Un an et demi après l'effondrement de Lehman Brothers, à l'origine de la plus grave crise économique et financière mondiale depuis la Grande Dépression, les interrogations persistent. Comment l'un des établissements phares de Wall Street a-t-il pu sombrer sans signes avant-coureurs ? On imagine aisément les raisons pouvant pousser les dirigeants de l'établissement à fermer les yeux. Mais il est plus difficile de croire que rien n'avait filtré à l'extérieur avant ce mois fatidique de septembre 2008. Même dans un monde cloisonné comme celui de la finance, aussi complexe soit-il, les langues ont tendance à se délier.
Au jeu des révélations, c'est logiquement le 'Wall Street Journal' qui avait ouvert les hostilités en début de semaine, tâche facilitée s'il en est par la publication début mars du rapport de l'expert désigné par les tribunaux américains pour se prononcer sur cette retentissante faillite. Citant une source bien informée, la quotidien new-yorkais révélait que la banque déchue avait licencié un de ses vice-président dans le cadre d'un plan de réduction d'effectifs seulement quelques semaines après que ce dernier eut mis en cause le système comptable de la banque sur les valeurs mobilières. Matthew Lee, salarié de Lehman pendant 14 ans, avait soulevé ses préoccupations auprès des auditeurs d'Ernst & Young, concernant 50 Milliards de Dollars d'actifs qui auraient été sortis artificiellement du bilan de l'établissement bancaire. L'ancien dirigeant laisse largement entendre que son départ n'est pas étranger à sa prise de position.
Ce vendredi matin, le pendant britannique du quotidien des affaires américaines, le 'Financial Times', affirme de son côté que la sonnette d'alarme avait été tirée plusieurs mois avant l'effondrement de Lehman par une tierce personne. Et pas n'importe laquelle, puisque c'est le concurrent Merrill Lynch qui aurait prévenu la Securities and Exchange Commission (le régulateur boursier américain) et la Réserve Fédérale que Lehman Brothers utilisait des méthodes erronées pour mesurer sa santé financière. Une dénonciation qui cadre mal avec la loi du silence qui domine généralement dans le milieu, et qui n'entrait pas non plus dans le domaine de la bonne action rédemptrice. En effet, les sources citées par le quotidien britannique lui ont expliqué que les banquiers d'affaires de Merrill Lynch en auraient eu assez de voir leurs homologues de Lehman se pavaner devant les milieux d'affaires en vantant la solidité financière de leur établissement et les bons résultats obtenus face à la concurrence. Une bonne dénonciation devait permettre de remettre les pendules à l'heure et de rabattre le caquet de l'insolente. "Business is business"...
Le rapport d'expert de 2.200 pages traitant des pratiques de Lehman Brothers va continuer à livrer des éléments sur les rouages de l'organisation de la banque d'affaires. Il a d'ores et déjà démontré que la direction de Lehman utilisait une technique baptisée "Repo 105", consistant à jouer sur le marché des prêts avec collatéral. Cette stratégie comptable aurait contribué à occulter le risque pesant sur la banque d'affaires pendant les contrôles effectués par les régulateurs sur la firme. Le rapport évoque également des surévaluations d'actifs immobiliers et plus généralement l'utilisation d'artifices comptables. Il conclut également que la banque était devenue techniquement insolvable plusieurs semaines avant les événements de la mi-septembre.
Ces révélations soulèvent évidemment de nombreuses questions sur l'usage qui a été fait de ces révélations par les organismes de tutelle et sur leur possible passivité. A l'heure où la cacophonie règne sur la façon de réguler une industrie que d'aucuns jugent absolument incontrôlable, la genèse de la chute de Lehman Brothers est riche d'enseignements. La justice américaine va désormais s'employer à déterminer qui savait quoi dans un dossier où tout le monde botte en touche. Pour l'heure, les auditeurs affirment que la direction jugeait l'avertissement de Matthew Lee infondé, et l'ancien président Richard Fuld a toujours clamé qu'il ne savait rien de ces pratiques...
http://www.boursier.com/vals/all/lehman-brohers-les-langues-se-delient-eco-784.htm
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