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03/04/2011

Nucléaire: quels sont les risques de la sous-traitance?

Elsa Fayner

Au Japon, comme en France, les tâches dangereuses du nucléaire sont confiées à des sous-traitants. Qui sont ces nomades du nucléaire, qui interviennent de centrale en centrale? Quels sont les risques de la sous-traitance pour leur santé, et pour la sûreté du pays?
Au Japon, environ 80% des travailleurs du nucléaire sont des sous-traitants, recrutés parmi les couches les plus paupérisées de la population japonaise, raconte Mathieu Gaulène sur lexpress.fr. Ces travailleurs pauvres et non qualifiés effectuent pour quelques jours, parfois quelques semaines, les tâches les plus dangereuses au coeur des centrales nucléaires. Parce qu’ils se déplacent de centrale en centrale, on les appelle au Japon les « gitans du nucléaire » (genpatsu jipushi), du nom d’un livre de Kunio Horie publié en 1984.

30 000 nomades du nucléaire en France

En France, ils se surnomment eux-mêmes les « bêtes à doses » ou « bêtes à rems » (le rem est une ancienne unité de mesure de dose de radiation absorbée par un organisme vivant, remplacé de nos jours par le sievert), comme le raconte sur ce blog Philippe Billard, salarié sous-traitant du nucléaire, militant CGT. « Les agents EDF sont devenus les gendarmes du nucléaire: ils ne font que contrôler les sous-traitants. Ils ne pénètrent jamais dans certaines zones, celles où tu prends le quart de ta dose annuelle en deux minutes ».
Ces 30 000 travailleurs extérieurs, la plupart intérimaires, qui travaillent pour des entreprises prestataires assurent aujourd’hui 80 % des activités de maintenance des centrales, contre 50% au début des années 90.

Des doses « acceptables »?

« Sur ces 30 000 travailleurs extérieurs, il y en a entre 300 et 400 qui marchent à 10, 12, 15, 20 millisieverts par an », constate sur ce blog Michel Lallier, représentant de la CGT au Haut Comité à la transparence et à l’information sur la sécurité nucléaire. « Ils ont 3% de risques supplémentaires de développer des cancers dans les 30-40 ans: des poumons, de l’appareil digestif, de la thyroïde ».
Ce « risque supplémentaire » vient s’ajouter au risque moyen encouru par la population française. C’est la probabilité en plus que ces OS de l’atome soient atteints d’un cancer.
Toutefois, ce calcul fait débat. S’il y a consensus scientifique sur les doses supérieures à 100 millisieverts par an -alors le risque d’apparition d’un cancer est directement proportionnel à la dose reçue-, la division règne concernant ce qu’on appelle les « faibles doses ».
« L’absence d’effets décelables lors d’études épidémiologiques menées jusqu’à présent ne permet pas d’exclure l’existence de risques pour les êtres vivants. De plus amples recherches sont indispensables », avance prudemment l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. « Actuellement, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) recommande que la population générale ne soit pas exposée à plus de 1 mSv par an ajouté à l’exposition naturelle. Pour les travailleurs, le seuil maximal recommandé est de 20 mSv par an. Ces seuils ont été fixés pour gérer les risques de manière optimale à un coût acceptable. »
Quel est le coût acceptable en la matière? Autrement dit accepte-t-on un « volume acceptable » de malades et de morts du fait de l’exposition professionnelle? Rappelons que la loi contraint les employeurs à une obligation de résultat en terme de santé: elle interdit que le travail porte atteinte à la santé.
Or, des études récentes ont d’ailleurs établi une connexion entre les maladies cardiovasculaires et une exposition à des rayonnements à des niveaux de dose comparables à ceux auxquels sont exposés les travailleurs du secteur nucléaire.
« Les effets sont retardés, comme ceux de l’amiante », explique Michel Lallier. « Car la cible principale du rayonnement radioactif est l’ADN : le rayonnement provoque des lésions qui peuvent conduire à l’apparition de mutations responsables d’un cancer. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de registre des cancers dans les départements. Et les salariés ne les déclarent pas toujours comme maladies professionnelles: seuls les cancers des poumons et de la thyroïde entrent dans les maladies reconnues dans ces cas-là. Pour les autres cancers, il faut passer de commission en commission, ce que les agents EDF peuvent faire, pas les intérimaires ».
S’ajoute, en effet, à l’exposition la difficulté à suivre médicalement des travailleurs nomades, qui changent régulièrement d’employeur et de région.

