À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

25/09/2009

Ces vraies réformes que le G20 ne fera pas

Philippe Cohen et Sylvain Lapoix

Alors que le dérisoire sommet de Pittsburgh n'est pas parvenu à surmonter les divergences entre Anglosaxons et Européens sur la limitation des bonus, Marianne2 montre qu'il existe des solutions relativement simples pour assainir le monde de la finance.

Soyons clair : nous ne pensons pas que la crise de l'automne dernier n'est que la conséquence des excès du monde de la finance. C'est exactement le contraire qui s'est passé : ce sont les excès de la finance qui sont les conséquences d'une crise systémique marquée par la compression salariale dans les pays développés, la paupérisation des classes moyennes et la surexploitation des travailleurs dans les pays en développement.

Cependant, les élites continuent de faire croire qu'une meilleure régulation du capitalisme financier suffirait à faire repartir la machine. Une histoire à dormir debout : les subprimes n'ont existé que pour suppléer à un déficit de consommation et d'investissement des classes moyennes appauvries. Bref, sans rééquilibrage du rapport de force global entre capital et travail, les mêmes causes risquent fort de provoquer les mêmes effets : on prêtera aux pauvres pour qu'ils consomment, et sous une forme ou une autre, on « titrisera » leurs crédits pour continuer à vendre des maisons et des biens de consommation.

Pour autant, limiter la spéculation et l'impérialisme de la finance n'est pas inutile. Une telle option permettrait de réorienter le capitalisme vers la production de vraies richesses et non de le cantonner dans la prolifération de papier-monnaies de toutes natures.

Nous nous sommes donc plongés dans la littérature des économistes les plus critiques, Frédéric Lordon, Paul Jorion, Aurélien Bernier et d'autres encore. Et nous avons sélectionné quatre options qui semblent à même de faire reculer la financiarisation du capitalisme :

1) Sanctuariser les banques de dépôts

Avant d'essayer de sauver la finance d'elle-même, la première mesure raisonnable consisterait à protéger les autres de ses humeurs. Sans le lien entre banques de dépôt et banques d'investissement, jamais la crise des subprimes n'aurait mis en péril les simples épargnants ou impacté si violemment sur le crédit et, par là même, sur l'économie réelle.

Avancée par Henri Guaino, l'idée est également défendue par de nombreux économistes : il faut revenir au Glass-Steagall Act de 1933 qui séparait clairement les établissements de dépôts et les banques spéculatives.

Les banques commerciales retrouveraient ainsi leur utilité sociale, leur métier «terne et ennuyeux» comme le décrit Frédéric Lordon, par opposition aux paillettes et voitures vrombissantes de l'imaginaire de la haute finance : prêts aux particuliers et aux entreprises, gestion sécurisée de l'épargne, etc. A responsabilité sociale, soutien d'Etat : Lordon suggère qu'à elles seules soient ouvert le marché interbancaire qui se chargerait de palier à leurs éventuels besoins de refinancement.

A cela, on pourrait ajouter l'abrogation pure et simple du Gramm-Leach-Bliley Act
, voté par l'administration Clinton, qui fêtera ses dix ans le 12 novembre prochain, et qui permet jusqu'à aujourd'hui la fusion d'établissements de dépôt, d'investissement et de compagnies d'assurance, créant des monstres de risques comme Citigroup (fusion de Citibank et de l'assureur Travelers Group).

Un principe clairement résumé par Nassim Taleb : «nous devons apprendre à vivre dans un monde où les entrepreneurs prennent des risques mais surtout pas les banquiers !» Conséquence probable : la fin du «too big to fail» / «trop gros pour mourir» qui a obligé les Etats à refinancer d'immenses maisons de spéculation pour éviter que les clients de leurs banques de dépôts soient privés de leurs économies. Ce sera toujours ça de moins dans la dette publique !

2) Abolir la spéculation sans risque

L'une des causes première de la crise a été parfaitement identifiée : les acteurs financiers prenaient des risques inconsidérés, se «couvrant» par toute sorte de produits... qui eux-mêmes étaient titrisés pour être vendus et faire l'objet de spéculation ! Résultat : pour 40 trillions (mille milliards) de dollars de PIB mondial annuel, 680 trillions de produits dérivés étaient échangés sur les marchés.

Autre technique utilisée pour dépenser plus qu'on ne pouvait : les «effets de leviers» par dette. Que ce soit en dette pure ou «avec marge» (versement d'une somme à contraction du prêt), les divisions tradings des banques ont usé et abusé de la méthode, atteignant des démultiplicateurs de 30 empruntés pour 1 détenu en fonds propres ! Conséquence de ces mécanismes : ayant à leur disposition des sommes sans rapport avec leurs fonds propres, les agents prenaient des risques bien plus élevés qu'ils pouvaient en assumer en réalité, d'autant plus que les pertes étaient «couvertes» par des assurances qui, titrisées, n'étaient pas plus sûres que les actions avec lesquelles ils jonglaient.

