Analyse critique du Rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection, de MM. Jean-Pierre Sallaz, Philippe Debrosse, Dominique Han, pour le ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales (juillet 2009).
« La vidéoprotection, peut-on lire dans la lettre de mission qui commandite la récente enquête gouvernementale sur son efficacité, constitue un élément majeur d’une politique de sécurité au service de nos concitoyens. » Autant dire que les conclusions de l’enquête ne sont pas bien difficiles à deviner [1]. Mais quel travail revient aux enquêteurs, si le résultat de leurs recherches se trouve ainsi livré d’emblée ? La lettre le précise quelques lignes plus loin : il s’agit de « mettre à disposition des collectivités locales des arguments propres à susciter leur adhésion ». Autrement dit, à partir du résultat donné, de définir une stratégie méthodologique capable de lui offrir un maximum — ou un minimum — d’assise scientifique, de façon à persuader le lecteur de son caractère bien fondé.
On aurait tort de croire la tâche facile. Comme le souligne l’introduction de l’enquête :
« L’impact exclusif de la vidéoprotection est difficile à isoler dans un environnement mouvant et dans lequel elle n’est qu’un outil au service des municipalités et des forces de l’ordre. La comparaison de ville à ville est délicate compte tenu de l’hétérogénéité des situations : nature et étendue des zones vidéoprotégées, typologie de la délinquance, organisation des forces de l’ordre, implication des municipalités au travers des polices municipales ou de politiques de prévention, évolution des qualifications pénales de certains faits, etc., tous phénomènes qui peuvent interagir et ne facilitent pas la mesure de la seule efficacité des dispositifs installés. »
Face à ce qui semble en effet une mission impossible, la solution adoptée par les enquêteurs a le mérite de la simplicité. Comme ils le remarquent très justement, les « comparaisons de ville à ville » qu’ils effectuent pour « isoler (...) l’impact exclusif de la vidéoprotection » supposent d’admettre « le postulat que ces phénomènes complexes auront affecté de manière similaire aussi bien les villes équipées de vidéoprotection que celles qui ne le sont pas ». Bref, d’ignorer purement et simplement les raisons qui risqueraient d’invalider l’attribution des fluctuations statistiques constatées à l’action des caméras — imprécision des données recueillies, influence sur la délinquance de facteurs tiers et autres « phénomènes complexes ». L’efficacité de la vidéosurveillance est donc postulée d’emblée, par défaut pourrait-on dire : rien ne garantit mieux d’ailleurs que l’analyse conclura à un impact des caméras sur la délinquance. Cette méthode d’enquête une fois établie, elle est appliquée avec diligence.
Ainsi pour la définition des données recueillies et présentées. Les faits de délinquance que la présence des caméras est censée affecter sont divisés en quatre catégories : délinquance générale, délinquance de proximité, atteintes aux biens, atteintes volontaires à l’intégrité physique (AVIP). Dans la mesure où ces catégories ne procèdent pas d’une explication des procédures opérationnelles par lesquelles la vidéosurveillance doit avoir un impact sur les faits de délinquance, on est en droit de s’interroger sur leur pertinence. En particulier, la « délinquance générale » regroupe (comme son nom l’indique) tous les faits de délinquance répertoriés dans « l’état 4001 » [2] ; c’est-à-dire aussi une masse de délits comme les « infractions économiques et financières » ou les violences conjugales, qui échappent au regard des caméras. Mais, comme la méthode retenue par les enquêteurs requiert d’affranchir l’analyse de la prise en compte de « phénomènes complexes » — par exemple, du degré de visibilité des faits étudiés — les enquêteurs peuvent juger la « délinquance générale » digne d’informer l’analyse à toutes les étapes de l’étude, et ses variations d’être commentées comme si elles pouvaient livrer des enseignements sur l’efficacité des caméras [3].
