Nellie Dupont
Vendredi. La semaine est finie pour beaucoup d’élèves mais il faut faire les devoirs et préparer les contrôles pour la semaine prochaine. Au programme pour une classe de 6ème, des élèves de 11 et 12 ans : le cours d’éducation civique. Mon fils me prévient d’emblée : « Je déteste ce cours ! Et de toute façon, personne n’aime ce cours ! » Je m’étonne de ce manque d’adhésion, ou plutôt de ce rejet et, curieuse, j’ouvre le manuel (Belin, 2009) pour voir sur quoi porte le chapitre. Je frémis en découvrant l’intitulé « La laïcité au collège ». En le lisant, , je comprends le problème : il est politique, pédagogique et humain. Et l’étonnement laisse place à la colère.
Sur une double page d’informations, de définitions, d’extraits de textes de lois, d’illustrations, de questions, d’exercices, s’articulent des éléments de justification a posteriori d’une loi injustifiable : la loi du 15 mars 2004, relative à l’interdiction du port de signes ostentatoires religieux.
La double page (p.16-17) commence par une question :
« Pourquoi l’école publique est-elle indépendante des religions ? ».
Il y aurait déjà beaucoup de chose à dire sur le sens de ce mot indépendance”. Mais on aura vite compris que la question répond déjà en elle-même à la question, en demandant aux élèves d’adhérer à ceci :
« La loi de 2004 exclut de l’école les filles qui voudraient porter le foulard et c’est bien. »
Tout un ensemble de mots et de faits sont mêlés dans une même réprobation. Les établissements religieux, l’école privée, la discrimination, l’intolérance, la manifestation ostensible des religions, le foulard, la croix, tout ça c’est pas bien. Et de l’autre côté : La laïcité, Jules Ferry, l’enseignement moral et civique, la tolérance, la liberté de conscience, l’égal accès de tous à l’éducation, la Constitution de la République, tout ça c’est bien.
Une conclusion très simple est tirée de cette très pédagogique vision des choses : il faut virer toute manifestation des « croyances qui sont personnelles, libres et variables » à l’école. Donc enlever le foulard pour pouvoir rentrer à l’école.
Alors nous nous sommes amusées à reprendre le travail demandé dans le manuel mais en répondant avec notre propre logique aux questions posées.
“Question 1. Quelle limite met la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à l’expression de la liberté religieuse ?”
Réponse : Je comprends pas. Je crois que vous voulez me faire dire que c’est toute « manifestation qui trouble l’ordre public » (cf. encadré sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, article 10, 1789) mais c’est quoi « une manifestation qui trouble l’ordre public » ? Une grosse manif’ ?
“Question 2. Comment l’Etat peut-il garantir l’égal accès de tous à l’éducation ?”
Réponse : Sans demander de l’argent (gratuité) et en assurant « la neutralité religieuse des enseignants » (laïcité), « la liberté de conscience et des croyances de chacun, le rejet des discriminations et l’apprentissage de la tolérance », (voir page 16), et le préambule de la Constitution, 1946 :
« L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » (voir p.17)
“Question 3 : Quels sont les mots ou groupes de mots affirmant le refus des discriminations dans la Constitution ?”
Réponse : « Sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Constitution de la Ve République, 1958. Mais c’est quoi une « race » ? Ah, on ne pose pas de questions ? ... On répond, juste, c’est ça ? Bon, bon...
“Question 4. Quel mot montre que le but de l’école n’est pas d’exclure un élève en faute ?”
Je ne comprends pas la question. La loi de 2004 crée un interdit : « le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent une appartenance religieuse ». Donc si l’élève porte un signe religieux (c’est peut-être ça que vous vouliez dire ) il/elle est « en faute » (du coup... comme vous dites) et il/elle sera exclu.e, vu que la loi prévoit « la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire » (voir citation de la loi de 2004). Donc si le but n’est pas d’exclure, c’est de forcer à enlever ou cacher, mais là vous voulez juste atténuer la violence du propos, parce qu’au final le résultat est le même : on ne tolère pas ses croyances puisqu’on ne veut pas qu’ells se manifestent.
Pourtant, j’ai toujours pas compris pourquoi, il fallait pas qu’elles se manifestent.
Tu n’as pas compris ? dit Belin, alors regarde ce dessin :
“Question 1. Sur ce dessin, quels sont les élèves qui portent des signes religieux ostensibles ?”
Réponse : C’est quoi ce dessin ??!!!
Question 1, reformulée : Repère la fille bronzée qui porte un foulard, qui se fait arrêter devant la porte du collège et qui ne comprend rien (elle est musulmane, ça se voit). Puis repère le garçon blanc et roux qui porte une croix (il est chrétien, ça se voit aussi) et qui continue de marcher. Repère les autres : ils sont athées, ils veulent juste aller à l’école, arriver à l’heure sans faire de problèmes, sans rien montrer O-S-T-E-N-S-I-B-L-E-M-E-N-T. Ignorer les kippas et turbans sikh : anecdotiques.
Réponse 1. bis : Euh... c’est pas une question, ça ! Je vois juste une fille qui porte un foulard, mais je sais pas si elle veut montrer délibérément ses croyances. Et puis, la croix, y’en a qui en portent et ils sont pas forcément catholiques, mais y’en a d’autres qui n’en portent pas et ils nous disent qu’ils vont au « cathé » et qu’ils croient en Dieu. Mais, et alors ? Pour nous c’est comme ceux qui vont faire du carting avec leurs parents le weekend ou qui connaissent le répertoire de Georges Brassens par coeur. C’est leur truc, et c’est tout.
Question 2 : Ces élèves ont-ils le droit d’entrer au collège ?
Réponse : Pourquoi pas, puisque la France est une « République indivisible », qu’elle « respecte toutes les croyances et que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses »... (cf. Constitution de la cinquièmee République, 1958) ?
Question 3 : Si non (et vous êtes censés répondre non), que doivent-ils faire ?
Réponse : Ben, le garçon, il peut cacher la croix sous son teeshirt, et..... la fille, ben …. si elle a mis un foulard, c’est pas pour l’enlever juste parce que vous voulez avoir raison, alors elle ne peut plus aller à l’école publique, gratuite et laïque, et ce n’est pas bien (voir p.16). Ça correspond même à la définition de l’intolérance et de la discrimination (voir p. 16 aussi).
Activités :
Argumenter : “Donnez deux exemples de problèmes que pourrait poser dans le collège la manifestation ostensible des religions.”
Rédiger :“ Dans un paragraphe d’une dizaine de lignes, racontez une histoire dans laquelle la laïcité a protégé un élève.”
Alors là, désolé, mais je suis pas inspirée, parce que franchement, ça ne pose pas de problème qu’on porte des croix, un foulard sur la tête, un turban, qu’on mange sans porc – même des fois c’est mieux alors à la cantine y’en a plein qui disent qu’ils sont musulmans, sauf quand y’a des raviolis – mais je sens bien que vous voulez que je vous dise que l’Etat a eu raison en 2004 et qu’il faut que je vous trouve des justifications à ce qui est clairement contradictoire et discriminatoire, et surtout tellement étranger à la réalité telle que je la connais. Et surtout, je ne vais pas faire le travail à votre place. Il n’y’a rien dans ce cours ni dans ma vie qui me permet de répondre à cette question.
Moi, tout ce que je sais, c’est que dans ma classe, quand Sarah a lu la loi de 2004, elle a dit que c’était raciste, et que Madhiba a tout de suite vu que les questions c’était n’importe quoi. Après, toute la classe a embrayé parce qu’on était d’accord avec eux, et la prof, elle était gênée. Et puis, en Allemand, on a vu qu’à l’école, en Allemagne, il y avait des cours de religion pour ceux qui voulaient, même pour les athées, et que ça n’empêchait pas les élèves de « vivre ensemble » comme on nous l’a fait écrire dans le cahier.
D’un côté, on nous dit que la France doit respecter toutes les croyances, et après on nous explique que les gens n’ont pas le droit de montrer leur appartenance religieuse. C’est quand même bizarre...
En conclusion, et pour ma part, j’estime que si mes camarades et moi-même avons une mauvaise note au contrôle, c’est tout à notre honneur, que cette note ne sera que l’expression de notre intelligence encore préservée des effets que pourrait avoir sur elle une institution qui parfois devrait revoir ses copies, mais grave !
La double page (p.16-17) commence par une question :
« Pourquoi l’école publique est-elle indépendante des religions ? ».
Il y aurait déjà beaucoup de chose à dire sur le sens de ce mot indépendance”. Mais on aura vite compris que la question répond déjà en elle-même à la question, en demandant aux élèves d’adhérer à ceci :
« La loi de 2004 exclut de l’école les filles qui voudraient porter le foulard et c’est bien. »
Tout un ensemble de mots et de faits sont mêlés dans une même réprobation. Les établissements religieux, l’école privée, la discrimination, l’intolérance, la manifestation ostensible des religions, le foulard, la croix, tout ça c’est pas bien. Et de l’autre côté : La laïcité, Jules Ferry, l’enseignement moral et civique, la tolérance, la liberté de conscience, l’égal accès de tous à l’éducation, la Constitution de la République, tout ça c’est bien.
Une conclusion très simple est tirée de cette très pédagogique vision des choses : il faut virer toute manifestation des « croyances qui sont personnelles, libres et variables » à l’école. Donc enlever le foulard pour pouvoir rentrer à l’école.
Alors nous nous sommes amusées à reprendre le travail demandé dans le manuel mais en répondant avec notre propre logique aux questions posées.
“Question 1. Quelle limite met la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à l’expression de la liberté religieuse ?”
Réponse : Je comprends pas. Je crois que vous voulez me faire dire que c’est toute « manifestation qui trouble l’ordre public » (cf. encadré sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, article 10, 1789) mais c’est quoi « une manifestation qui trouble l’ordre public » ? Une grosse manif’ ?
“Question 2. Comment l’Etat peut-il garantir l’égal accès de tous à l’éducation ?”
Réponse : Sans demander de l’argent (gratuité) et en assurant « la neutralité religieuse des enseignants » (laïcité), « la liberté de conscience et des croyances de chacun, le rejet des discriminations et l’apprentissage de la tolérance », (voir page 16), et le préambule de la Constitution, 1946 :
« L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » (voir p.17)
“Question 3 : Quels sont les mots ou groupes de mots affirmant le refus des discriminations dans la Constitution ?”
Réponse : « Sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Constitution de la Ve République, 1958. Mais c’est quoi une « race » ? Ah, on ne pose pas de questions ? ... On répond, juste, c’est ça ? Bon, bon...
“Question 4. Quel mot montre que le but de l’école n’est pas d’exclure un élève en faute ?”
Je ne comprends pas la question. La loi de 2004 crée un interdit : « le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent une appartenance religieuse ». Donc si l’élève porte un signe religieux (c’est peut-être ça que vous vouliez dire ) il/elle est « en faute » (du coup... comme vous dites) et il/elle sera exclu.e, vu que la loi prévoit « la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire » (voir citation de la loi de 2004). Donc si le but n’est pas d’exclure, c’est de forcer à enlever ou cacher, mais là vous voulez juste atténuer la violence du propos, parce qu’au final le résultat est le même : on ne tolère pas ses croyances puisqu’on ne veut pas qu’ells se manifestent.
Pourtant, j’ai toujours pas compris pourquoi, il fallait pas qu’elles se manifestent.
Tu n’as pas compris ? dit Belin, alors regarde ce dessin :
“Question 1. Sur ce dessin, quels sont les élèves qui portent des signes religieux ostensibles ?”
Réponse : C’est quoi ce dessin ??!!!
Question 1, reformulée : Repère la fille bronzée qui porte un foulard, qui se fait arrêter devant la porte du collège et qui ne comprend rien (elle est musulmane, ça se voit). Puis repère le garçon blanc et roux qui porte une croix (il est chrétien, ça se voit aussi) et qui continue de marcher. Repère les autres : ils sont athées, ils veulent juste aller à l’école, arriver à l’heure sans faire de problèmes, sans rien montrer O-S-T-E-N-S-I-B-L-E-M-E-N-T. Ignorer les kippas et turbans sikh : anecdotiques.
Réponse 1. bis : Euh... c’est pas une question, ça ! Je vois juste une fille qui porte un foulard, mais je sais pas si elle veut montrer délibérément ses croyances. Et puis, la croix, y’en a qui en portent et ils sont pas forcément catholiques, mais y’en a d’autres qui n’en portent pas et ils nous disent qu’ils vont au « cathé » et qu’ils croient en Dieu. Mais, et alors ? Pour nous c’est comme ceux qui vont faire du carting avec leurs parents le weekend ou qui connaissent le répertoire de Georges Brassens par coeur. C’est leur truc, et c’est tout.
Question 2 : Ces élèves ont-ils le droit d’entrer au collège ?
Réponse : Pourquoi pas, puisque la France est une « République indivisible », qu’elle « respecte toutes les croyances et que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses »... (cf. Constitution de la cinquièmee République, 1958) ?
Question 3 : Si non (et vous êtes censés répondre non), que doivent-ils faire ?
Réponse : Ben, le garçon, il peut cacher la croix sous son teeshirt, et..... la fille, ben …. si elle a mis un foulard, c’est pas pour l’enlever juste parce que vous voulez avoir raison, alors elle ne peut plus aller à l’école publique, gratuite et laïque, et ce n’est pas bien (voir p.16). Ça correspond même à la définition de l’intolérance et de la discrimination (voir p. 16 aussi).
Activités :
Argumenter : “Donnez deux exemples de problèmes que pourrait poser dans le collège la manifestation ostensible des religions.”
Rédiger :“ Dans un paragraphe d’une dizaine de lignes, racontez une histoire dans laquelle la laïcité a protégé un élève.”
Alors là, désolé, mais je suis pas inspirée, parce que franchement, ça ne pose pas de problème qu’on porte des croix, un foulard sur la tête, un turban, qu’on mange sans porc – même des fois c’est mieux alors à la cantine y’en a plein qui disent qu’ils sont musulmans, sauf quand y’a des raviolis – mais je sens bien que vous voulez que je vous dise que l’Etat a eu raison en 2004 et qu’il faut que je vous trouve des justifications à ce qui est clairement contradictoire et discriminatoire, et surtout tellement étranger à la réalité telle que je la connais. Et surtout, je ne vais pas faire le travail à votre place. Il n’y’a rien dans ce cours ni dans ma vie qui me permet de répondre à cette question.
Moi, tout ce que je sais, c’est que dans ma classe, quand Sarah a lu la loi de 2004, elle a dit que c’était raciste, et que Madhiba a tout de suite vu que les questions c’était n’importe quoi. Après, toute la classe a embrayé parce qu’on était d’accord avec eux, et la prof, elle était gênée. Et puis, en Allemand, on a vu qu’à l’école, en Allemagne, il y avait des cours de religion pour ceux qui voulaient, même pour les athées, et que ça n’empêchait pas les élèves de « vivre ensemble » comme on nous l’a fait écrire dans le cahier.
D’un côté, on nous dit que la France doit respecter toutes les croyances, et après on nous explique que les gens n’ont pas le droit de montrer leur appartenance religieuse. C’est quand même bizarre...
En conclusion, et pour ma part, j’estime que si mes camarades et moi-même avons une mauvaise note au contrôle, c’est tout à notre honneur, que cette note ne sera que l’expression de notre intelligence encore préservée des effets que pourrait avoir sur elle une institution qui parfois devrait revoir ses copies, mais grave !
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