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24/09/2009

Peine de mort : Lisbonne provoque la polémique

Selon un passage jusqu'ici peu commenté de la Charte des droits fondamentaux, la peine de mort ou plus généralement le fait de tuer des personnes pourrait être légal en "temps de guerre", de "danger imminent" de guerre, pour "réprimer une émeute ou une insurrection", notamment. Dans une interview au journal économique allemand "Focus Money", l'auteur d'un recours devant la Cour constitutionnelle allemande contre le traité de Lisbonne, M. Karl Albrecht Schachtschneider, professeur émérite à l'Université d'Erlangen-Nuremberg dénonce ce paragraphe d'"explications" de la Charte à laquelle le traité de Lisbonne va donner force juridique contraignante. Selon lui, "les gouvernements s’attendent manifestement à des insurrections (...) le scepticisme à l’égard des gouvernements et de l’appareil européen ne cesse d’augmenter" et les insurrections sont à prévoir. L'éminent juriste évoque carrément un "despotisme" qui pourrait "dé­générer en tyrannie".

Olivier Janich, du magazine Focus-Money : D’après ce que vous affirmez dans la plainte contre le Traité de Lisbonne que vous avez adressée à la Cour constitutionnelle alle­mande, ledit Traité permet la peine de mort et le fait de tuer des personnes. Cela paraît énorme. Sur quoi fondez-vous votre argu­mentation ?

Karl Albrecht Schachtschneider : La Charte des droits fondamentaux de l’Union euro­péenne, dans les «explications» des droits fondamentaux, rend explicitement possible – contrairement à l’abolition de la peine de mort en Allemagne (art. 102 de la Loi fonda­mentale), en Autriche et ailleurs, fondée sur le principe de dignité humaine – le rétablis­sement de la peine de mort «pour des actes commis en temps de guerre ou de danger im­minent de guerre» et également le fait de tuer des personnes «pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection».

Mais la Charte n’interdit-elle pas la peine de mort ?

Ce qui est déterminant à cet égard, ce n’est pas l’article 2-2 de la Charte, qui inter­dit la peine de mort («Nul ne peut être con­damné à la peine de mort, ni exécuté.»), mais l’«explication» reprise du commentaire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen­tales (CEDH). Selon l’article 6 alinéas 1 et 3 du Traité de Lisbonne, «les droits, les liber­tés et les principes» de la Charte sont à inter­préter en fonction des dispositions générales du Titre VII de la Charte qui en définit l’in­terprétation et l’application ainsi qu’en tenant dûment compte des «explications» mention­nées dans la Charte et où sont indiquées les sources de ces dispositions.

Pourquoi tant de complication?

C’est pour dissimuler les choses. On ne pré­sente aux députés que le texte du Traité, qui est de toute façon difficile à comprendre et beaucoup trop long.

Mais est-il maintenant tout à fait clair qu’il sera possible de tuer des personnes quand le Traité sera en vigueur?

Oui. La Charte des droits fondamentaux a été adoptée en 2000 à Nice. Mais comme tous les pays n’étaient pas d’accord, elle n’avait pas de caractère obligatoire au regard du droit inter­national. Lorsque le Traité entrera en vigueur, la Charte aura ce caractère obligatoire.

Mais le passage en question ne figure que dans les explications …

Mais selon l’article 53 alinéas 3 et 5 de la Charte, elles sont contraignantes. Elles figu­rent au Journal officiel de l’Union européenne. Il n’y a pas de marge d’interprétation.

En reconnaissant le Traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle allemande n’a-t-elle pas réfuté votre interprétation?

Absolument pas. Elle ne s’est pas prononcée à ce sujet.

Est-ce habituel de sa part?

C’est même la règle. Quand elle ne veut pas étudier une question, elle ne se prononce pas.

Est-ce juridiquement possible?

C’est plus que discutable, mais habituel.

Selon l’explication, la peine de mort peut être introduite en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. Il s’agit là d’un cas très théorique.

Vous croyez? Ne sommes-nous pas en guerre en Afghanistan? Qu’est-ce qu’un danger de guerre? Qu’en était-il de la guerre en You­goslavie?

Mais il n’est pas normal, en temps de guerre, d’exécuter des déserteurs, par exemple.

Si, dans les dictatures.

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que l’on puisse tuer illégalement et sans ordon­nance d’un juge lors d’un émeute ou d’une insurrection. Qui définit cela?

C’est là le problème. A mon avis, les «mani­festations du lundi» à Leipzig, en 1989, pour­raient être qualifiées d’insurrection, comme pratiquement toute manifestation non autori­sée. Prenons les émeutes en Grèce ou les ma­nifestations récentes de Cologne et de Ham­bourg. Il suffit que quelques «autonomistes» lancent des pierres.

Il y a des politiques et des juristes qui affir­ment que les droits fondamentaux d’un pays ne peuvent qu’être améliorés par le Traité de Lisbonne, qu’ils ne peuvent pas être dégra­dés.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’affirme ni la priorité des droits fondamentaux nationaux ni un principe d’avan­tage et elle ne formule aucune clause restric­tive. Ceux qui prétendent cela montrent qu’ils ne connaissent pas le droit communautaire.