En fait, comme tout examen de l’opération concrète par laquelle la vidéosurveillance agit sur tel ou tel type de délit suppose de faire intervenir des « phénomènes complexes » qui brouilleraient l’analyse, il s’agit de faire intégralement l’économie d’un tel examen. Ainsi, les enquêteurs n’hésitent pas à attribuer une baisse de la délinquance à des réseaux de vidéosurveillance dont personne ne visionne les images [4], comme c’est le cas pour les « 18 communes en zone gendarmerie qui ne sont pas équipées de CSU [5]. » Le rapport comporte d’ailleurs une contradiction grossière sur ce point, puisqu’il mentionne quelques pages plus loin qu’en « zone de gendarmerie, seuls 18 dispositifs de vidéoprotection sur les 63 audités sont reliés à un CSU » ; contradiction qu’aucune autre précision dans le rapport ne permet de lever, et qui n’a pu échapper à ses rédacteurs que parce que leur attribution aux caméras d’un effet sur la délinquance est parfaitement — méthodiquement — déconnectée de toute prise en compte des modalités opératoires de cet effet.
Fait particulièrement frappant, les enquêteurs décident de ne pas prendre en compte dans leur étude la variation des effectifs policiers dans les zones considérées. Pourtant, si tout comme au niveau national « les effectifs de la police nationale ont peu évolué dans ces CSP (-0,3%), (...) les effectifs des polices municipales ont progressé de 20% dans cet échantillon ». Or, « le nombre de policiers municipaux (non compris les agents de surveillance de la voie publique-ASVP) est passé de 13 100 en 1998 à 18 000 en 2006 au niveau national », c’est-à-dire, a connu une hausse au niveau national supérieure (+37,5%) à la hausse enregistrée dans les CSP sous vidéosurveillance. Bref, la baisse constatée de la délinquance dans les zones vidéosurveillées s’est effectuée malgré une diminution relative du nombre de policiers sur place, ce que les enquêteurs auraient pu faire valoir comme argument en faveur de l’efficacité des caméras, pour peu qu’ils se soient penchés sur les modalités opératoires de cette efficacité supposée.
La baisse du nombre de policiers conjuguée à une installation de caméras traduit en fait ce qui est peut-être le sens profond de la progression généralisée de la vidéosurveillance, à savoir : une privatisation de la sécurité publique. En effet, tandis que les forces de police dépendent des pouvoirs publics, les caméras sont le plus souvent installées et gérées par des entreprises privées. L’installation de caméras a ainsi pour effet essentiel d’ouvrir le marché de la sécurité publique à la possibilité d’en retirer des profits privés. Mais cet effet n’est pas celui qui occupe les enquêteurs.
Laisser de côté un examen des procédures opératoires dans l’élaboration d’une typologie des faits touchés par la vidéosurveillance expose néanmoins à de sérieux problèmes d’interprétation des données. En effet, de deux choses l’une :
— soit les catégories de faits distinguées enregistrent des variations homogènes, ce qui est normal si l’on considère que la présence de caméras impacte les délits concernés de la même manière dans chaque cas [6] ; mais alors, on ne voit pas l’intérêt de leur distinction, qui n’a aucune espèce de valeur explicative. Ainsi, la « délinquance de proximité » varie de façon identique aux « atteintes aux biens » au point de pourcentage près, la seconde catégorie ne se différenciant de la première que parce qu’elle comprend 11 types de délits en plus (sur les 36 que compte cette catégorie au total). Comme il n’y a pas de raison de croire que la vidéosurveillance agisse de manière spécifique sur ces délits supplémentaires — qui d’ailleurs soit comportent un nombre d’occurrences très faible (« attentats à l’explosif contre des biens publics »), soit échappent complètement au champ d’action des caméras (« autres vols simples contre des particuliers dans des locaux privés ») — on saisit mal en quoi réside l’utilité de distinguer les deux catégories. [7] Ajoutons que la « délinquance de proximité » n’est que le nom imaginé en 2008 par l’Observatoire national de la délinquance (OND) [8] pour rebaptiser l’ancienne « délinquance de rue », dont le rapport 2007 du même OND préconisait « l’abandon en tant que tel » au prétexte qu’elle ne reflétait « plus la réalité de la délinquance la plus visible subie par la population » et ne permettait « pas non plus d’analyser les évolutions des nouveaux phénomènes délictueux [9] ».
— soit les catégories de faits distinguées enregistrent des variations différentes, auquel cas, à moins de disposer d’une explication de cette différence fondée sur une analyse des procédures opérationnelles de la vidéosurveillance, la conclusion qui s’impose est que ces variations sont indépendantes de l’action des caméras. Ainsi, le fait que les AVIP enregistrent une baisse relative supérieure de 10 points aux « atteintes aux biens » en zone police et de 23,5 points en zone gendarmerie — ainsi que l’écart entre ces deux écarts — indique à lui seul que ces variations n’ont rien à voir avec un effet de la vidéosurveillance. Une analyse des données délit par délit livreraient vraisemblablement des écarts plus importants encore [10].
La mesure des variations de la délinquance censément dues à la présence des caméras procède de la même rigueur méthodologique que celle qui préside à l’élaboration de la typologie des faits constatés.
Pour les réseaux situés en zone police, l’enquête compare tantôt un « échantillon de 49 CSP [11] équipées de vidéoprotection », tantôt l’ensemble des zones « qui sont équipées de vidéoprotection (146 CSP) », avec le « total des villes non équipées en zone police » (246 CSP). Ainsi, outre que les enquêteurs amalgament des zones criminologiquement hétérogènes au prétexte qu’elles sont semblablement « équipées » — alors même que l’enquête affirme que « la vidéosurveillance a un impact différent selon la taille des villes » — ils comparent ensuite l’agrégat obtenu à un agrégat tout aussi arbitraire (les CSP « non-équipées ») dont rien ne justifie la comparabilité avec le premier. Un timide effort est malgré tout consenti pour tenter de légitimer la validité de la deuxième comparaison, puisque les enquêteurs croient utiles de mentionner que « la population (base 2008) est sensiblement identique dans les deux ensembles (un peu plus de 14 millions d’habitants pour chaque ensemble). » Mais d’une part, pour autant que cette observation suffise à valider quoi que ce soit, sa valeur méthodologique est immédiatement annulée par la précision qui la suit : « Le nombre moyen d’habitants par ville est de 99 300 pour celles disposant de vidéoprotection, et de 59 400 pour celles sans équipement. » D’autre part, si l’on accepte qu’un nombre d’administrés identique soit un critère valide pour fonder une comparaison statistique concernant des taux de délinquance, cela ne signifie t-il pas que la première comparaison est invalide ?
Pour les réseaux situés en zone gendarmerie, l’enquête compare « l’évolution des faits constatés entre les villes équipées de vidéoprotection et l’ensemble de la zone gendarmerie » : autrement dit, non seulement les enquêteurs amalgament puis comparent (comme en zone police) des zones qui n’ont criminologiquement rien à voir ni par leur taille, ni par leur nature (la zone gendarmerie recouvrant notamment de vastes zones très peu urbanisées), mais comme les « villes équipées de vidéoprotection » sont comprises dans « l’ensemble de la zone gendarmerie », les faits constatés dans ces villes sont comptés deux fois et se retrouvent donc... comparés à eux-mêmes [12].
L’aspect le plus problématique de cet exercice de comparaison est cependant que les chiffres employés ne comptabilisent pas les variations de la délinquance au niveau des zones vidéosurveillées à strictement parler, mais au niveau des circonscriptions où sont installées les caméras. Les chiffres que présente l’étude — 26 CSP (zone police) ont pu fournir des éléments statistiques différenciés sur les zones sous vidéosurveillance et dans le reste de la circonscription — indiquent une variation homogène de la délinquance à l’intérieur de ces zones : les zones « vidéoprotégées » et « non-vidéoprotégées » enregistrent ainsi des baisses similaires de la délinquance. Les enquêteurs se croient de ce fait autorisés à conclure que « l’effet plumeau », c’est-à-dire, le déplacement possible de la délinquance dû à l’installation de caméras dans une zone donnée, « est globalement faible ».
