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22/10/2010

Jeunesse : merci de bien vouloir chômer, et en silence!

Camille Peugny

Les débats autour de la participation des lycéens et des étudiants à la mobilisation contre la réforme des retraites offrent un triste résumé de tous les poncifs qui s’accumulent à l’encontre de la jeunesse. Premier poncif, les jeunes seraient évidemment manipulés, par les syndicats et les partis politiques de gauche, mais pire encore, ils seraient « conditionnés », « endoctrinés » dès leur plus jeune âge, par des enseignants gauchistes leur insufflant le poison de la contestation : faut-il avoir quitté les bancs de l’école ou des amphithéâtres depuis longtemps pour oser proférer de telles inepties…Second poncif, la jeunesse des années 2000 serait d’une tristesse et d’un conformisme accablants, toute occupée à compter ses futurs trimestres de cotisation, à l’opposé des générations précédentes, généreuses, ouvertes sur un monde qu’elles rêvaient de changer. Est-ce si difficile de comprendre que la question des retraites ne se posait pas pour les générations nées après la guerre, tout simplement parce qu’elles étaient assurées d’en bénéficier ?
On en arrive au troisième poncif : mais pourquoi diable ces jeunes manifestent-ils contre une réforme qui sauve le système par répartition et qui précisément vise à leur garantir une retraite décente ? Pour le coup, il n’est pas nécessaire d’être jeune, mais seulement de savoir lire (par exemple le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites), pour comprendre que l’équilibre financier du système de retraite n’est absolument pas assuré par les seules mesures d’âge.
En réalité, tant que l’on en reste aux poncifs, le vrai débat, celui de l’insertion professionnelle et de l’emploi des jeunes, est occulté. Si les jeunes sont dans la rue aujourd’hui, c’est bien parce que leur situation sur le marché du travail est terriblement dégradée. Au second trimestre 2010, plus de 23% des actifs de moins de 25 ans étaient au chômage (25% des jeunes femmes et 22% des jeunes hommes). Et parmi les 15-29 ans en emploi, avant même l’explosion de la crise financière à l’automne 2008, 35% étaient des salariés précaires (CDD, intérim, contrats aidés). Après des études sensiblement plus longues que les générations précédentes, la durée de l’insertion sur le marché du travail s’allonge également jusqu’à la difficile obtention d’un contrat à durée indéterminée, en moyenne à plus de 28 ans. Dès lors, se mobiliser n’est pas un caprice ou un effet de mode mais une réponse à des injonctions contradictoires de la société : il faudra travailler plus longtemps, mais l’accès à un premier emploi stable et correctement rémunéré relève souvent du parcours du combattant. Même jeune, on sait faire des additions simples : si la période des études et la phase d’insertion sur le marché du travail ne sont pas d’une manière ou d’une autre prise en compte, l’âge effectif de la retraite sera repoussé bien au-delà des limites actuelles. La prise en compte des stages dans le calcul de la retraite relève d’un devoir minimal de la société envers sa jeunesse. Il faudrait en réalité aller bien au-delà, et trouver des mécanismes qui permettent de tenir compte de cette autre réalité démographique qu’est la poursuite d’études de plus en plus longues. Montrons-nous inventifs : pourquoi ne pas permettre à ceux qui font des études longues de « racheter » une partie de ces dernières, par exemple via une augmentation ponctuelle de leurs cotisations retraite à un moment de leur cycle de vie où ils le jugeraient le plus possible* (par exemple, au moment où leur position sur le marché du travail est la plus solide, quel que soit l’âge) ?
Une partie de la France a vraiment un problème avec sa jeunesse. Cette dernière est soit caricaturée comme une génération de bons à rien, vautrée sur des canapés à jouer à la console ou perdant ses journées à raconter sa vie sur les réseaux sociaux, soit dépeinte comme triste à pleurer à défendre son droit à la retraite, manipulée par des vieux marxistes malintentionnés. Pour certains, décidément, un bon jeune, c’est un jeune qui chôme, et en silence.
* On peut, pour le moment, racheter au plus douze trimestres, selon un barème très compliqué et surtout à un prix qui dissuade toute tentative. On estime à une fourchette allant de 1000€ à 6000€ le coût du rachat d’un trimestre, selon l’âge auquel intervient le rachat.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/peugny/2010/10/19/jeunesse-merci-de-bien-vouloir-chomer-et-en-silence/

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