Jean Pérès
Une enquête commandée par l’Unicef à l’Observatoire international de la violence à l’école, enquête réalisée auprès de 12 326 élèves de 8 à 12 ans, établit que 89% des élèves interrogés sont heureux d’aller à l’école et n’y rencontrent pas ou peu de problèmes, ni avec leurs camarades, ni avec les maîtres et maîtresses. Résultat au vu duquel l’Unicef a intitulé son enquête : « À l’école des enfants heureux… enfin presque ». Presque, parce qu’il y a les 11% des enfants qui rencontrent des problèmes, plus ou moins importants. C’est sur ces 11% que les médias se sont concentrés.
Dans l’enquête (publiée sur le site l’Unicef), on peut lire cette conclusion présentée comme « rassurante ».
« Loin du catastrophisme affolé qui s’est emparé des représentations communes de l’école française, notre enquête livre un regard très positif des élèves sur leur établissement, leurs enseignants et les relations avec leurs camarades. À cette perception d’un bon climat scolaire correspond une victimation somme toute assez restreinte [1]. En bref notre première approche est plutôt revigorante ! Si bien sûr nous nous attarderons sur les enfants victimes il n’en faut pas moins garder en toile de fond cette donnée rassurante et qu’il est étonnant peut-être de rappeler : oui les enfants sont le plus souvent heureux dans leur école. »
L’article du Monde se fait l’écho de cette conclusion : « L’école primaire française reste un service public qui tourne et ce, en harmonie avec ses usagers – les élèves. Neuf sur dix se sentent bien à l’école et ont de bonnes relations avec leur maître (89% dans les deux cas). Un instituteur qui enseigne bien (95%), de bons copains (83,5%), des récrés agréables (93%) et des punitions justes (75%) : "Bien peu de services publics pourraient se targuer d’un tel degré de satisfaction chez leurs usagers" note le rédacteur du rapport, Éric Debarbieux » (Le Monde du 30 mars 2011). Mais…
Mimétisme alarmiste
… Mais le « quotidien de référence » titre « Plus d’un enfant sur dix est harcelé par ses camarades à l’école », et consacre l’essentiel de l’article aux diverses brimades que subissent les élèves.
C’est ce titre alarmant que reprennent, à quelques variantes près, la plupart des journaux et sites : _ - « Un enfant sur dix victime de harcèlement à l’école, selon un rapport » (AFP, 29-03-2011)
- « La souffrance à l’école, un problème pour 10% des enfants » (France Soir, site, 29-03-2011)
- « Un élève sur dix victime de violence » (L’Humanité, site, 30-03-2011)
- « Un enfant sur dix se dit victime de harcèlement à l’école » (La Croix, site, 29-03-2011)
- « Une grande enquête sur la violence à l’école : un enfant sur dix se dit victime de harcèlement » (TF1, 20h, 29-03-2011)
- Insultes, menaces, coups ou rackets, un enfant sur dix se sent harcelé à l’école primaire (France 2, 20h, 29-03-2011)
- Violence à l’école : dès le primaire… (France Info, site, 29-03-2011)
- Un enfant sur dix se dit harcelé (site de Elle, 29-03-2011)
- Un enfant sur dix serait un « souffre-douleur » (Le Télégramme, site, 29-03-2011)
Etc.
L’Express se singularise sur son site et traduit à sa manière un des résultats intéressants de cette enquête qui établit qu’il n’y a pas plus de violence entre les élèves dans les ZEP que dans les autres écoles : « Il y a du harcèlement même dans les meilleures écoles ».
Copier-coller, mimétisme, identité de vue sur l’événement… on se perd en conjectures devant une telle unanimité dans la présentation des résultats de cette enquête. Certes, malgré cette titraille alarmiste, la grande majorité des médias qui ont repris l’information mentionnent, le plus souvent dans le corps de l’article, les résultats « rassurants » de l’enquête. Mais ces derniers sont minimisés par la mise en forme de l’information qui met en exergue les résultats inquiétants et dont le titre est la forme privilégiée. Le titre, qui est censé condenser un sujet, concentre l’attention du lecteur ou de l’auditeur et sera retenu comme l’information dominante. En l’occurrence, les titres choisis permettent de ranger cette enquête, à contresens de son contenu, dans le lieu commun médiatique de « la violence à l’école », cas particulier de « la violence » en général. L’effet de dramatisation est assuré et le « catastrophisme affolé » est garanti…
Le Parisien enquête…
Le Parisien du 29 mars se distingue par une « enquête » journalistique qui inverse complètement le sens de l’enquête de l’Unicef qui se voulait scientifique.