Cette confirmation empirique est fort heureuse pour les enquêteurs. En effet, à supposer que « l’effet plumeau » ait été significatif, soit la délinquance se serait déplacée vers les zones non-surveillées à l’intérieur même des circonscriptions « équipées », auquel cas les chiffres de la délinquance au niveau de la circonscription ne permettraient pas d’appréhender l’effet dissuasif des caméras, et les résultats de l’étude seraient dénués de sens ; soit la délinquance se serait déplacée vers les circonscriptions « non-équipées », auquel cas ce déplacement rendrait compte de la hausse relative de la délinquance dans ces circonscriptions, et la vidéosurveillance serait un jeu à somme nulle en termes de lutte contre la délinquance.
Mais le constat d’une variation homogène de la délinquance à l’intérieur des circonscriptions qui disposent de caméras n’est pas lui aussi sans poser problème. Si vraiment « les écarts d’évolution des faits constatés entre les zones sous vidéoprotection et celles qui ne le sont pas sont trop faibles pour qu’on puisse les calculer », ne faut-il pas en conclure que la « vidéoprotection » n’a aucun impact sur la délinquance ? Ce serait sous-estimer le zèle de nos fonctionnaires, qui préfèrent affirmer qu’on « peut constater que l’effet de la vidéoprotection sur la prévention de la délinquance dépasse le périmètre de la zone vidéoprotégée. » « Phénomène » sans doute encore plus « complexe » à prendre en compte que l’absence d’opérateurs derrière les caméras, l’absence de caméras dans les zones considérées n’empêche pas les enquêteurs d’attribuer les variations de la délinquance enregistrées à la « vidéoprotection ; » et ce, malgré le fait que les « AVIP » augmentent plus vite dans les zones vidéosurveillées (+18, 3%) que dans les zones sans caméras (+17,5%). Bref : de la méthode, toujours de la méthode [13].
Les enquêteurs jugent malgré tout utile d’étudier l’impact sur l’efficacité des réseaux de vidéosurveillance de la « densité de caméras » installées — même s’ils choisissent étrangement de définir la « densité » en fonction du nombre d’habitants plutôt que de la surface surveillés [14]. Etablir qu’une plus grande densité de caméras se traduit par une baisse de la délinquance accrue permettrait il est vrai d’assigner légitimement un effet causal à la vidéosurveillance. Malheureusement, les chiffres indiquent tout autre chose : non seulement la baisse de la « délinquance de proximité » et des « atteintes aux biens » reste identique quelle que soit la densité de caméras, mais la baisse (relative) des « atteintes volontaires à l’intégrité physique » est sensiblement plus forte (+14,3%) dans les CSP qui disposent d’une « densité de 1 caméra pour 1000 à 2000 habitants » que dans les CSP qui disposent d’une « densité supérieure à 1 caméra pour 1000 habitants » (+25, 8%). Les CSP disposant d’une « densité de 1 caméra pour plus de 2000 habitants » voient quant à elles les « AVIP » augmenter plus vite que les CSP « non-équipées » en caméras (+44,8% contre 40,5%). Là encore, la conclusion qui s’impose est que ces variations n’ont donc rien à voir avec la présence de caméras ; mais les enquêteurs préfèrent botter en touche, en expliquant que si « la baisse de la délinquance n’est pas la plus forte dans les villes où la densité de caméras est la plus élevée », la faute en est à « la qualité de l’installation et aux objectifs poursuivis par le dispositif de vidéoprotection », sans donner plus d’éléments pour soutenir cette affirmation.
