms, qui sont nés ou ont grandi en Europe de l’Ouest, sont expulsés vers la Serbie à la suite des accords de « réadmission » conclus avec l’UE. Mais l’intégration est souvent difficile pour ces jeunes qui ne connaissent ni la langue, ni les codes culturels d’un pays qui n’a jamais été le leur. Et la Serbie manque de moyens pour favoriser l’assimilation de ces nouveaux arrivants. Un reportage du BIRN.

Dans un café de Bujanovac, une petite ville frappée par la pauvreté située dans le sud de la Serbie, tout près de la frontière du Kosovo, un groupe de jeunes Rroms bavardent en allemand.

Tous sont nés ou bien ont vécu plusieurs années en Allemagne. Leurs familles ont émigré dans ce pays durant les années 1990, puis sont revenues en Serbie. Certaines sont revenues de leur propre gré, d’autres y ont été obligées.

Enis Demirović, 19 ans, se souvient combien il avait été choqué à son retour. « J’ai pleuré pendant des jours ! », confie-t-il. « Je ne pouvais accepter d’avoir tout perdu ; ici, c’est vraiment une autre planète… »

Enis a une allure plutôt sophistiquée. Il arbore des mèches blondes et porte une boucle d’oreille. « Tout le monde avait l’habitude de dire « Hé ! Regardez ce tzigane, pour qui il se prend ? », raconte-t-il. « Par contre, en Allemagne, personne ne me demande qui je suis ou n’a de problème avec mon look. »

Enis a fait son école primaire à Wuppertal, mais a laissé tomber ses études à son retour en Serbie – à l’instar de la plupart des enfants des migrants qui sont rentrés. « Je ne savais même pas parler la langue et j’avais peur de tout », se rappelle-t-il. Assis dans un café avec des amis, Enis semble assez détendu. Mais les sourires sont plus rares sur le chantier où il décharge des sacs de ciment.

Le chantier est situé dans la partie rrom de la ville, au milieu des maisons pauvres et délabrées. La majorité des Rroms rentrés au pays atterrissent dans des quartiers et des habitations de fortune comme ceux-ci, et pas seulement à Bujanovac. Enis affirme que personne dans sa famille n’a de travail stable, mais ils refusent tous de mendier pour du travail. « Je ne suis plus triste aujourd’hui, mais je ne suis vraiment heureux que lorsque je pense à l’Allemagne. Parfois, je rêve en allemand. Je rêve d’y retourner. »

Des milliers de jeunes Rroms rentrés en Serbie – ou qui y sont retournés malgré eux – n’hésitent pas à tenir les mêmes propos. Ceux qui ont laissé derrière eux les bonnes écoles allemandes et des appartements confortables, se souvenant à peine de la langue de leur pays d’origine, vivent désormais dans l’isolement et parfois sans espoir. Pour quelques-uns, les activités criminelles constituent la seule porte de sortie. Pire, pour d’autres encore, cela se termine par un suicide.

Bien que le gouvernement mette en avant des stratégies visant à venir en aide à ces personnes et que plusieurs ONG gèrent des projets d’intégration à court terme, il n’y a pas suffisamment de ressources financières pour soutenir des programmes de réhabilitation à long terme.

Entente sur le retour des migrants : retour volontaire, ou non !

Une entente uniformisée concernant le retour des migrants a été conclue entre la Serbie et l’Union européenne. Elle est entrée en vigueur le premier janvier 2008. La mise en œuvre de cet accord représentait un pré-requis à l’admission de la Serbie dans le nouveau régime de visas libres de l’UE et des États membres de l’espace Schengen.

Plusieurs centaines de milliers de personnes ont quitté la Serbie dans les années 1990, fuyant la misère et les guerres. La plupart d’entre eux se sont retrouvés dans les pays de l’UE.

Beaucoup ont alors soumis des demandes en vue d’obtenir le statut de réfugiés. Cela dit, mêmes ceux qui n’ont pas reçu une réponse positive n’ont pas été obligés de rentrer en Serbie, en raison de l’instabilité politique du pays et des sanctions prises contre le régime de Milošević.

Néanmoins, après la chute du régime de Slobodan Milošević, le 5 octobre 2000, la situation a évolué. Au cours des années qui ont suivi, la Serbie a signé une entente sur la réadmission de ses émigrés avec la majorité des États de l’UE. Ce faisant, elle acceptait de réintégrer les citoyens serbes qui ne remplissaient pas les critères nécessaires à la prolongation de leur séjour à l’étranger.

Zoran Panjković, du ministère des Droits de la personne et des minorités, estime à environ 25.000 le nombre de ressortissants serbes ayant été obligés de rentrer en Serbie. Environ le double a décidé de revenir volontairement.

