Après une décennie d’embellie, le marché de l’emploi a brutalement rechuté depuis la crise. L’écart entre situations protégées et précaires se creuse. Il est également plus difficile de retrouver un travail.
Voici maintenant trente ans que la France a quitté le chemin du plein emploi. Les deux chocs pétroliers ont marqué la fin des trente glorieuses et l’émergence d’un chômage de masse persistant dans l’ensemble des pays développés. Entre 1975 et 1997, la France a vu son taux de chômage passer de 3 % à près de 11 %, l’un des plus forts taux de chômage des pays développés. Après dix années de rigueur, avec un taux de chômage culminant à 10,8 %, un François Mitterrand fataliste affirmait en 1993 : « En matière de lutte contre le chômage, tout a été essayé et tout a échoué.
Sévère rechute après une décennie d’amélioration
La fin des années 1990 a pourtant connu une embellie réelle du marché du travail, à la faveur d’une forte croissance et d’un changement important de la politique de l’emploi. La conjonction des 35 heures, d’un recours massif aux emplois jeunes et des allégements de charges sur les bas salaires met fin à plus d’une décennie de rigueur et de mise en concurrence des systèmes sociaux au sein de l’Union européenne, et donne enfin du souffle au marché du travail français. Après un rebond consécutif à la récession de 2001, le chômage reprend sa baisse en 2004. L’économie mondiale semble alors entrer dans une phase de croissance durable et soutenue qui se conjugue à un ralentissement de la population active. Dans ces conditions, le taux de chômage français est ramené à 7,1 % début 2008. La baisse du chômage, dans un contexte démographique porteur, a nourri la perspective d’un retour au plein emploi, qui semblait à portée de main fin 2007.
La crise économique et financière est venue doucher cet espoir, renvoyant l’économie française à la hantise du chômage de masse des années 1990. Le rythme des destructions d’emplois est d’une violence inédite depuis l’après-guerre et, malgré la stagnation de la population active, 600 000 chômeurs supplémentaires ont été enregistrés depuis début 2008 (soit deux points de chômage). L’intégralité de la baisse du chômage enregistrée depuis 2005 a ainsi été effacée par la crise.
La violence et la rapidité de l’impact de la crise sur l’emploi ont notamment mis en lumière la forte dualité du marché du travail français, où coexistent un noyau dur d’emplois protégés et diverses formes d’emplois courts (CDD, intérim). La part de ces emplois courts s’est fortement accrue depuis le début des années 1990 : le nombre d’intérimaires a plus que doublé au cours des dix années précédant la crise (pour atteindre 670 000 personnes début 2008), et les CDD de moins d’un mois représentent aujourd’hui près de 60 % des contrats signés. Avec pour conséquence un ajustement de l’emploi au retournement conjoncturel particulièrement rapide. Lors des précédentes crises, en effet, les entreprises avaient d’abord recours à une baisse de la durée du travail sous diverses formes (baisse du nombre d’heures supplémentaires, recours au chômage partiel, congés et RTT imposés) avant de procéder à des réductions d’effectifs. La récente précarisation d’une frange de la population active a permis aux entreprises d’ajuster immédiatement l’emploi à l’effondrement de l’activité via des destructions d’emplois intérimaires d’une ampleur sans précédent. Ceci a permis jusqu’à présent la préservation de l’emploi protégé. La réduction du recours à l’intérim au bénéfice des emplois durables a encore été accentuée par l’encouragement fiscal aux heures supplémentaires, instauré par la loi Tepa.
Jeunes et peu qualifiés, les plus touchés
Cette forte dualité du marché du travail condamne les populations les plus fragiles à une forte précarité, et rend l’insertion des nouveaux entrants difficile. Si la violence de la crise a affecté l’ensemble des secteurs et des populations en emploi, la hausse du chômage a majoritairement touché les plus fragiles sur le marché du travail : les peu qualifiés et les jeunes. Moins insérés sur le marché du travail, les jeunes présentent traditionnellement un taux de chômage plus élevé que leurs aînés, et sont les premiers touchés en cas de dégradation de la conjoncture. Les peu qualifiés sont également particulièrement touchés par le chômage, et le sous-emploi d’une manière générale. Les politiques d’abaissement de charges sur les bas salaires ont certes permis, depuis les années 1990, de stabiliser la part de l’emploi non qualifié dans l’emploi total, mais leur taux de chômage demeurait à 11,8 % en 2008, contre 7,8 % dans la population totale. Au cours de la crise, le taux de chômage a de nouveau beaucoup plus augmenté pour les salariés faiblement qualifiés que pour ceux qui disposent d’un niveau de formation supérieur. En revanche, la crise ayant particulièrement touché le secteur de l’industrie, plus masculin, la forte hausse du taux de chômage des hommes a accéléré la convergence avec celui des femmes, réduisant à 0,5 point l’écart, contre 4 points dans les années 1980.
Le pire est-il est passé ?
Aujourd’hui, l’économie mondiale semble retrouver la voie de la croissance, et le soulagement succède à la crainte d’une crise mondiale systémique d’une ampleur inédite. Pourtant, à l’heure où nombre d’analystes affirment que le pire est derrière nous, les conséquences de la crise sur le marché du travail ne font que commencer.
D’abord, il existe toujours un décalage entre le retournement de la conjoncture et celui de l’emploi. La montée du chômage a été particulièrement brutale, mais elle n’est que le début de l’ajustement du marché du travail et elle va se poursuivre. En effet, les entreprises françaises, qui ont rapidement cessé le recours à l’emploi intérimaire, ont en revanche attendu avant de réduire leurs effectifs. Elles ont par exemple eu recours au chômage partiel et aux congés et RTT forcés. Ce phénomène a conduit à un effondrement de la productivité des entreprises, qui pèse sur leur rentabilité. Les entreprises profiteront donc de la reprise pour rétablir leur productivité en limitant la reprise des embauches, phénomène que l’on observe depuis le deuxième trimestre 2009. On peut donc s’attendre à une croissance sans emploi pendant au moins une année encore. Ensuite, les perspectives de croissance demeurent faibles. Trop faibles pour pouvoir espérer un retour du marché du travail à la situation d’avant la crise. Il faut donc considérer qu’on entre aujourd’hui dans une phase de chômage durablement élevé, avec un nombre de chômeurs qui devrait stagner autour de trois millions pendant plusieurs années.
Les conséquences sociales s’annoncent également considérables. D’abord, toutes les études montrent que les conditions d’entrée sur le marché du travail pèsent sur les carrières, et la récession laissera des traces durables sur la trajectoire professionnelle des jeunes diplômés.
Entre chômage et déclassement
En particulier, la pénurie d’emplois qualifiés contraint les jeunes diplômés à arbitrer entre chômage et déclassement pour conserver des chances d’accès à l’emploi. Les périodes de creux conjoncturel ont toujours été marquées par des phénomènes de changements de « file d’attente » lors du processus d’insertion, avec des conséquences sur la carrière de ces jeunes diplômés, en terme de statut social et d’évolution salariale. Mais surtout, la dégradation conjoncturelle a conduit à une hausse très brutale du nombre de chômeurs, dont l’ancienneté au chômage est aujourd’hui faible et dont les taux d’indemnisation sont encore élevés. Dans les années à venir, la plupart d’entre eux devraient voir leur ancienneté au chômage augmenter et leurs chances de retrouver un emploi s’amoindrir. Avec pour conséquence la paupérisation d’un nombre croissant de chômeurs de longue durée qui perdront leur indemnisation. Pôle emploi (2) évalue ainsi à un million le nombre de chômeurs qui arriveraient en fin de droits en 2010, après 850 000 en 2009. Une partie d’entre eux bascule dans les revenus d’assistance, les autres (trop jeunes, dont les revenus du foyer dépassent un certain seuil) se voient privés de toute ressource financière. Selon l’OFCE, un million de personnes pourrait ainsi basculer dans la pauvreté en 2010.
Au-delà du seul chiffre du chômage, la dégradation du marché du travail pourrait également peser sur les personnes en emploi. Si l’attention se focalise généralement sur le seul taux de chômage, les dernières années ont vu également la montée en puissance de la précarisation du marché du travail et du travail à temps partiel subi. Paradoxalement, les périodes d’érosion du chômage que la France a connues depuis 1997 n’ont pas coïncidé avec une baisse du phénomène de sous-emploi. Entre 1997 et 2008, le nombre de salariés à temps partiel inscrits à Pôle emploi a augmenté de 44 %, alors que les inscrits sans emploi voyaient leur nombre baisser de 37 %. L’affaiblissement du pouvoir de négociation des salariés risque de conduire à l’accélération de la précarisation du marché du travail observée au cours des dernières années.
La politique de l’emploi face à la crise
Face à une dégradation du marché du travail d’une telle ampleur, la première réponse en matière de politique économique doit évidemment s’appuyer sur les instruments de relance conjoncturelle d’effets immédiats. C’est ainsi que les gouvernements de l’ensemble des pays développés ont d’abord eu recours à la politique monétaire et à la politique budgétaire, au travers de plans de relance massifs. Sur le plan de la politique de l’emploi à proprement parler, en revanche, les mesures prises demeurent très marginales. Les quelques mesures transitoires visent à atténuer la vitesse de l’effondrement de l’emploi marchand (extension du chômage partiel, allégements de charges…), mais le maintien de la politique de baisse des effectifs dans la fonction publique (avec la suppression de plus de 30 000 postes en 2010) et le rejet du recours à l’emploi aidé dans le secteur non marchand (succédant aux emplois jeunes) viennent, dans ce contexte, amplifier la dégradation de la situation du marché du travail.
Mais au-delà des plans de relance et du problème urgent de l’indemnisation du chômage, c’est à un véritable choix de société que seront confrontés les politiques dans les années à venir. La perspective d’un retour durable au chômage de masse porte une aggravation de la précarité de l’emploi à laquelle a largement participé la politique de l’emploi au cours des dernières années. La multiplication des contrats précaires et le morcellement du marché du travail entre insiders et outsiders ne pourront être combattus qu’au moyen d’une véritable réflexion sur statut de l’emploi. Et cette réflexion devra principalement cibler les groupes les plus vulnérables pour leur permettre de s’extraire de la précarité dans laquelle ils se trouveront piégés au lendemain de la crise.
NOTES :
(1) Le sous-emploi comprend les personnes actives qui travaillent à temps partiel et souhaiteraient travailler davantage, et les personnes à temps complet qui ont travaillé moins que d’habitude pendant une semaine de référence (chômage partiel, réduction saisonnière d’activité…).(2) Depuis janvier 2009, l’ANPE et les Assedic ont fusionné, formant une nouvelle entité, Pôle emploi.
http://www.scienceshumaines.com/chomage--retour-aux-annees-1990_fr_24983.html
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