Quoiqu’il en soit, s’appuyer sur une simple analyse des variations de la délinquance pour appréhender l’effet des caméras est toujours extrêmement problématique, car la fonction assignée à la vidéosurveillance est en fait double : en dissuadant les contrevenants éventuels d’agir, elle doit impacter la délinquance de façon directe ; en enregistrant les délits commis dans la zone surveillée, elle doit impacter la délinquance de façon indirecte. La difficulté en termes d’analyse statistique est que dans le premier cas, l’effet de la vidéosurveillance se traduit par une baisse du chiffre des faits constatés ; dans le second, par une hausse du même chiffre [15].
Seul le taux d’élucidation des délits (grâce auquel cette difficulté peut être contournée) permet donc une évaluation véritable de l’utilité des caméras. Or, les chiffres fournis par l’enquête à ce sujet sont accablants : en zone police, un taux d’élucidation plus élevé dans les CSP « non-équipées » que dans les CSP « équipées », des taux d’élucidation complètement sans rapport avec la densité de caméras installées, bref, un « véritable fiasco. » [16] En zone gendarmerie, où aucune comparaison entre les villes surveillées et les autres n’est proposée, une observation résume à elle seule l’apport quasi-nul des caméras aux investigations : 6 personnes « mises en cause » (ce qui ne veut pas dire condamnées) par brigade et par an grâce aux caméras, soit moins d’une « mise en cause » par caméra et par an, puisque seules sont retenues pour l’enquête les brigades « disposant d’au moins 10 caméras de voie publique » [17].
Cette étude confirme que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes. Lorsque les analyses servent de cache-sexe méthodologique à un résultat défini d’avance, la statistique n’est qu’un mauvais exercice de ventriloquie. Quant à l’efficacité de la vidéosurveillance, les manquements et les approximations de ce rapport en disent sans doute plus long que la présentation de ses investigations ou de ses résultats. On est en droit de soupçonner en effet que les enquêteurs ont été dissuadés de construire des catégories d’analyse plus pertinentes pour étudier le phénomène, tellement les données empiriques pour les instruire auraient fait défaut. Quelle que soit en effet la méthode employée pour le mesurer, un impact nul reste inexistant. Rien de plus vain que de se demander comment fonctionne un système qui, tout simplement, ne fonctionne pas.
Table de spécification des catégories par délits propres
(Nombre de catégories de délits.)
1. Délinquance générale 107
1.1. Faits de « délinquance générale » qui ne sont inclus dans aucune des autres catégories 52
1.2. « Atteintes aux biens » à l’exclusion des délits en commun avec la catégorie « atteintes volontaires à l’intégrité physique » 24
1.2.1. « Délinquance de proximité » strictement incluse dans la catégorie « atteintes aux biens » 13
1.2.2. « Atteintes aux biens » non incluses dans la catégorie « délinquance de proximité » ni dans la catégorie « atteintes volontaires à l’intégrité physique » 11
1.3. Délits communs aux catégories « atteintes aux biens » et « atteintes volontaires à l’intégrité physique » 12
1.3.1. « Délinquance de proximité » commune aux catégories « atteintes aux biens » et « atteintes volontaires à l’intégrité physique » 12
1.3.2. Délits communs aux catégories « atteintes aux biens » et « atteintes volontaires à l’intégrité physique » non inclus dans la catégorie « délinquance de proximité » 0
1.4. « Atteintes à l’intégrité physique »à l’exclusion des délits en commun avec la catégorie « atteintes aux biens » 19
Notes
[1] Jean-Marc Leclerc, qui a pu consulter cette enquête six mois avant qu’elle ne soit rendue publique, en résume ainsi la substance dans son article du Figaro intitulé « La vidéosurveillance fait chuter la délinquance de rue » (23/03/09) : « Selon les chiffres auxquels a eu accès Le Figaro, cet outil peut faire des miracles lorsqu’il est combiné intelligemment dans la chaîne de sécurité. » En plus d’être journaliste au Figaro, Jean-Marc Leclerc est membre du Groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie, un organisme dépendant du ministère de l’intérieur et dirigé par Alain Bauer. Ce dernier est président de l’Observatoire national de la délinquance, président de la Commission nationale de la vidéosurveillance (créée avant l’adoption généralisée du terme de « vidéoprotection ») et président-directeur général d’AB Associates, société au chiffre d’affaires de 3 145 000 euros (2008) qui propose des « analyses de la délinquance et des audits de sûreté » aux « collectivités territoriales, bailleurs, responsables de réseaux de transport et entreprises. »
[2] Fichier qui recense chaque année tous les faits enregistrés par les services de police et de gendarmerie, répartis selon 107 catégories de délit.