Un tour de France qui s’accélère

Autre cause de risque: depuis les années 90, la durée de leurs interventions été réduites par deux, pour effectuer toujours les mêmes tâches. Car ils interviennent pendant que les machines ne tournent pas et, pour des raisons de coûts, mieux vaut réduire le nombre de ces journées d’interruption. Résultat: les nomades passent de plus en plus vite de centrale en centrale. Ce qui n’est pas sans danger.
« Je me souviens d’un salarié qui arrivait d’une autre centrale, en renfort », raconte Philippe Billard. « On ne lui a pas laissé le temps de se reposer, de prendre connaissance des lieux. Il a foncé. Il s’est trompé de tranche: au lieu d’intervenir sur des machines au repos, il s’est attaqué à une machine en activité. Il s’est pris un organe de la pompe en pleine figure, il a perdu un oeil. »
Et pour la sûreté de l’installation? « Parfois, nous n’avons pas le temps de finir notre intervention qu’on reçoit un nouvel ordre de mission de notre employeur – la société de sous-traitance- pour partir sur une autre centrale », poursuit le président de l’association Santé et Sous-traitance. « Une fois, des gars ont même oublié un échafaudage à l’intérieur d’un condensateur. »
Pour éviter ce type d’incident, les nomades du nucléaire se refilent les tuyaux. « On sait très bien qu’il y a des tranches qui pètent plus que d’autres », explique Philippe Billard. « Je pense à une tranche, dans une centrale que je connais bien, où les ruptures de gaines sont fréquentes, et où les intervenants prennent des doses. On en discute, sur un coin de table, dans un bar, entre deux centrales, pour savoir comment limiter les dégâts ».

Des ingénieurs inquiets

Mais les travailleurs ne sont pas les seuls à s’inquiéter. Les ingénieurs de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire aussi, au moins en off. L’épouse de l’un d’entre eux a réagi sur ce blog pour raconter les discussions lors de « soirées amicales d’ingénieurs de l’IRSN et leurs épouses » qui travaillaient dans un centre de recherche du Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives (CEA).
« Ils évoquaient régulièrement les maladresses des sous-traitants, avec angoisse », raconte cette internaute. « Je me souviens surtout de la vanne qui alimentait un circuit de refroidissement et l’intervenant l’ignorait. C’est parce qu’un technicien s’en est avisé sans être mandaté d’une responsabilité de vérification que la vanne a été tournée du bon côté. Je me souviens aussi d’incidents commentés au fil des conversations et j’ai vu combien cette sous-traitance à bas coûts les inquiétait ».

Conserver le savoir-faire

L’autorité de sûreté nucléaire vient d’annoncer qu’elle allait se pencher sur la question de la sous-traitance. L’ASN entend vérifier notamment que l’entreprise « garde en interne un volume de compétences suffisant pour conserver la maîtrise (de la sûreté nucléaire) et assurer la responsabilité de l’ensemble de la sûreté », a expliqué à l’AFP Olivier Gupta, directeur général adjoint de l’ASN.
Parallèlement, depuis quelques temps,, EDF annonce la ré-internalisation des travailleurs extérieurs, raconte Michel Lallier. « Pas pour préserver leur santé, mais parce qu’EDF s’aperçoit que ce sont eux qui conservent le savoir-faire. Les agents d’EDF partent en retraite vers 55-57 ans, alors que les intérimaires partent plus tard. Aujourd’hui, ce sont eux qui ont les connaissances des machines ».
Elsa Fayner

Lire également sur le même sujet

Sur les risques liés à la sous-traitance, de manière plus générale:

http://voila-le-travail.fr/2011/04/03/nucleaire-quels-sont-les-risques-de-la-sous-traitance/

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