Le nombre de ceux qui devront éventuellement retourner en Serbie est inconnu. En 2003, le Conseil de l’Europe avait estimé que ce chiffre variait entre 50.000 et 100.000. Toutefois, au fil des années, des chiffres aussi élevés que 150.000 ont également été mentionnés.

Environ 70% de ceux qui sont retournés en Serbie arrivaient d’Allemagne. Les autres sont revenus de Scandinavie, de Suisse, des Pays-Bas et d’autres pays d’Europe occidentale. Entre 60 et 70% des personnes concernées étaient des Rroms, selon les estimations.

Enis et les autres membres de sa famille sont revenus de leur plein gré. Cependant, si’ils avaient refusé, cela aurait entraîné de sérieuses conséquences. Par exemple, ils n’auraient plus eu le droit à l’avenir d’entrer dans aucun pays d’Europe. Pire, ils auraient perdu la plupart de leurs possessions en Allemagne.

C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à l’amie d’Enis à Bujanovac, Natalija Elezović, qui n’a que 16 ans. La police allemande a frappé à la porte de l’appartement de sa famille, à Francfort, un matin de 2004. « Je m’étais levée pour me préparer à aller à l’école, mais ils nous ont dit que nous devions partir », relate-t-elle. « Trois heures plus tard, nous étions dans l’avion en direction de la Serbie. »

Alors âgée de 11 ans, elle admet qu’à l’époque, elle « ne comprenait pas au début que c’était pour de bon. Mais quand nous sommes arrivés en Serbie, à Bujanovac, j’ai réalisé que ce serait un aller simple ».

Pavao Hudik, un psychologue de Südost-Europa Kultur e.V., une organisation berlinoise qui vient en aide aux réfugiés de l’ancienne Yougoslavie, explique que la plupart des jeunes gens qui reviennent de cette façon laissent derrière eux des sociétés d’accueil au sein desquelles ils étaient bien intégrés.


Écoutez notre reportage : Belgrade : hiver 2009, les Rroms de Gazela chassés par un incendie


« Ce que l’on appelle officiellement « retour » signifie dans les faits « exil ». « La Serbie, ou tout autre pays des Balkans, c’est un pays étranger pour ces jeunes. »

Une nouvelle vie… dans un bidonville

JPEG - 105.9 ko
Le bidonville de Gazela, à Belgrade

Selon Marija Denić, coordinatrice du Centre pour les droits des femmes rroms, 80% des migrants rentrés en Serbie vivent dans des camps rroms informels. Il existe à peu près 600 camps de ce genre à travers la Serbie.

« Duldung » est un mot allemand qui provoque un certain malaise parmi les anciens émigrés de retour au pays, en particulier ceux qui n’ont pas encore quitté l’Allemagne, mais qui devront s’exécuter au cours des prochaines années.

« On pourrait traduire ce mot par « tolérance » : l’État tolère votre présence jusqu’à ce que vous partiez », explique Sanela Selimagic, une assistante de projet au Centre de conseil sur le retour des émigrés de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), basé à Berlin.

Ainsi, une personne qui a le statut de « duldung » n’a pas le droit de travailler ou d’aller à l’université. « Pour passer du statut de « duldung » à un statut normal, il est nécessaire d’apprendre la langue ou de démontrer une réelle volonté de s’intégrer – et plusieurs opportunités existent pour ce faire », ajoute Sanela Selimagic.

Cependant, plusieurs familles de réfugiés ne saisissent pas ces opportunités, satisfaites du chèque d’aide sociale qu’elles reçoivent. « Ils s’attendent à ce que leur statut soit reconduit indéfiniment, parce que leurs enfants sont nés et vont à l’école en Allemagne », constate-t-elle.

« Mais les lois deviennent de plus en plus strictes. La crise économique affecte tout le monde et les allocations d’aide sociale subissent les coupes budgétaires, tout comme d’ailleurs le droit des familles de demeurer en Allemagne », poursuit-elle. « Au bout du compte, les familles sont forcées de partir ».

C’est justement ce qui attend Ceca, Anka et Vesna Nikolić. Ces trois jeunes filles rroms sont assises sur un banc du parc Preussen, à Berlin. Elles écoutent tantôt du turbo-folk serbe, tantôt du Madonna sur leur lecteur cd.

Dans la chaleur de juillet, le parc embaume la cuisine asiatique. Les gens jouent aux cartes ou mangent sur des couvertures, dispersés sur la pelouse. Des couples se promènent, main dans la main. Puisque l’année scolaire est terminée, Anka et Ceca, qui viennent de finir leur année de cinquième, sont en vacances. Mais elles sont inquiètes. Leur grand-mère, avec qui elles habitent, a décidé de les ramener en Serbie.

