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21/02/2010

Ikea : un modèle low cost

Naïri Nahapétian

Début février, les salariés d'Ikea France se sont mis en grève pour protester contre le gel de leurs salaires. Ils dénoncent le clivage entre la bonne image de l'entreprise et leurs conditions de travail. Championne du greenwashing, l'entreprise est en effet surtout pionnière du low cost. Décryptage d'un modèle fondé sur une compression systématique des coûts.

Lors de leur embauche chez Ikea, les managers reçoivent en cadeau un opuscule rédigé par le fondateur du groupe, Ingvar Kamprad : Le testament d'un négociant en meubles. Celui-ci n'a de cesse d'y rappeler que le succès de son entreprise est dû à ses prix imbattables obtenus par une réduction systématique des coûts. Il invite chacun des salariés à participer à cet effort : « Aucune peine ne devra être épargnée afin de maintenir ces prix au niveau le plus bas. » Il faut dire qu'Ikea est une entreprise pionnière du low cost. Dès 1955, alors qu'elle était une simple PME de la ville d'Älmhult, située dans une région aride du sud de la Suède, elle a simplifié ses produits afin de les vendre en pièces détachées, économisant ainsi les coûts de livraison. Conditionnés à partir de 1956 dans des paquets plats, les meubles sont transportés par le client qui les monte ensuite lui-même. Principale innovation d'Ikea, ce système de vente en kit permet à l'entreprise de comprimer ses dépenses du stade de la production jusqu'à celui de la distribution, règle de base du low cost.

Une délocalisation précoce

Ikea a également entrepris une délocalisation précoce, puisqu'elle s'est tournée dès 1961 vers la Pologne communiste pour la fabrication en série. Aujourd'hui, les fonctions stratégiques de la multinationale sont toujours à Älmhult, où travaillent les designers qui conçoivent les collections et les techniciens qui testent les produits. On y trouve également Icom, la filiale du groupe qui conçoit ses outils de communication, comme le célèbre catalogue tiré chaque année à 200 millions d'exemplaires, ainsi que les notices de montage des meubles aux dessins minimalistes. Pour le reste, Ikea est une entreprise mondialisée, avec 1 220 fournisseurs dans 55 pays, dont un tiers environ se trouvent en Asie.

Poursuivant son expansion internationale commencée au début des années 1970 par une implantation en Suisse, le groupe a ouvert l'année dernière 15 succursales dans 11 pays. Ikea compte désormais 267 magasins dans 39 pays. Et si l'Allemagne est encore le premier marché du groupe (16 %), c'est en Chine qu'Ikea vend maintenant le plus de meubles en volume d'achats (20 %). Un produit comme la célèbre étagère Billy − de loin le meuble le plus vendu − se retrouve donc, identique, dans les foyers européens (192 magasins), nord-américains (48 magasins), australiens (3 magasins), russes (12 magasins), chinois et japonais (12 magasins).

Dans son marketing, Ikea ne cesse en même temps de mettre en avant le fait qu'elle est une entreprise suédoise, commercialisant notamment des salles de bain aux noms de lacs scandinaves. Sans parler des restaurants du magasin qui ont largement contribué à la réputation internationale des boulettes de viandes suédoises.

Un management convivial

Dans cette tradition, l'entreprise applique au sein de ses magasins une gestion du personnel qui se veut conviviale et participative, à la scandinave, que décrit Elsa Fayner dans son livre de témoignage Et pourtant je me suis levée tôt... [1]. Tutoiement de rigueur entre les salariés, quel que soit le niveau de hiérarchie, écoute et entraide au sein des équipes de vente sont autant de principes que l'auteure, en contrat à durée déterminée (CDD) chez Ikea, observe sur le terrain, parfois jusqu'à la caricature. En même temps, se demande Elsa Fayner, « comment concilier ces règles avec le recours à la sous-traitance » ? Ce n'est qu'une des contradictions du marketing éthique d'Ikea. Car comment être à la fois un pionnier du low cost et se vouloir un champion de la responsabilité sociale des entreprises ? C'est la question que s'est posée Oxfam-Magasins du monde en lançant en 2006 une campagne intitulée « Ikea : un modèle à démonter ». Sachant l'entreprise sensibleaux questions d'image, l'organisation non gouvernementale (ONG) pensait ainsi la faire progresser sur des sujets clés, comme les relations avec ses fournisseurs en Asie. La campagne, centrée sur les pays francophones, n'a pas fait réagir l'entreprise, admet Jean-Marc Caudron, qui dirigeait celle-ci depuis la Belgique.

Un marketing réactif

Dès 1994, pourtant, Ikea, attaqué sur le travail des enfants chez ses sous-traitants, des fabricants de tapis en Inde, a mis en place des mesures pour lutter contre ces abus. En partenariat avec l'Unicef, elle encourage, notamment par des bourses, la scolarisation des adolescents qui, notamment en Asie, sont repérés dans ses ateliers. Puis, Ikea a adopté en 2000 un code de conduite baptisé « Iway », inspiré des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT). Est-il réellement appliqué par ses fournisseurs ? Lourthusamy Arokiasamy, de l'ONG indienne AREDS (Association of Rural Education and Development Service), partenaire d'Oxfam, témoigne : « Chez les sous-traitants de la marque qu'on connaît, les ateliers sont souvent plus propres et les conditions de travail ne sont pas pires qu'ailleurs, bien que les salaires soient aussi bas. » Mais l'éclatement de la chaîne de sous-traitance rend les contrôles extrêmement difficiles. Ceux-ci sont en outre forcément partiels, puisque, regrette Jérôme Chaplier, directeur politique d'Oxfam-Magasins du monde, « malgré des demandes répétées des ONG, Ikea refuse de rendre publique la liste de ses fournisseurs ».

De même, sur le plan environnemental, Ikea ne cesse de multiplier les initiatives. L'entreprise propose depuis longtemps des ampoules basse consommation et annonce en 2009 qu'elle va commercialiser exclusivement ce type d'ampoules. 10 % du bois vendu dans ses magasins est labellisé FSC, ce qui garantit qu'il n'y a pas de bois coupé illégalement et provenant de forêts primaires. « Mais la promesse de passer à 30 % de bois labellisé n'a pas été tenue... », rappelle Jean-Marc Caudron.

Ikea fait également partie des entreprises qui se sont engagées très vite à aller au-delà des normes imposées par la réglementation européenne Reach sur les produits chimiques. Or, en novembre 2007, les parents d'un enfant de 3 ans en Suisse ont déposé une plainte, car ils pensaient que les problèmes de bronches chroniques de celui-ci étaient liés à la présence dans sa chambre d'une armoire Ikea libérant des formaldéhydes. Le lien entre le gaz et la maladie de l'enfant n'a pu être établi. Mais des tests ont alors été effectués par une ONG belge, Test-achats, qui a donné une note très moyenne au meuble d'Ikea testé par eux, Mammut [2].

Des temples de la consommation

Enfin, que vaut son affirmation d'être « fortement engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique » quand tous ses magasins sont implantés en périphérie, inaccessibles en transports en commun ? Là encore, Ikea prend la mesure de l'air du temps et dans le cadre de son marketing éthique extrêmement réactif tente de parer aux critiques. Ainsi, Ikea France a lancé en mars 2009 une campagne en faveur du covoiturage avec le WWF. Des navettes gratuites de liaison avec les transports en commun, aux couleurs de la marque, ont vu le jour à Strasbourg. Mais le nombre de clients qui utilisent ce système est minime. Pour cause, car, comme le rappelle Jean-Marc Caudron, « c'est du côté du modèle pris dans sa globalité que ça pèche ». Systématiquement situés en périphérie des grandes villes où les mètres carrés ne sont pas trop chers, les magasins Ikea sont en effet conçus comme de véritables « temples de la consommation »au milieu desquels les consommateurs déambulent des heures durant avec un chariot géant, « obligés, précise Jean-Marc Caudron, de passer par tous les rayons avant de pouvoir ressortir, la voiture chargée de produits ».

Des comptes opaques

Dernière critique que l'on adresse à Ikea, et non des moindres : l'opacité de ses comptes, comment Ikea peut-elle se targuer d'être une entreprise éthique alors que la multinationale pratique sans vergogne l'évasion fiscale ? Non cotée en Bourse, l'entreprise ne publie pas ses bénéfices, et la société mère appartient à une fondation caritative basée aux Pays-Bas. Ikea service, qui détient le concept et le design de la marque, appartiendrait de son côté à des sociétés situées dans des paradis fiscaux. Le logo de la multinationale porte les couleurs du drapeau suédois, mais Ingvar Kamprad, tout en cultivant une image de simplicité et d'honnêteté, mots clés de son Testament d'un négociant en meubles, préfère ne pas être soumis à la fiscalité de son pays natal.

Une grève qui exprime un malaise

N.N.

Les salariés d'Ikea-France se sont mis en grève le 6 février, au lendemain de la réunion pour les négociations annuelles obligatoires, car la direction ne leur a proposé aucune augmentation collective de salaire, seulement 1,2 % d'augmentation individuelle, au mérite, alors que le chiffre d'affaire du groupe atteint plus de 2 milliards d'euros. Mi-février, le mouvement touchait plus de la moitié des magasins français du groupe, dont l'un, dans le Val-d'Oise, a dû fermer ses portes. Au-delà du gel des salaires, c'est le recours croissant aux CDD et à l'intérim qui est dénoncé par les organisations syndicales comme FO et la CGT. Une flexibilité qui se traduit également par des contrats aux horaires « modulables » pour les étudiants, et qui entre en contradiction avec le management « convivial » affiché par l'entreprise.

Notes
  • (1) Ed. Panama, 2007.
  • (2) Et épinglé d'autres marques comme Leen Bakker et Weba. Pour en savoir plus : www.test-achats.be
http://www.alternatives-economiques.fr/ikea---un-modele-low-cost_fr_art_633_48117.html

1 comentário:

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