Collectif Manouchian
En matière de lutte contre les discriminations racistes plus que dans n’importe quel autre domaine, les mots employés ne sont ni neutres ni anodins. Au contraire, ils sont surchargés de sens et sont révélateurs des discours et des postures contradictoires qui s’affrontent les unes les autres : les mécanismes et les logiques qui les animent doivent pouvoir être repérées. Extraites d’un Glossaire critique des notions liées aux discriminations racistes, les remarques qui suivent se proposent plus précisément de définir la notion de culture, et de critiquer ses usages actuels. À l’heure où le plus pauvre et le plus douteux des culturalismes est remis au coeur du débat politique, médiatique et intellectuel, à la faveur notamment de l’inquiétante Opération Hugues Lagrange, il nous a paru utile de les republier.
Culture
Le concept de « culture » est un des plus difficiles à définir. Plus de mille définitions au moins sont cumulables dans les différents travaux en sciences sociales et dans les multiples dictionnaires. Le terme « culture » désigne tout à la fois des produits artistiques ou culinaires, des manières d’être, des façons de réagir face à l’imprévu, des modalités pour forger du lien social, des rituels face aux différents moments de l’existence, etc. La culture est donc un rapport au monde, à soi et à l’autre, qui se traduit sous de multiples formes.
Chaque individu n’a pas une culture mais des cultures, et il est porteur d’un ensemble de cultures, se rattache à, peut appeler et mobiliser, différentes appartenances culturelles.
La culture est un processus dynamique, toujours en mouvement, même si chacun a l’illusion de percevoir une culture figée, comme sur un mouvement arrêté sur une photo. La culture est la manière dont un groupe social donné apporte des réponses aux questions socio-anthropologiques fondamentales (l’homme et sa place dans les groupes qu’il construit) et s’adapte aux défis que lui pose son environnement (social et naturel) : la relation entre les individus et les sexes, les groupes sociaux, le rapport à l’Autre, la mort, le sens de la vie, la nature, la place occupée par l’homme dans l’univers, etc. Ces grandes questions sont universelles tandis que les réponses varient selon les groupes sociaux considérés (à un moment donné). Il y a ainsi autant de cultures qu’il y a de réponses apportées dans le temps et dans l’espace par les différents groupes qui nous ont précédés ou qui coexistent, et qui nous suivront.
À cette définition de la culture s’oppose une autre que nous qualifierons d’« essentialiste », et qui donne naissance au culturalisme : la culture serait une essence portée par chaque groupe et société (et qui les spécifieraient en conséquence) depuis la nuit des temps jusqu’à aujourd’hui et pour demain. Cette définition de la culture, quel que soit son raffinement ou sa relativisation, a servi historiquement à justifier de nombreux processus de domination fondés sur une hiérarchisation des cultures et civilisations : esclavage, colonisation, nazisme, etc.
Culturalisme
Le contexte historique de naissance du culturalisme dans les sciences sociales est celui des années 30. Il se développe en anthropologie et en psychanalyse, en opposition au racisme biologique et à l’ethnocentrisme dominant. Des anthropologues comme Margaret Mead et des psychanalystes comme Ruth Benedict démontrent par des études comparatives que nombres de traits et de comportements attribués à une « nature » (le sexe, la race, etc.) sont des productions sociales. Le culturalisme consiste donc alors à critiquer le naturalisme, idéologie justificatrice des inégalités et des dominations dans le contexte contexte de l’époque, marqué par l’impérialisme occidental.
L’affirmation du « relativisme culturel » permet alors de remettre en cause deux des axes des idéologies de dominations de cette période : l’évolutionnisme anthropologique (situant les différentes cultures sur une échelle de civilisation) et l’ethnocentrisme (jugeant les autres cultures à partir de la sienne en la postulant comme supérieure). L’idéologie coloniale, avec entre autre sa fameuse « mission civilisatrice », résume à la caricature le paradigme dominant contre lequel se construit le culturalisme.
L’expérience du nazisme puis la décolonisation viennent rendre illégitimes les explications biologistes et naturalistes. Dans ce nouveau contexte historique, le racisme tend à se réapproprier le terme de culture en l’essentialisant, c’est-à-dire en confondant les « cultures » avec des « natures » : l’argumentation n’est plus biologiste mais culturelle, mais la culture est définie avec tous les attributs de ce que les racistes biologistes appelaient « nature » (fixité et anhistoricité, homogénéité et absence de contradiction, hiérarchisation ou apartheid).
Quelques décennies plus tard, l’extrême droite – et en particulier son outil idéologique, le « Club de l’horloge » – systématiseront le processus en récupérant la revendication du « droit à la différence » pour le transformer en assignation à la différence. Le relativisme culturel, méthode et outil favorisant l’égalité et l’émancipation, tend dans ce nouveau contexte historique à se muter en principe absolu, négateur des interactions inégalitaires, et ce faisant les justifiant et les reproduisant.
Le culturalisme contemporain tend donc à se transformer en idéologie de la domination : la vision culturaliste contemporaine tend à produire l’autre en le réduisant à une différence non pas biologique mais culturelle [1]. La culture est un facteur explicatif majeur (éventuellement masqué), mais elle est aussi une forme euphémisée de la biologie, parce qu’elle est figée, voire naturalisée. Et puisque la culture est un facteur figé, elle n’est pas susceptible de modifications, d’influences, de formes composites, de formes nouvelles et émergentes, et les formes culturelles sont renvoyées à leur origine culturelle – ce qui exclut toute invention culturelle qui fait du neuf avec du vieux, voire même éventuellement du neuf avec du neuf.
Le concept de « culture » est un des plus difficiles à définir. Plus de mille définitions au moins sont cumulables dans les différents travaux en sciences sociales et dans les multiples dictionnaires. Le terme « culture » désigne tout à la fois des produits artistiques ou culinaires, des manières d’être, des façons de réagir face à l’imprévu, des modalités pour forger du lien social, des rituels face aux différents moments de l’existence, etc. La culture est donc un rapport au monde, à soi et à l’autre, qui se traduit sous de multiples formes.
Chaque individu n’a pas une culture mais des cultures, et il est porteur d’un ensemble de cultures, se rattache à, peut appeler et mobiliser, différentes appartenances culturelles.
La culture est un processus dynamique, toujours en mouvement, même si chacun a l’illusion de percevoir une culture figée, comme sur un mouvement arrêté sur une photo. La culture est la manière dont un groupe social donné apporte des réponses aux questions socio-anthropologiques fondamentales (l’homme et sa place dans les groupes qu’il construit) et s’adapte aux défis que lui pose son environnement (social et naturel) : la relation entre les individus et les sexes, les groupes sociaux, le rapport à l’Autre, la mort, le sens de la vie, la nature, la place occupée par l’homme dans l’univers, etc. Ces grandes questions sont universelles tandis que les réponses varient selon les groupes sociaux considérés (à un moment donné). Il y a ainsi autant de cultures qu’il y a de réponses apportées dans le temps et dans l’espace par les différents groupes qui nous ont précédés ou qui coexistent, et qui nous suivront.
À cette définition de la culture s’oppose une autre que nous qualifierons d’« essentialiste », et qui donne naissance au culturalisme : la culture serait une essence portée par chaque groupe et société (et qui les spécifieraient en conséquence) depuis la nuit des temps jusqu’à aujourd’hui et pour demain. Cette définition de la culture, quel que soit son raffinement ou sa relativisation, a servi historiquement à justifier de nombreux processus de domination fondés sur une hiérarchisation des cultures et civilisations : esclavage, colonisation, nazisme, etc.
Culturalisme
Le contexte historique de naissance du culturalisme dans les sciences sociales est celui des années 30. Il se développe en anthropologie et en psychanalyse, en opposition au racisme biologique et à l’ethnocentrisme dominant. Des anthropologues comme Margaret Mead et des psychanalystes comme Ruth Benedict démontrent par des études comparatives que nombres de traits et de comportements attribués à une « nature » (le sexe, la race, etc.) sont des productions sociales. Le culturalisme consiste donc alors à critiquer le naturalisme, idéologie justificatrice des inégalités et des dominations dans le contexte contexte de l’époque, marqué par l’impérialisme occidental.
L’affirmation du « relativisme culturel » permet alors de remettre en cause deux des axes des idéologies de dominations de cette période : l’évolutionnisme anthropologique (situant les différentes cultures sur une échelle de civilisation) et l’ethnocentrisme (jugeant les autres cultures à partir de la sienne en la postulant comme supérieure). L’idéologie coloniale, avec entre autre sa fameuse « mission civilisatrice », résume à la caricature le paradigme dominant contre lequel se construit le culturalisme.
L’expérience du nazisme puis la décolonisation viennent rendre illégitimes les explications biologistes et naturalistes. Dans ce nouveau contexte historique, le racisme tend à se réapproprier le terme de culture en l’essentialisant, c’est-à-dire en confondant les « cultures » avec des « natures » : l’argumentation n’est plus biologiste mais culturelle, mais la culture est définie avec tous les attributs de ce que les racistes biologistes appelaient « nature » (fixité et anhistoricité, homogénéité et absence de contradiction, hiérarchisation ou apartheid).
Quelques décennies plus tard, l’extrême droite – et en particulier son outil idéologique, le « Club de l’horloge » – systématiseront le processus en récupérant la revendication du « droit à la différence » pour le transformer en assignation à la différence. Le relativisme culturel, méthode et outil favorisant l’égalité et l’émancipation, tend dans ce nouveau contexte historique à se muter en principe absolu, négateur des interactions inégalitaires, et ce faisant les justifiant et les reproduisant.
Le culturalisme contemporain tend donc à se transformer en idéologie de la domination : la vision culturaliste contemporaine tend à produire l’autre en le réduisant à une différence non pas biologique mais culturelle [1]. La culture est un facteur explicatif majeur (éventuellement masqué), mais elle est aussi une forme euphémisée de la biologie, parce qu’elle est figée, voire naturalisée. Et puisque la culture est un facteur figé, elle n’est pas susceptible de modifications, d’influences, de formes composites, de formes nouvelles et émergentes, et les formes culturelles sont renvoyées à leur origine culturelle – ce qui exclut toute invention culturelle qui fait du neuf avec du vieux, voire même éventuellement du neuf avec du neuf.
P.-S.
Ce texte est extrait d’un Glossaire critique des notions liées aux discriminations racistes, disponible dans son intégralité sur le site Les figures de la domination. Nous le reproduisons avec l’amicale autorisation des auteur-e-s.
À lire aussi : Saïd Bouamama, « La dialectique tradition / modernité : impasses et avatars d’une réduction culturaliste » et Denys Cuche, La notion de culture en sciences sociales, La Découverte, 2001.
À lire aussi : Saïd Bouamama, « La dialectique tradition / modernité : impasses et avatars d’une réduction culturaliste » et Denys Cuche, La notion de culture en sciences sociales, La Découverte, 2001.
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