Titre de la « Une » : « Un enfant sur dix harcelé à l’école ». Et sous le titre : « Pour la première fois, une enquête de l’Unicef révèle qu’au moins 10% des écoliers sont victimes de coups et de brimades de la part de leurs camarades. Nous sommes allés à la rencontre de ces souffre-douleur »
Les pages intérieures du Parisien confirment sa « Une ». Sur deux pages, un très gros titre : « Beaucoup trop d’élèves harcelés à l’école », titres secondaires :
- « Une injure, ce n’est pas anodin »
- « Comment aider les enfants victimes »
- « Théo, cible à 9 ans d’une bande de "petits durs" »
- « Pendant trois ans, on ne s’est douté de rien »
- « La révolte d’un ado rondouillard harcelé, vidéo star du Net ».
Fidèle à une technique dont il s’est fait une spécialité, c’est à travers des faits divers dramatisants que Le Parisien illustre l’enquête de l’Unicef. Or justement, un des objectifs avoués de cette enquête était de substituer une approche scientifique à une approche « fait divers » de la question, comme l’écrit le rapporteur :
« Il faut connaître les types de violence principaux et leur fréquence, les expériences des victimes et les conséquences de leur victimation pour éviter de se faire happer par le fait-divers, l’exceptionnel qui recouvre de son bruit la parole des victimes ordinaires. » Ou encore : « Le premier rôle de la quantification de la violence est donc un rôle critique : il est déconstruction de l’émotionnel et du fait-divers, et c’est un droit d’information du public. Plutôt que de partir sur des négations ou sur des fantasmes, ce type d’enquêtes permet de mieux orienter l’action. »
Mais en une seule journée, la mécanique médiatique a reconstruit, par les titres choisis par l’ensemble des médias et plus encore par les développements propres au Parisien, « l’émotionnel et le fait divers ».
La question scolaire est une des questions auxquelles les classes populaires (dont est issue une part importante des lecteurs du Parisien) sont extrêmement sensibles, parce qu’elle touche à l’avenir des enfants qui sont la seule richesse des plus démunis [2]. Est-ce une raison suffisante d’alimenter, de façon unilatérale, leurs inquiétudes ?
Et plus généralement, les médias seraient-ils en dehors du rôle que l’on peut attendre d’eux, et seraient-ils même moins « vendeurs » s’ils titraient les résultats de cette enquête, par exemple « À l’école des enfants heureux… enfin presque » titre de l’enquête elle-même, qui en exprime bien le contenu, mais qu’aucun d’entre eux, à notre connaissance, n’a su ni voulu adopter. Par souci d’indépendance ?
« Loin du catastrophisme affolé qui s’est emparé des représentations communes de l’école française, notre enquête livre un regard très positif des élèves sur leur établissement, leurs enseignants et les relations avec leurs camarades. À cette perception d’un bon climat scolaire correspond une victimation somme toute assez restreinte [1]. En bref notre première approche est plutôt revigorante ! Si bien sûr nous nous attarderons sur les enfants victimes il n’en faut pas moins garder en toile de fond cette donnée rassurante et qu’il est étonnant peut-être de rappeler : oui les enfants sont le plus souvent heureux dans leur école. »
L’article du Monde se fait l’écho de cette conclusion : « L’école primaire française reste un service public qui tourne et ce, en harmonie avec ses usagers – les élèves. Neuf sur dix se sentent bien à l’école et ont de bonnes relations avec leur maître (89% dans les deux cas). Un instituteur qui enseigne bien (95%), de bons copains (83,5%), des récrés agréables (93%) et des punitions justes (75%) : "Bien peu de services publics pourraient se targuer d’un tel degré de satisfaction chez leurs usagers" note le rédacteur du rapport, Éric Debarbieux » (Le Monde du 30 mars 2011). Mais…
Mimétisme alarmiste
… Mais le « quotidien de référence » titre « Plus d’un enfant sur dix est harcelé par ses camarades à l’école », et consacre l’essentiel de l’article aux diverses brimades que subissent les élèves.
C’est ce titre alarmant que reprennent, à quelques variantes près, la plupart des journaux et sites : _ - « Un enfant sur dix victime de harcèlement à l’école, selon un rapport » (AFP, 29-03-2011)
- « La souffrance à l’école, un problème pour 10% des enfants » (France Soir, site, 29-03-2011)
- « Un élève sur dix victime de violence » (L’Humanité, site, 30-03-2011)
- « Un enfant sur dix se dit victime de harcèlement à l’école » (La Croix, site, 29-03-2011)
- « Une grande enquête sur la violence à l’école : un enfant sur dix se dit victime de harcèlement » (TF1, 20h, 29-03-2011)
- Insultes, menaces, coups ou rackets, un enfant sur dix se sent harcelé à l’école primaire (France 2, 20h, 29-03-2011)
- Violence à l’école : dès le primaire… (France Info, site, 29-03-2011)
- Un enfant sur dix se dit harcelé (site de Elle, 29-03-2011)
- Un enfant sur dix serait un « souffre-douleur » (Le Télégramme, site, 29-03-2011)
Etc.
L’Express se singularise sur son site et traduit à sa manière un des résultats intéressants de cette enquête qui établit qu’il n’y a pas plus de violence entre les élèves dans les ZEP que dans les autres écoles : « Il y a du harcèlement même dans les meilleures écoles ».
Copier-coller, mimétisme, identité de vue sur l’événement… on se perd en conjectures devant une telle unanimité dans la présentation des résultats de cette enquête. Certes, malgré cette titraille alarmiste, la grande majorité des médias qui ont repris l’information mentionnent, le plus souvent dans le corps de l’article, les résultats « rassurants » de l’enquête. Mais ces derniers sont minimisés par la mise en forme de l’information qui met en exergue les résultats inquiétants et dont le titre est la forme privilégiée. Le titre, qui est censé condenser un sujet, concentre l’attention du lecteur ou de l’auditeur et sera retenu comme l’information dominante. En l’occurrence, les titres choisis permettent de ranger cette enquête, à contresens de son contenu, dans le lieu commun médiatique de « la violence à l’école », cas particulier de « la violence » en général. L’effet de dramatisation est assuré et le « catastrophisme affolé » est garanti…
Le Parisien enquête…
Le Parisien du 29 mars se distingue par une « enquête » journalistique qui inverse complètement le sens de l’enquête de l’Unicef qui se voulait scientifique.
Titre de la « Une » : « Un enfant sur dix harcelé à l’école ». Et sous le titre : « Pour la première fois, une enquête de l’Unicef révèle qu’au moins 10% des écoliers sont victimes de coups et de brimades de la part de leurs camarades. Nous sommes allés à la rencontre de ces souffre-douleur »
Les pages intérieures du Parisien confirment sa « Une ». Sur deux pages, un très gros titre : « Beaucoup trop d’élèves harcelés à l’école », titres secondaires :
- « Une injure, ce n’est pas anodin »
- « Comment aider les enfants victimes »
- « Théo, cible à 9 ans d’une bande de "petits durs" »
- « Pendant trois ans, on ne s’est douté de rien »
- « La révolte d’un ado rondouillard harcelé, vidéo star du Net ».
Fidèle à une technique dont il s’est fait une spécialité, c’est à travers des faits divers dramatisants que Le Parisien illustre l’enquête de l’Unicef. Or justement, un des objectifs avoués de cette enquête était de substituer une approche scientifique à une approche « fait divers » de la question, comme l’écrit le rapporteur :
« Il faut connaître les types de violence principaux et leur fréquence, les expériences des victimes et les conséquences de leur victimation pour éviter de se faire happer par le fait-divers, l’exceptionnel qui recouvre de son bruit la parole des victimes ordinaires. » Ou encore : « Le premier rôle de la quantification de la violence est donc un rôle critique : il est déconstruction de l’émotionnel et du fait-divers, et c’est un droit d’information du public. Plutôt que de partir sur des négations ou sur des fantasmes, ce type d’enquêtes permet de mieux orienter l’action. »
Mais en une seule journée, la mécanique médiatique a reconstruit, par les titres choisis par l’ensemble des médias et plus encore par les développements propres au Parisien, « l’émotionnel et le fait divers ».
La question scolaire est une des questions auxquelles les classes populaires (dont est issue une part importante des lecteurs du Parisien) sont extrêmement sensibles, parce qu’elle touche à l’avenir des enfants qui sont la seule richesse des plus démunis [2]. Est-ce une raison suffisante d’alimenter, de façon unilatérale, leurs inquiétudes ?
Et plus généralement, les médias seraient-ils en dehors du rôle que l’on peut attendre d’eux, et seraient-ils même moins « vendeurs » s’ils titraient les résultats de cette enquête, par exemple « À l’école des enfants heureux… enfin presque » titre de l’enquête elle-même, qui en exprime bien le contenu, mais qu’aucun d’entre eux, à notre connaissance, n’a su ni voulu adopter. Par souci d’indépendance ?
Notes
[1] « La victimation définit le fait de subir une atteinte, matérielle, corporelle ou psychique (ainsi que d’en être conscient). Ce néologisme se démarque de celui de victimisation » dans la mesure où celui-ci présente des significations multiples. « Ainsi peut-on qualifier d’« enquêtes de victimation » les études qui cherchent à recenser le nombre de personnes subissant différentes violences, telles que des vols, injures, meurtrissures, viols, etc. » (avec Wikipédia).[2] Comme le souligne Vincent Goulet, dans son ouvrage Médias et classes populaires, (Lire notre article Lire : Médias et classes populaires, de Vincent Goulet et voir la vidéo de son intervention à un jeudi d’Acrimed Les faits divers font-ils diversion ? Vidéos d’un Jeudi d’Acrimed, avec Vincent Goulet.)
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