Comment cela?

Ils se fondent sur l’article 53 de la Charte, mais le texte ne dit pas cela. Il stipule qu’«aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conven­tions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la Convention euro­péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres». Le pas­sage «dans leur champ d’application respec­tif» est essentiel. En effet, si c’est le droit communautaire qui s’applique, les droits fon­damentaux de l’Union européenne sont déter­minants (article 51-1) et si c’est le droit natio­nal, les droits fondamentaux nationaux sont déterminants. Les deux textes ne s’appliquent jamais simultanément.

Mais la Cour de justice européenne pourrait établir que dans ce cas, le droit national est prioritaire.

Mais c’est justement ce qu’elle n’a jamais fait. Elle s’estime toujours compétente. En outre, l’interdiction de la peine de mort n’est pas un droit fondamental, si bien que l’argument selon lequel les droits fondamentaux ne peu­vent pas être dégradés n’est pas valable.

Un autre argument avancé par les milieux de la Commission européenne consiste à dire que ce passage devrait permettre d’accueillir la Turquie.

C’est grotesque. En tant que Communauté, nous devrions dire que nous n’accueillerons aucun pays dans lequel il est permis de tuer des personnes, et non l’inverse.

Les politiques sont-ils conscients de ce qu’ils décident là?

Peut-être pas tous, mais au moins le groupe parlementaire CDU/CSU. J’ai fait distribuer à cet effet un résumé de 5 pages seulement de ma plainte afin que les parlementaires n’aient pas trop à lire. Et le SPD devrait con­naître le problème car l’un de leurs parlementaires, Meyer, a essayé de s’opposer au Traité de Nice.

Pouvez-vous imaginer une raison pour la­quelle on prend ce genre de décision?

Les gouvernements s’attendent manifestement à des insurrections. Le scepticisme à l’égard des gouvernements et de l’appareil européen ne cesse d’augmenter. La crise financière et économique accentue la pression sur la po­pulation.

Donc on a l’intention de tirer sur les mani­festants?

C’est ce qu’il semble.

Que peut-on faire là-contre?

A mon avis, le Traité de Lisbonne justifie la résistance, également parce qu’il sape la dé­mocratie.

A quelle forme de résistance pensez-vous?

Par exemple à des manifestations et à tou­tes les formes d’opposition publique, à la voie suivie par Gandhi.

Manifestations qui vont être qualifiées d’in­surrections. Cela évoque les dictatures.

Le terme de dictature est impropre mais très usité. Depuis la République romaine, on la définit comme une législation de l’état d’ur­gence d’une portée limitée dans le temps. Je parlerais plutôt de despotisme, lequel peut dé­générer en tyrannie. D’ailleurs, si en octobre les Irlandais acceptent le Traité de Lisbonne, la peine de mort sera rétablie.

Sources: Focus-Money 35/09 du 19/8/09
& Horizons et débats n°35 du 7/9/09 (traduction française)

Documents

Article 2 de la Charte des droits fondamentaux – Droit à la vie

1. Toute personne a droit à la vie.
2. Nul ne peut être condamné à la peine de morte, ni exécuté.

Source: Charte des droits fondamentaux dans la version du 14/12/07, Journal officiel de l’Union européenne C 303/1

Explication ad article 2 – Droit à la vie

Le paragraphe 1 de cet article est fondé sur l’article 2, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH, dont le texte est le suivant:

«1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi […]».

La deuxième phrase de cette disposition, qui concerne la peine de mort, a été ren­due caduque par l’entrée en vigueur du protocole no 6 annexé à la CEDH, dont l’ar­ticle 1er est libellé comme suit:

«La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté».

C’est sur la base de cette disposition qu’est rédigé le paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte.

Les dispositions de l’article 2 de la Charte correspondent à celles des articles préci­tés de la CEDH et du protocole addition­nel. Elles en ont le même sens et la même portée, conformément à l’article 52, para­graphe 3, de la Charte. Ainsi, les définitions «négatives» qui figurent dans la CEDH doi­vent être considérées comme figurant éga­lement dans la Charte:

L’article 2, paragraphe 2, de la CEDH:

«La mort n’est pas considérée comme in­fligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a) pour assurer la défense de toute per­sonne contre la violence illégale;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une per­sonne régulièrement détenue;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.»

L’article 2 du protocole no 6 annexé à la CEDH:

«Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions […]».

Source: Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux dans la version du 14/12/07, Journal officiel de l’Union européenne C 303/17

Article 52 de la Charte des droits fondamentaux

Portée et interprétation des droits et des principes

[…]

(3) Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention euro­péenne de sauvegarde des droits de l‘Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite conven­tion. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l‘Union accorde une protection plus étendue. […]

(7) Les explications élaborées en vue de guider l‘interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considéra­tion par les juridictions de l‘Union et des Etats membres.
www.observatoiredeleurope.com - 22.09.09

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