[3] Par exemple : « Les statistiques montrent que la baisse des faits de délinquance générale et d’atteintes aux biens est plus marquée pour les dispositifs comptant plus de deux ans d’existence », ou encore, « c’est dans la tranche d’une caméra pour 1 000 à 2 000 habitants que l’impact sur la délinquance est le plus fort, en particulier sur la délinquance générale et les atteintes aux personnes ».
[4] L’aspect humain est pourtant crucial au fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance, comme les enquêteurs le reconnaissent eux-mêmes en introduction : « la vidéoprotection n’est pas une fin en soi, elle n’identifie pas seule les victimes ou les agresseurs. »
[5] Centre de Supervision Urbaine. Tout juste les enquêteurs reconnaissent-ils que dans les communes sans CSU « la baisse moyenne de la délinquance est un peu plus faible » que dans les autres communes. Le contraire laisserait songeur.
[6] Par exemple, on pourrait logiquement s’attendre à ce que la vidéosurveillance impacte les faits de délinquance à mesure de leur visibilité. Une baisse homogène de faits d’une visibilité comparable indiquerait ainsi de façon convaincante un effet des caméras sur la délinquance.
[7] D’autant que les « infractions stupéfiants », par exemple, qui d’après l’étude elle-même constituent 27,3% des faits élucidés en zone police grâce aux caméras et 14,3% en zone gendarmerie, ne ressortissent d’aucune des deux catégories et ne sont donc comptabilisées qu’au sein de la « délinquance générale ».
[8] « L’agrégat “Délinquance de Voie publique” (DVP) n’a pas été abandonné en tant que tel mais a fait l’objet d’un changement de dénomination afin de mieux correspondre aux différents index statistiques qui le composent. Il se nomme désormais “Délinquance de proximité”. » Rapport OND 2008, p. 536.
[9] Il est ainsi permis de partager la perplexité de Jacques Mahéas, sénateur de la Seine-Saint-Denis et membre du Conseil d’orientation de l’OND : « Comment un agrégat qui, selon l’OND, “ne reflète plus la réalité de la délinquance la plus visible subie par la population” pourrait, l’année suivante, avoir légitimité à s’appeler “de proximité” ?! » (Rapport OND 2008, chapitre « Observations des membres du conseil d ’orientation », p. 676).
[10] On pourrait du reste faire la même remarque concernant la distinction des zones police et gendarmerie dans la présentation des résultats. Quel rapport avec l’effet des caméras sur la délinquance ? Pourquoi la vidéosurveillance impacterait-elle différemment la zone gendarmerie et la zone police ? Comment ? Pourquoi ne pas amalgamer les résultats ? Quels enseignements tirer de cette distinction ? Quel sens donner, par exemple, à cette constatation : « L’effet préventif et dissuasif est mieux marqué en zone de gendarmerie qu’en zone police » ? Sinon que cette différence n’a rien à voir avec un quelconque effet des caméras sur la délinquance ? Mystère. D’autres agrégats de délits donneraient sans doute d’autres résultats statistiques tout aussi arbitraires.
[11] Circonscription de Sécurité Publique.