« Nous allons partir là-bas, il le faut », dit Ceca. « Mais nous avons un peu peur. Tout, là-bas, est si… étrange. » À 17 ans, Vesna a déjà appris de sa famille en Serbie qu’on lui a trouvé un garçon pour se marier. Elle n’aime pas trop l’idée, car elle préférerait poursuivre ses études.

Toutes trois parlent avec appréhension de la petite maison de Zrenjanin, dans le nord de la Serbie, que leur famille va partager avec trois autres familles. Cela diffère beaucoup de leur logement social de Berlin, un appartement de deux pièces où ils vivent avec leur grand-mère.

Elles peuvent toutefois se considérer encore chanceuses du point de vue du logement. Il y a deux ans, « Hasan » (nom fictif), 40 ans, a dû abandonner son confortable appartement de Berlin pour aller vivre dans la lugubre communauté rrom de Mirijevsko Brdo, à Belgrade.

Le quartier entier – où bon nombre d’habitations, branlantes, sont faites de briques, de feuilles de tôle et de carton – ne possède qu’une seule rue pavée d’asphalte. Toutes les autres allées du bidonville ne sont que des sentiers de terre battue. Hasan vit dans l’une de ces maisons en compagnie de son fils de 15 ans, « Aron », et la famille de son frère, qui compte huit personnes. Le vent apporte dans la maison l’odeur des décharges qui entourent le quartier.

« Berlin me manque, mais c’est bien pire pour Aron… », reconnaît Hasan. « Avant de venir ici, il ne pouvait même pas s’imaginer qu’un tel endroit existait. » Assis à côté de son père, Aron demeure silencieux la plupart du temps. « Son serbe n’est pas très bon, et il a un peu honte de vivre ici… », ajoute Hasan. « Par contre, son allemand est parfait. »

Adieu l’école

Si Aron a fait plus de six années d’école en Allemagne, il ne va pas à l’école à Belgrade. Quand Hasan a demandé comment il devait faire pour inscrire son fils, on lui a répondu qu’Aron devait apprendre le serbe avant tout. « Ils m’ont dit aussi que je devais présenter ses certificats d’années d’études en Allemagne, les faire traduire, puis les faire valider », continue Hasan. « Mais c’était trop cher, je n’avais ni l’argent ni le temps. »

Ces jours-ci, Aron aide son père qui vend du matériel d’occasion dans un marché non loin de chez eux. « Que pouvons-nous faire ? », dit Hasan. « Il va s’habituer, les autres gamins du quartier vivent de la même manière. » Plus de 70% des enfants rroms en Serbie ne finissent jamais leur éducation primaire. Selon le Bureau des retours, qui fait partie du ministère serbe des Droits de la personne, plus de 90% des enfants d’émigrés revenus au pays fréquentaient pourtant l’école dans leur pays d’accueil.

Les recherches menées par l’ONG Grupa 484, qui a suivi 64 familles rroms dans l’arrondissement de Palilula de Belgrade, ont montré que 62% des enfants dont le parcours scolaire a été examiné n’avaient pas poursuivi leur scolarité après être revenus en Serbie. Le nombre de ceux qui se sont bel et bien inscrits à l’école, mais qui ont abandonné ensuite, est cependant inconnu.

Natalija Elezović est l’une de celles qui refusent de laisser tomber. En quelques mois, après son retour en Serbie, elle a appris à parler, lire et écrire le serbe et s’est inscrite dans une école de Bujanovac. Au début, elle a trouvé le système scolaire quelque peu étrange. En effet, dans les écoles serbes – contrairement aux écoles allemandes –, les enfants doivent apprendre beaucoup de choses par cœur. Il n’existe ni travaux pratiques, ni cours de natation, ni cours de travaux domestiques, comme la couture.


Écoutez notre reportage : Serbie : le hip hop rrom, entre Snoop Dog et Šaban Bajramović


« Je tenais à continuer, à faire quelque chose de ma vie, et les gens m’ont encouragée », raconte Natalija. Elle a terminé l’école primaire avec d’excellentes notes et en est aujourd’hui à sa deuxième année de collège. Elle voudrait étudier la médecine et dénicher un bon travail. Mais, même si elle s’est habituée à la Serbie, Natalija parle toujours de l’Allemagne comme de son véritable pays et aimerait y retourner un jour.

Pour les jeunes, le choc culturel est terrible

Les obstacles qui empêchent les anciens émigrés de bien s’adapter à leur nouvel environnement ne relèvent pas seulement de la langue, du logement ou de l’éducation. Il y a aussi le choc culturel.

« J’ai presque été renversé par une voiture lorsque je traversais la rue à Belgrade », se rappelle « Milan », un jeune Rrom de 20 ans revenu en Serbie. Il ne connaissait pas la tendance des chauffeurs serbes à ignorer les passages piétons. « En Allemagne, chaque voiture s’arrête pour laisser passer les piétons. Ici, un policier qui se trouvait là a crié : « Mais pousse-toi de là, imbécile ! Pourquoi tu n’as pas laissé passer la voiture ? » », relate-t-il en riant.

Cela dit, il rit rarement en temps normal. Son frère s’est suicidé deux ans après le retour de leur famille d’Allemagne. Il n’avait que 16 ans. « Tu sors avec tes amis, tu vas à l’école, tout semble normal, et puis, en une seconde, tout le monde est parti et tu te retrouves ici. Certaines personnes craquent… », constate Milan d’une voix sourde.

« Beaucoup de gens dans ce quartier viennent d’Allemagne. Au début, nous nous voyions souvent et discutions de l’Allemagne et de la manière d’y retourner. Mais, avec le temps, nous nous sommes habitués… Les filles se marient et ont des enfants, tandis que les garçons commencent à vendre quelque chose ou trouvent un emploi non qualifié. Mais mon frère n’a pas réussi à surmonter tout ça. »

Marija Denić, coordinatrice du Centre pour les droits des femmes rroms, une ONG basée à Niš, dans le sud de la Serbie, pense que beaucoup de jeunes Rroms revenus en Serbie souffrent de dépression aiguë. « Ils s’isolent, seuls ou en petits groupes, et ne parlent que de retourner là-bas », dit-elle.

Zorica Zivojinović, coordinatrice de programme pour Grupa 484, estime qu’il faut habituellement « des mois et des années » de travail assidu sur le terrain pour aider ces jeunes à s’adapter. Or, pareils efforts exigent des sommes considérables.

« Nous n’appartenons à aucun lieu »

Les États allemand et serbe, ainsi que beaucoup d’ONG issues des deux pays, fournissent de l’aide aux personnes qui reviennent dans les Balkans par l’entremise de plusieurs projets. Ces projets sont toutefois restreints dans le temps vu les budgets limités. Mais seuls quelques émigrés de retour au pays semblent savoir que ces projets existent.

Certes, l’Allemagne et la Serbie coopèrent en matière de retour, mais uniquement jusqu’au moment où les gens arrivent en Serbie. Ensuite, il n’y a plus d’échange d’information ni de banque de données partagée.

La Serbie ne possède aucune banque de données concernant les migrants de retour non plus. Par conséquent, aucune information sur l’aide disponible ne peut être acheminée individuellement à chacun d’entre eux. C’est aux personnes de retour de chercher comment et où elles peuvent trouver assistance – en plus de se démener pour dénicher un emploi et un logement.

Zoran Panjković, du ministère serbe des Droits de la personne, assure que le gouvernement tente d’aider les émigrants revenus au pays et leurs enfants. Cette aide peut par exemple prendre la forme d’une simplification des procédures d’inscription dans une institution scolaire, d’exemptions de taxes pour la validation des documents requis en vue de réclamer une assistance sociale, ou encore de cours de langue serbe destinés spécifiquement aux enfants ayant été scolarisés à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, le nerf de la guerre reste, comme toujours, l’argent – et il en faudra bien davantage pour soutenir des programmes de réintégration à long terme. Malheureusement, les gouvernements, dans les États en transition tels que la Serbie, répètent ne même pas avoir à leur disposition les fonds nécessaires pour résoudre des problèmes concernant les communautés rroms qui ont toujours vécu dans le pays. Alors, pour ce qui est d’aider les nouveaux venus…

Par ailleurs, les fonds que l’UE alloue à la réintégration des émigrés de retour dans leur pays d’origine ne sont pas encore disponibles. En effet, la Serbie n’a toujours pas complété ses recherches à l’échelle nationale en vue d’évaluer ses besoins financiers en matières d’aide sociale, d’habitation, de scolarisation et autres, explique Zoran Panjković.

Bref, les migrants de retour dans leur pays se sentent abandonnés par leurs deux patries : aucune ne semble se soucier de leur sort. « La chose la plus difficile est de comprendre à quel point l’État que vous considériez comme le vôtre n’a qu’une seule envie, celle de se débarrasser de vous », soupire Milan. « Après, l’État où l’on vous renvoie, lui, n’a qu’une seule chose à vous dire : « Mais qu’est-ce que tu fais ici, toi ? On n’a pas besoin de toi ! »

« Personne ne veut de nous, et nous n’appartenons à aucun lieu… », conclut-il.

balkans.courriers.info - 27.10.09

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails