Régis Soubrouillard
Logistiquement trop légères pour être décisives dans un conflit, lourdement encadrées par les législations nationales et internationales, parfois coupables de bavures et moralement difficiles à justifier, avec la professionalisation du militaire et faute d'ennemi majeur, les sociétés militaires privées sont devenues un acteur essentiel des conflits modernes.
Ces dernières années, le processus de mondialisation a largement entamé les compétences des états, ces derniers délestant parfois au privé leurs fonctions régaliennes : souveraineté économique, justice, sécurité, défense. Certains y ajoutant parfois l’éducation.
Propres à l’Etat souverain, elles n’en constituent pas moins un marché. En matière sécuritaire, la décennie 1990 a vu l’émergence de nouvelles menaces : pays du sud, terrorisme, kidnappings, crime organisé ou encore la prolifération des armes de destruction massive. Le marché de la sécurité est florissant. Editeur du Homeland Defense Journal, Don Dickson annonçait que les attaques du 11 septembre constitueraient un facteur d’innovation aussi important que l’avait été le lancement du Spoutnik en 1957 ! Avec un marché mondial dont le chiffre d’affaires est estimé à 430 milliards d’euros, inutile de s’étonner de la multiplication de ces sociétés de sécurité privées. D’abord aux USA (173 milliards d’euros) puis en Europe, marché de la sécurité collective, (120 milliards). Enfin l’Asie qui représente 20% du marché mondial est en pleine expansion.
A mesure qu’il croît, le marché se spécialise : celui de la sécurité privée en zones de guerre est estimé à 100 milliards de dollars sur les dix prochaines années. La France veut sa part du gâteau.
Les Américains ont franchi le pas depuis longtemps. Le nombre de militaires provenant de Sociétés Militaires privées (SMP) est supérieur aux contingents américains sur les terrains d’opérations. Une première dans l'histoire des opérations militaires américaines. Et pas question d'arrêter.
En 2011, l’Afghanistan devrait accueillir 130.000 civils sous contrat contre 100.000 militaires.
Un processus mûrement réfléchi « d’hybridation du militaire », effet direct de la disparition de l’équilibre des puissances américaines et russes, de l’extinction progressive des armées occidentales et de la mondialisation. Mais qui ne doit rien au hasard selon Georges Henri Bricet des Vallons, chercheur associé à l’institut Choiseul et auteur de Irak, terre mercenaire : « la privatisation/mercenarisation du champ de bataille ne doit pas être perçue comme une singularité, un spasme créé par une situation exceptionnelle – la cassure des capacités de projection de l’armée américaine occasionnée par la guerre d’Irak – mais la maturation, le produit terminal des évolutions de l’american way of war depuis un demi-siècle et particulièrement de la période post-guerre froide » déclarait-il au site Theatrum Belli.
Propres à l’Etat souverain, elles n’en constituent pas moins un marché. En matière sécuritaire, la décennie 1990 a vu l’émergence de nouvelles menaces : pays du sud, terrorisme, kidnappings, crime organisé ou encore la prolifération des armes de destruction massive. Le marché de la sécurité est florissant. Editeur du Homeland Defense Journal, Don Dickson annonçait que les attaques du 11 septembre constitueraient un facteur d’innovation aussi important que l’avait été le lancement du Spoutnik en 1957 ! Avec un marché mondial dont le chiffre d’affaires est estimé à 430 milliards d’euros, inutile de s’étonner de la multiplication de ces sociétés de sécurité privées. D’abord aux USA (173 milliards d’euros) puis en Europe, marché de la sécurité collective, (120 milliards). Enfin l’Asie qui représente 20% du marché mondial est en pleine expansion.
A mesure qu’il croît, le marché se spécialise : celui de la sécurité privée en zones de guerre est estimé à 100 milliards de dollars sur les dix prochaines années. La France veut sa part du gâteau.
Les Américains ont franchi le pas depuis longtemps. Le nombre de militaires provenant de Sociétés Militaires privées (SMP) est supérieur aux contingents américains sur les terrains d’opérations. Une première dans l'histoire des opérations militaires américaines. Et pas question d'arrêter.
En 2011, l’Afghanistan devrait accueillir 130.000 civils sous contrat contre 100.000 militaires.
Un processus mûrement réfléchi « d’hybridation du militaire », effet direct de la disparition de l’équilibre des puissances américaines et russes, de l’extinction progressive des armées occidentales et de la mondialisation. Mais qui ne doit rien au hasard selon Georges Henri Bricet des Vallons, chercheur associé à l’institut Choiseul et auteur de Irak, terre mercenaire : « la privatisation/mercenarisation du champ de bataille ne doit pas être perçue comme une singularité, un spasme créé par une situation exceptionnelle – la cassure des capacités de projection de l’armée américaine occasionnée par la guerre d’Irak – mais la maturation, le produit terminal des évolutions de l’american way of war depuis un demi-siècle et particulièrement de la période post-guerre froide » déclarait-il au site Theatrum Belli.
Après la guerre froide, le marché de la sécurité explose
La montée en puissance des sociétés militaires privées est, en effet, le résultat ancien de la décantation de toute la politique de défense depuis la seconde guerre mondiale : « A la suite de la disparition de l’URSS, un certain nombre de crises ont diminué en intensité, or les armées de conscription étaient des outils militaires formatés pour la guerre froide. Simultanément, d’autres crises ont pris une valeur marchande. Notamment en Afrique du Sud ou en Israël. Les américains ont compris qu’il y avait là un marché, et qu’ils pouvaient mettre leurs anciens officiers à disposition. Par ailleurs, la professionnalisation se répand et quand vous avez une armée, vous refusez, en général, de faire faire des activités de gardiennage ou de logistique par des militaires professionnels. Dans le même temps, les ONG n'ont aucun intérêt à faire appel à des armées professionnelles pour assurer leur protection, sinon elles ne sont plus dans une logique humanitaire. Même chose pour les entreprises. Ce besoin de privé de sécurité est aussi consécutif à cette nouvelle situation géopolitique. Ce que l'on aurait jamais imaginé c’est que l’armée américaine aurait amené en Irak plus d’effectifs de sociétés privées que de militaires» commente Pierre Conesa, ancien chargé de mission au ministère de la Défense et directeur général du CEIS (Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique). C'était sans compter l'immense machinerie stratégique qui se retrouve, elle aussi, en quasi chômage technique avec la disparition de l'ennemi juré.
C’est au moment de la guerre d’Irak qu’explose la demande de forces privées, conséquence de l’incompétence, du niveau d’impréparation des militaires américains et de la situation de sous-effectif, soigneusement entretenue par le Pentagone, de l’armée américaine. La guerre d’Irak a jeté dans les geôles irakiennes des milliers de prisonniers. La machine d’Etat américaine est complètement débordée par l'ampleur de la tâche, obligée de déléguer certaines opérations de renseignement au secteur privé. Les sociétés privées mettent un pied au cœur du système de défense américain. Dans une enquête fouillée parue en septembre, le Washington Post présentait la nébuleuse privée du renseignement américain, décrivant notamment une dépendance au privé. Un monstre coûteux, inefficace, aux ramifications infinies dont même l’administration américaine n’était pas sûre de mesurer l’étendue. Un exemple: la société Xe (ex-Blackwater) utilise des drones au compte de la CIA, repère des cibles pour l’armée américaine. Cibles qui seront traités par la suite par les drones de l’armée américaine. Le ridicule de l’externalisation est atteint. Un stratège fou qui aurait voulu concevoir une armée de Shadocks n’aurait pas fait mieux.
C’est au moment de la guerre d’Irak qu’explose la demande de forces privées, conséquence de l’incompétence, du niveau d’impréparation des militaires américains et de la situation de sous-effectif, soigneusement entretenue par le Pentagone, de l’armée américaine. La guerre d’Irak a jeté dans les geôles irakiennes des milliers de prisonniers. La machine d’Etat américaine est complètement débordée par l'ampleur de la tâche, obligée de déléguer certaines opérations de renseignement au secteur privé. Les sociétés privées mettent un pied au cœur du système de défense américain. Dans une enquête fouillée parue en septembre, le Washington Post présentait la nébuleuse privée du renseignement américain, décrivant notamment une dépendance au privé. Un monstre coûteux, inefficace, aux ramifications infinies dont même l’administration américaine n’était pas sûre de mesurer l’étendue. Un exemple: la société Xe (ex-Blackwater) utilise des drones au compte de la CIA, repère des cibles pour l’armée américaine. Cibles qui seront traités par la suite par les drones de l’armée américaine. Le ridicule de l’externalisation est atteint. Un stratège fou qui aurait voulu concevoir une armée de Shadocks n’aurait pas fait mieux.
Un marché de la sécurité complètement irresponsable
Ces sociétés présentent pourtant de nombreuses « qualités ». Une certaine impunité sur le territoire irakien, la réduction des coûts (estimée globalement de l’ordre de 6 à 10%) et une inscription dans la logique d’exigence du « zéro mort ». En Irak, les pertes des SMP représentent 25% des pertes totales (6.000 morts en Irak) ce qui « permet de blanchir la comptabilité morbide de la guerre » selon l’expression de Georges Henri Bricet des Vallons. Médiatiquement un mort SMP ne vaut pas un soldat G.I.
Plus difficile à gérer, les SMP appliquent les mêmes règles de sécurité que les militaires. C’est bien là tout le problème selon Pierre Conesa : « vous foncez à toute vitesse dans Bagdad, s’il y a un ralentissement, c’est peut-être un attentat en gestation. L’attitude de Blackwater, c'est de tirer dans le tas : 17 morts. Cela s'est passé à Bagdad. Nous sommes face à cette situation incroyable où des gens sont tués par des sociétés privées qui se comportent comme des militaires en situation de guerre alors qu’ils sont là pour protéger des acteurs et ne sont pas des belligérants. Et ils ont moins de compte à rendre. Vous avez là un rude problème de contrôle ! D’autant que ce sont souvent des anciens militaires ratés qui aiment beaucoup les armes et jouer les gros bras. Chez les militaires, il y a toute une hiérarchie qui constitue une chaîne de responsabilité. Dans le cas des SMP, en cas de bavure, la société ferme, et on en recrée une nouvelle. Par nature, vous avez un marché de la sécurité qui est complètement irresponsable».
Dès le lendemain de la fusillade décrite ici, le gouvernement irakien annonça sa volonté de révoquer la licence d'opération de la firme américaine. Impossible ! La situation irakienne ne permettait pas de mettre fin à ces opérations, en raison du danger que cela représentait pour les diplomates américains se retrouvant sans protection. CQFD.
Malgré quelques gesticulations de bonne volonté du département de la défense américain, le 31 décembre 2009, le juge en charge du dossier laisse tomber toutes les charges contre les ex-gardes de Blackwater. Plus franchement en cour en Irak, Blackwater abandonne le flambeau de la sécurité en Irak à Dyncorp, un autre géant du secteur. Mise en vente début octobre, la désormais rebaptisée Xe Services pâtit d’une mauvaise réputation - ce sont près de 200 « incidents de tirs » qui ont été imputés à Blackwater entre 2005 et 2007. Dans 80% des cas, les employés de Blackwater auraient tiré les premiers- elle reste, néanmoins, l’un des importants sous-traitants de l’armée américaine.
Plus difficile à gérer, les SMP appliquent les mêmes règles de sécurité que les militaires. C’est bien là tout le problème selon Pierre Conesa : « vous foncez à toute vitesse dans Bagdad, s’il y a un ralentissement, c’est peut-être un attentat en gestation. L’attitude de Blackwater, c'est de tirer dans le tas : 17 morts. Cela s'est passé à Bagdad. Nous sommes face à cette situation incroyable où des gens sont tués par des sociétés privées qui se comportent comme des militaires en situation de guerre alors qu’ils sont là pour protéger des acteurs et ne sont pas des belligérants. Et ils ont moins de compte à rendre. Vous avez là un rude problème de contrôle ! D’autant que ce sont souvent des anciens militaires ratés qui aiment beaucoup les armes et jouer les gros bras. Chez les militaires, il y a toute une hiérarchie qui constitue une chaîne de responsabilité. Dans le cas des SMP, en cas de bavure, la société ferme, et on en recrée une nouvelle. Par nature, vous avez un marché de la sécurité qui est complètement irresponsable».
Dès le lendemain de la fusillade décrite ici, le gouvernement irakien annonça sa volonté de révoquer la licence d'opération de la firme américaine. Impossible ! La situation irakienne ne permettait pas de mettre fin à ces opérations, en raison du danger que cela représentait pour les diplomates américains se retrouvant sans protection. CQFD.
Malgré quelques gesticulations de bonne volonté du département de la défense américain, le 31 décembre 2009, le juge en charge du dossier laisse tomber toutes les charges contre les ex-gardes de Blackwater. Plus franchement en cour en Irak, Blackwater abandonne le flambeau de la sécurité en Irak à Dyncorp, un autre géant du secteur. Mise en vente début octobre, la désormais rebaptisée Xe Services pâtit d’une mauvaise réputation - ce sont près de 200 « incidents de tirs » qui ont été imputés à Blackwater entre 2005 et 2007. Dans 80% des cas, les employés de Blackwater auraient tiré les premiers- elle reste, néanmoins, l’un des importants sous-traitants de l’armée américaine.
Karzaï et les sociétés militaires privées: les copains d'abord
Affirmation affichée d’une volonté de reprise en main du pays par Karzai, le 3 octobre 2010, la présidence afghane annonce l’interdiction pour huit sociétés militaires privées (SMP) d’opérer en Afghanistan. Le ménage commence. Karzai veut se débarrasser de toutes les SMP avant la fin de l'année.
Problème: Karzai n’a absolument pas les moyens de se passer de ces sociétés sur son territoire. Sa propre police ne fonctionne pas.
L’annonce relève bien plus de la manœuvre destinée à favoriser les SMP dirigées par ses proches et à interdire les concurrents. La famille Karzai a compris depuis longtemps que dans un pays sans véritable police, le business de la sécurité et de l'ordre avait un avenir.
De nombreuses sociétés de sécurité sont, en effet, aux mains de magnats appartenant au clan Karzai. C’est le cas d’Asia Security Group dirigé par Hashmat Karzai, cousin du président, ou Watan Risk Management d’Ahmed Rateb Popal et Rashid Popal, deux frères et cousins de Karzai. Etrangement, les sociétés du clan Karzai ne sont en rien concernées par ces interdictions contrairement à leurs concurrents directs parmi lesquels l’américaine Xe (ex-Blackwater) qui détient d’importants contrats. La présidence les accuse d'appartenir à la « mafia économique » qui s'est constituée à cause de « contrats de corruption ». Sûr que conserver ces contrats au sein du clan Karzai lèvera tout soupçon de corruption. De là à imaginer que le président afghan n'aurait pas forcéement intérêt à favoriser l'émergence d'une police d'Etat qualifiée compétente...
Affirmation affichée d’une volonté de reprise en main du pays par Karzai, le 3 octobre 2010, la présidence afghane annonce l’interdiction pour huit sociétés militaires privées (SMP) d’opérer en Afghanistan. Le ménage commence. Karzai veut se débarrasser de toutes les SMP avant la fin de l'année.
Problème: Karzai n’a absolument pas les moyens de se passer de ces sociétés sur son territoire. Sa propre police ne fonctionne pas.
L’annonce relève bien plus de la manœuvre destinée à favoriser les SMP dirigées par ses proches et à interdire les concurrents. La famille Karzai a compris depuis longtemps que dans un pays sans véritable police, le business de la sécurité et de l'ordre avait un avenir.
De nombreuses sociétés de sécurité sont, en effet, aux mains de magnats appartenant au clan Karzai. C’est le cas d’Asia Security Group dirigé par Hashmat Karzai, cousin du président, ou Watan Risk Management d’Ahmed Rateb Popal et Rashid Popal, deux frères et cousins de Karzai. Etrangement, les sociétés du clan Karzai ne sont en rien concernées par ces interdictions contrairement à leurs concurrents directs parmi lesquels l’américaine Xe (ex-Blackwater) qui détient d’importants contrats. La présidence les accuse d'appartenir à la « mafia économique » qui s'est constituée à cause de « contrats de corruption ». Sûr que conserver ces contrats au sein du clan Karzai lèvera tout soupçon de corruption. De là à imaginer que le président afghan n'aurait pas forcéement intérêt à favoriser l'émergence d'une police d'Etat qualifiée compétente...
A suivre: Le paysage français de la sécurité privée
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