Une véritable moralisation du capitalisme passerait par une limitation des effets de levier pour les banques d'investissements mais aussi pour leurs clients (hedge fund et prime broker) : Frédéric Lordon propose un ratio de 2 ou 3, maximum. Quant aux marchés de dérivés, autant les fermer carrément : au lieu de faciliter la couverture, ils les affaiblissent à chaque fois qu'une crise survenait, au moment même où elle est la plus utile. Disposant de moins de liquidités et devant faire face aux conséquences de leurs prises de position, les banques d'investissements seraient bien moins tentées de jongler avec les positions à risque et reviendraient à des pratiques plus mesurées. Et, qui sait, seraient tenter de miser sur des secteurs qui en ont vraiment besoin !

3) Imposer la transparence sur les produits financiers

Pour Frédéric Lordon, «l'excès de sophistication financière» est l'une des deux causes de la crise, avec l'anomalie de profitabilité. Trop complexes, les produits financiers ont rendus les circuits de propagation du risque illisibles, reliant le porte-feuille d'actions de la ville de Saint-Etienne à l'insolvabilité des ménages pauvres du fin fond des Etats-Unis ! Pour construire une économie d'après crise, il faut des fondations neuves et claires, une architecture financière à poutres apparentes où chaque faiblesse peut être repérée, pour éviter que le premier souffle terrasse Wall Street à nouveau.

Pour cela, pas de secret, il faut freiner l'innovation et faire contrôler tout produit mis en circulation dans les marchés financiers. A la chute de Lehman Brothers, certains produits complexes échangés étaient accompagnés de notice explicatives de 200 pages : l'ordre nécessaire pour acheter et vendre 200 000 unités prenait moins de dix secondes. Et on s'est ensuite étonné de ne pas avoir vu la faille dans le système sous ces montagnes de paperasse mathématique...

Un contrôle cohérent impliquerait un organisme public, composé d'agents de contrôle indépendants des marchés, chargés de décrypter selon des critères de clarté et de risque tout produit mis en circulation. Ces critères s'appuieraient sur une charte internationale de lisibilité des produits financiers établie par une organisme composé de représentant des Etats et surtout pas des banques d'investissement.

4) Interdire la spéculation sur les biens de première nécessité ou d'intérêt général

Depuis de nombreuses années, un duo infernal pourrie la vie de centaines de millions d'agriculteurs dans le monde : le pétrole et Goldman Sachs. Spécialiste des marchés à terme en matière première, la « Firme », comme on surnomme cette banque à Wall Street, fait la pluie et le beau temps sur les prix du pétrole : une étude prévoyant une hausse et elle fait flamber les cours dans l'heure, une prévision d'évolution négative et le baril touche le fond... Des fluctuations qui mettent en dangers financiers quotidiens les paysans, écrasés entre le prix du gasoil et celui des pesticides dérivés de l'or noir...

Tout cela serait juste inquiétant si les productions agricoles n'étaient pas elles-mêmes côtées et ne faisaient l'objet de spéculation sur les marchés à terme qui parient, à 3, 6 ou 12 mois, sur leur prix futur, influençant le prix actuel. Résultat : du riz au blé en passant par le fourrage pour animaux, rien des subsistances n'échappent à la bourse de Chicago où sont côtés ces valeurs. Ce n'est pas pour rien qu'un spéculateur comme Charles Beigbeder a vendu son affaire dans l'électricité pour acheter des terres en Ukraine. Ainsi, pour engendrer du profit, les spéculateurs ont tout intérêt à voir monter ces prix, causant l'explosion du prix de l'alimentation dans le monde entier. Avec tous les marchés à terme sur les produits de première nécessité, il est temps que la Bourse de Chicago ferme !

La spéculation sur les matières premières est tellement intégrée dans les marchés financiers que c'est un ancien cadre de Goldman Sachs, Gary Gensler, qui dirige l'agence de surveillance des marchés des matières premières ! Dans la logique de la séparation entre économie réelle et spéculation pure, cette agence n'aura plus de raison d'être.

De même, comme le suggère Aurélien Bernier, secrétaire national du Mouvement politique d’éducation populaire, le marché des droits à polluer relève de la même absurdité : censé réduire les émissions de gaz à effet de serre en distribuant des quotas, il a donné lieu à un effondrement du prix de la tonne de carbone de 30 à 1€ et encourage les usines à fuir dans les pays qui ne se soumettent pas à ces principes. Le tout en créant une nouvelle source de spéculation pour les traders qui titrisent déjà des bons d'émission carbone !

Dans cette logique, le bon sens voudrait qu'on interdise également la titrisation du risque assurantiel, notamment les fameuses subprimes de la mort que préparent avec application le Crédit Suisse ou Morgan Stanley en mêlant à leurs produits des polices d'assurance décès. Par sécurité, au cas où des petits malins inventeraient l'idée dans la nuit, il serait bon de sanctuariser l'eau douce : on ne sait jamais ce qu'iront inventer les traders pour fabriquer de la valeur.

Mais une fois privés de tous ces produits à titriser, sur quoi miseront les spéculateurs, me direz-vous ? Sur la réussite des entreprises, sur de bonnes idées ou des secteurs porteurs. Les banques d'investissement, mises face à leurs responsabilités, apporteraient des moyens aux sociétés qui leur paraissent solides ou prometteuses : nouvelles technologies, développement durable, loisir... Un vrai plan de relance financé par les traders : elle est pas belle la moralisation du capitalisme quand on y réfléchit sans les banquiers ?

Marianne2 - 25.09.09

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails