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19/04/2011

Huiles essentielles : le « bien-être » industriel

Jocelyne Renard   

Les huiles essentielles sont en plein boom depuis quelques années. Censées favoriser le bien-être, elles fleurissent dans les pharmacies et magasins bio. Elles sont suggérées pour combattre la migraine, l'anxiété, la grippe ou l'eczéma. Pour fabriquer soi-même son dentifrice, sa lessive ou ses produits d'entretien de la maison, pour désodoriser ses chiottes… Bref, vous aurez toujours besoin d'une petite gamme d'huiles essentielles ! Vraiment ?

Allez voir sur les sites de pub des entreprises qui vendent ces fameuses huiles essentielles, vous serez emmené-e dans un tourbillon de jolies photos de fleurs et de paysages, ainsi que de grandes phrases sur les engagements éthiques et écologiques de ces commerçant-es bio. Une entreprise qui conditionne les huiles essentielles dans ma région se vante de jouer un « rôle important » « dans le maintien d’un tissu économique  local tant sur le plan de la transformation que sur le maintien d’une agriculture respectueuse de l’environnement », « en créant une activité pérenne qui favorise la pratique quotidienne d’un commerce équitable, dans une région où la culture et la transformation des plantes aromatiques deviennent une spécificité ».

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Photo : Pino Romeo

Pressée de trouver un boulot alimentaire, j'ai été engagée en tant qu'ouvrière dans un atelier de conditionnement d'huiles essentielles et autres produits phytopharmaceutiques.

Je n'ai pas été déçue.

Travail à la chaîne


En 35 heures par semaine payées au SMIC, j'ai pu découvrir les joies de l'aliénation du travail à la chaîne. Ça c'est un truc, on a beau vous l'avoir raconté, vous l'avez lu ou vu dans des films, vous ne le comprendrez jamais autant qu'en l'éprouvant directement dans votre corps et dans vos gestes.

Si des fois vous pensez que votre vie passe trop vite par exemple, que vous n'en profitez pas assez, testez le travail à l'usine. Il se produit comme un étirement du temps, vous tournez la tête vers l'horloge qui trône bien en vue, et seulement cinq minutes sont passées depuis la dernière fois que vous avez accompli ce geste. Ça rappelle l'horreur des années d'école, c'est un peu cette même attente résignée que la journée s'écoule et qu'arrive la libération du temps libre. Qui en l'occurrence est toujours trop court. Heureusement, la douce voix de la cheffe d'atelier vous sort de la torpeur mécanique, elle vous aboie dans les oreilles un ordre sec et péremptoire, style « Mélinda, va monter des boites avec Samantha ». Ou « Allez, on met le turbo, on n'est pas là pour se reposer ». Tout ça sur un ton qui évoque l'armée ou la prison.

Pour le dire plus clairement : c'est une ambiance très hiérarchisée avec les chef-fes qui mettent la pression sur les sous-chef-fes, mettant eux/elles-mêmes la pression sur les subordonné-es. On se défoule sur les plus faibles que soi en somme, vieille rengaine bien connue des univers autoritaires.

Respirer des huiles essentielles à plein poumon


Travailler dans une usine d'huiles essentielles : quand j'ai annoncé ça à mes potes, il y en a eu pour déclarer « c'est génial, tu vas pouvoir profiter des bienfaits des plantes en plus de la chance de travailler ».

Ahahah, je me marre.

Pendant que je fais défiler dans mes mains endolories des milliers de boites en carton estampillées « Bio Etic » (sic), je respire en effets des huiles essentielles à pleins poumons. Mais à des doses sans doute supérieures à tout ce qui peut être recommandables.

Et encore, étant nouvelle arrivée, je ne dois pas mettre le nez et les mains dans les bidons de 5, 20 ou 50 litres. Ce qui craint encore plus.

J'ai essayé de me renseigner à propos des effets sur la santé d'une exposition quotidienne à des fortes doses d'huiles essentielles. Je n'ai pas réussi à trouver d'information sur les normes d'hygiène et de sécurité qui encadrent le travail dans les huiles essentielles (rattaché au secteur de la production et du conditionnement des produits pharmaceutiques). La seule réponse que j'ai obtenue dans mes recherches fut celle d'un formateur en aromathérapie : « à de telles concentrations, on est dans le domaine de la chimie pure ».

J'en ai conclu que cette industrie étant récente, les effets sur la santé des ouvriers et ouvrières du secteur ne seront constatés qu'après les éventuels dommages produits. Au passage, je note que mon rôle dans le processus de production consiste à fabriquer des déchets. Puisque j'emballe des huiles essentielles dans des petits conditionnements qui correspondent à l'usage individuel. Chaque flacon de 5, 10 ou 15 ml sera dûment étiqueté, puis emballé dans un petit carton avec sa jolie marque publicitaire, accompagné éventuellement d'une notice. Le carton est lui-même emballé avec d'autres dans une boite, qui viendra s'entasser dans une caisse à côté de ses copines. La caisse sera éventuellement entourée d'un film plastique.

Voilà pour le volet de mon expérience directe et concrète dans le conditionnement des huiles essentielles.

Productions locales ?


Mais travailler à la chaîne n’empêche pas totalement de cogiter, surtout quand on ne bosse plus.

J'ai donc poussé un peu mon enquête sur cette industrie en pleine expansion. Au sujet de l'origine et de la production des plantes servant à la fabrication des huiles essentielles notamment. Ce secteur agricole est répertorié sous le nom de PAM : Plantes Aromatiques et Médicinales. Les plantes qui sont distillées pour produire les huiles essentielles sont soit cultivées, soit des plantes sauvages qui sont cueillies là où elles poussent. J'ai rencontré une agricultrice locale qui produit des PAM. Elle m'explique que 95% des plantes transformées ou conditionnées en Drôme proviennent d'ailleurs.

J'ai consulté la liste des pays producteurs d'huiles essentielles transitant par l'usine où j'ai travaillé : elles proviennent en effet de toute la planète. Je n'ai pas eu accès aux chiffres précis des quantités et proportions selon les origines géographiques. Mais on est tout de même bien loin de la belle image affichée dans les prospectus de « valorisation d'une agriculture locale et durable ». Comme me le disait cette productrice de lavande et de thym, les producteurs locaux servent plus de caution pour l'image de marque d'une industrie en réalité tout aussi mondialisée que les autres.

J'ai ensuite poussé mes investigations en direction des fournisseurs  d'huiles essentielles sur le marché international. Je suis tombée par exemple sur le site d'une société qui vend des huiles essentielles produites à Madagascar. Comme d'habitude, la page d'accueil nous fait son laïus sur les engagements éthiques et durables de cette entreprise auprès de « cueilleurs locaux certifiés ».

Sachant qu'il faut entre 100 kg et une tonne de plantes fraîches pour produire un kilo d'huiles essentielles (selon les espèces et variétés), on peut imaginer les destructions de plantes et de milieux induites par une cueillette excessive. Qui fait respecter ces engagements, qui les contrôle ? La compatibilité entre commerce mondialisé et labels bios-éthiques sonne comme une vaste blague. En matière d'exploitation de la main d'œuvre et de ravages sur la biodiversité, on peut imaginer tous les excès possibles…

Pizzas surgelées


Alors que conclure de ces observations sur la distorsion entre l'image d'une industrie verte et sa réalité de terrain ? Faut-il boycotter totalement les huiles essentielles ? Non. Mais il me semble tout de même intéressant de noter la distinction entre un usage de la phytotérapie liée à une connaissance de son environnement et l'usage massif des huiles essentielles comme remède à tout.

Pour illustrer mon propos, je vous suggère cette métaphore un brin provocante : les huiles essentielles sont à la phytothérapie ce que les pizzas surgelées sont à l'alimentation : une solution consumériste et réduisant presque à néant l'interaction de l'usager avec les conditions de production de ce qu'il ou elle utilise.

Si l'usage des plantes pour se soigner ou se parfumer est une pratique humaine issue des temps immémoriaux, sa transformation par les conditions de production industrielle la convertit en une activité globalement plus nuisible que bienfaisante.



    

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