[12] Il est vrai que cette approximation méthodologique n’a qu’une incidence négligeable au niveau statistique, dans la mesure où les 63 brigades considérées ne constituent que 1,75% des 3606 brigades de gendarmerie que compte la France, au total.
On peut aussi remarquer que la catégorie « atteintes aux biens » reprend intégralement la liste des délits comptabilisés sous la catégorie « délinquance de proximité » — ce qui fait donc de celle-ci une sous-rubrique de celle-là — et compte 12 types de délits en commun (sur 36) avec la catégorie « atteintes volontaires à l’intégrité physique », sans parler du fait que la « délinquance générale » regroupe tous les faits comptabilisés sous les autres rubriques. Comparer ces catégories entre elles revient donc en grande partie à les comparer à elles-mêmes ; ce qui suffit à vider de sens ces exercices de comparaison autour desquels l’étude se structure pourtant en partie. En tout état de cause, disposer ces catégories dans un tableau au même niveau de spécification, c’est-à-dire sans clarifier leurs chevauchements respectifs, est trompeur. Voir la « table de spécification des catégorie par délits propres » à la fin de ce texte pour une tentative d’élaboration, à partir des catégories utilisées dans l’enquête, de catégories de délits qui se prêteraient à une comparaison entre elles. On accorde que le résultat est ubuesque.
[13] On peut se demander d’ailleurs pourquoi l’effet bénéfique des caméras devrait s’arrêter aux frontières des circonscriptions où elles sont installées. La baisse générale de la délinquance dans les circonscriptions « non-équipées » frontalières aux circonscriptions équipées pourraient aussi, par exemple, leur être attribuée ; mais sans doute cela ruinerait-il le principe méthodologique d’une comparaison des chiffres de la délinquance antre zones « équipées » et « non-équipées » pour isoler l’effet de la vidéosurveillance.
[14] Un calcul de la densité de caméras par hectare ou par km² aurait pourtant permis de contourner une difficulté méthodologique dont les enquêteurs font état avec un souci du détail inhabituel : « Cette notion de densité n’a qu’une valeur indicative, car elle est rapportée à la population permanente des communes, alors que certaines d’entre elles, comme Agde ou Avignon, peuvent connaître des pics de fréquentation touristique à certaines périodes de l’année. La densité est calculée à partir du nombre de caméras et de la population actuels, alors que les installations ont été souvent complétées au fil des ans avec des densités inférieures en début de période. »
[15] Ce qui pourrait expliquer par exemple les absurdités statistiques relevées au paragraphe précédent, à savoir qu’au-delà d’une caméra pour 1000 habitants la vidéosurveillance semble générer de la délinquance, tout comme en-deçà d’une caméra pour 2000 habitants.
[16] Pour reprendre les termes du Deputy Chief Inspector Mick Neville, responsable du bureau des images, identifications et détections visuelles (Visual Images, Identifications and Detections Office) de la police métropolitaine de Londres, à propos de la vidéosurveillance au Royaume-Uni. : « an utter fiasco. » Ainsi, le taux d’élucidation des faits de « délinquance de proximité » reste identique quel que soit la densité de caméras installées ; il est supérieur dans les CSP « non-équipées » que dans les CSP « équipées », comme le taux d’élucidation des « atteintes aux biens ».
[17] Affirmer comme les enquêteurs le font dans la synthèse préliminaire que « le taux d’élucidation global ne progresse significativement que dans les villes où une forte densité de caméras a été installée », ce qui laisse entendre que la présence de caméras aide en effet à améliorer le taux d’élucidation, est tout simplement mensonger ; à moins de considérer des variations de moins d’un point de pourcentage comme particulièrement significatif. Mais la place stratégique accordée à ce mensonge — la plupart des lecteurs du rapport s’arrêteront en effet à la lecture de cette synthèse préliminaire — confirme la place stratégique qu’accordent les enquêteurs au taux d’élucidation dans l’évaluation de l’efficacité de la vidéosurveillance.
blog.mondediplo.net - 27.10.09
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