Etienne DOUAT
Dans un contexte préélectoral où la redéfinition d’une politique éducative commence à occuper une place centrale, la publication des résultats définitifs du bac 2010 est particulièrement intéressante. C'est l'occasion de rappeler aussi les grands termes du débat sur la démocratisation scolaire, en s’appuyant sur les principaux acquis de la recherche.
65,5% : c’est donc la proportion des jeunes dans une génération ayant décroché un bac. C’est beaucoup si l’on considère par exemple les pourcentages du début des années 1960 (autour de 10%), mais c’est bien peu si l’on se rappelle l’horizon des 80% annoncé il y a plus de 20 ans. Les résultats sont même médiocres si l’on examine de plus près ce pourcentage. En effet, seuls 34% d’une génération a décroché un bac dans une série générale, 16,4% dans la voie technologique et 14, 3% dans une filière professionnelle. Massification ne signifie pas forcément démocratisation
Ainsi, la massification scolaire a bien eu lieu, mais de façon moins ambitieuse qu’on ne l’avait envisagé dans la deuxième moitié du 20ème siècle : ce pourcentage de 60 à 65% est stable depuis plus 15 ans. Quant à la démocratisation scolaire, elle reste largement un vœu pieux. On est en effet bien loin des espoirs qu’avait pu susciter l’accès à tous à l’enseignement secondaire dans les années 1990. Certes, comme le rappelle le sociologue Jean-Pierre Terrail, Les chances pour un enfant d’ouvrier d’accéder à un bac général ont doublé. Mais celles d’un enfant de cadre ont aussi largement augmenté puisque l’écart entre les uns et les autres n’a guère évolué et se situe toujours autour de 50 points. De nombreux travaux l’ont souligné ces dernières années, la massification de l’enseignement secondaire n’a donc pas rimé avec une démocratisation scolaire que l’on attend toujours (la question serait d’ailleurs aussi de savoir si elle véritablement souhaitée par tous ?).
Les élèves issus des classes populaires entrant au collège puis au lycée ont majoritairement été inscrits dans les filières courtes, technologiques et professionnelles, mises en place pendant cette période de massification. Ils sont également surreprésentés dans les 3ème d’insertion, les dispositifs relais, etc. Les analyses de cette ségrégation qui se joue désormais essentiellement à l’intérieur du système éducatif sont nombreuses et les acteurs soucieux de cette question de la démocratisation scolaire gagneraient à s’en emparer davantage. Rappelons ici, deux ou trois points fondamentaux, qui font écho aux précédents billets publiés sur ce site concernant le décrochage scolaire, l’école buissonnière ou la déscolarisation.
Des orientations plus subies que choisies
Comme l’a bien montré Tristan Poullaouec dans un ouvrage récent, l’hypothèse d’une faible aspiration scolaire dans les milieux populaires ne tient plus dans le contexte français de scolarisation, où la forme de socialisation scolaire s’est imposée comme dominante et où la culture ouvrière s’est profondément transformée, notamment dans son rapport à l’école. Le souhait des jeunes de milieux populaires de poursuivre des études secondaires générales le plus longtemps possible s’est très nettement accentué ces dernières décennies. Or les résultats sont loin d’être à la hauteur des attentes : la grande majorité des familles vise désormais un diplôme de l’enseignement supérieur, et seuls 43% des élèves y parviennent dans une classe d’âge. Et si l’on observe bien chez certains de ces jeunes des comportements de désistement, d’auto-exclusion, de ruptures scolaire ou de révision à la baisse de leurs attentes par rapport à l’école, ce n’est certainement plus a priori (en début de parcours) suivant une logique de culture anti-scolaire, mais le plus souvent a posteriori, après avoir vécu une série d’expériences répétées d’échecs, de sanctions ou de verdicts scolaires négatifs, de redoublement(s), etc. A cet égard, la note de la DEPP souligne bien que le fait de ne « pas être à l’heure » obère les chances de décrocher le bac, et en particulier un bac général. Les difficultés dans les apprentissages scolaires constituent bien l’un des grands ressorts du décrochage prématuré ou d’une orientation le plus souvent subie vers une filière courte (les jeunes de milieux populaires sont nombreux à ressentir l’orientation vers une telle filière, notamment les plus dévalorisées socialement, comme un destin qui s’est joué « malgré eux » et non comme le fruit d’un « choix personnel ») Si l’on peut être en rejet par rapport à l’école (des enquêtes ont toutefois montré combien l’attitude des jeunes « décrocheurs » était marquée par l’ambivalence par rapport à l’école), c’est au terme d’un long processus marqué par des échecs, des heurs et des malentendus qui se sont noués et cristallisés en grande partie à l’intérieur même de l’institution scolaire.
En rupture avec une approche aujourd’hui dominante qui insiste sur la responsabilité-culpabilité des familles hâtivement considérées comme « démissionnaires », c’est du côté de l’institution scolaire qu’il faut certainement tourner le regard pour repenser et définir collectivement une politique éducative ambitieuse pour tous. Si des « partenariats » avec des acteurs extérieurs à l’école (issus du secteur associatif, du monde de l’’éducation populaire ou dans des cadres tels que les Programmes de Réussites Educatives, etc.) peuvent certainement constituer des atouts pour construire une école qui ne peut-être un sanctuaire, ils ne sauraient constituer la principale réponse aux difficultés que rencontre l’école désormais massifiée. Contre une logique d’externalisation des problèmes, c’est avant tout de l’intérieur que l’école devrait poursuivre une réflexion collective sur les manières d’enseigner, les représentations quant aux supposées inégales aptitudes des élèves, leur mise en concurrence, les logiques d’étiquetage différenciés en fonction de l’origine sociale, la logique gestionnaire et parfois sécuritaire des actes de transgression à l’ordre scolaire, etc.
Les difficultés persistantes des familles de milieux populaires
Ajoutons pour conclure une dimension du débat qui semble également incontournable : la question scolaire est indissociablement une question sociale et politique. Pour être comprises, les difficultés dans les apprentissages que rencontrent davantage les élèves issus des classes populaires, les conditions d’existence et les modes de socialisation parfois contradictoires dans lesquels ils sont pris doivent être pris en compte et travaillés. Des logements exigus peu propices à la réalisation des devoirs, encourageant des formes de dispersion et le développement d’habitudes d’extérieur, à l’encontre d’une posture scolaire de concentration dans un lieu clos. Des horaires de travail atypiques, une instabilité professionnelle ou l’expérience du chômage déterminent des rythmes familiaux décalés ne facilitant pas non plus l’intériorisation d’un certain emploi du temps et du corps (régulier et planifié) que réclame l’institution. Des situations administratives compliquées et chronophages, des problèmes de santé chroniques, etc. Toutes ces dimensions qui constituent le lot de nombre de familles populaires ne facilitent pas ce que Pierre Bourdieu appelait une « disposition scolastique », permettant un détachement des préoccupations immédiates, et notamment matérielles pour entrer et se concentrer durablement dans le monde scolaire du « loisir studieux ».
En un mot ces modestes résultats du bac 2010 et l’esquisse de leur analyse nous rappellent combien la définition d’une politique éducative ambitieuse passe à la fois par une refonte sérieuse de l’école et une lutte contre les phénomènes contemporains qui accentuent encore la ghettoïsation et la précarisation des familles populaires.
65,5% : c’est donc la proportion des jeunes dans une génération ayant décroché un bac. C’est beaucoup si l’on considère par exemple les pourcentages du début des années 1960 (autour de 10%), mais c’est bien peu si l’on se rappelle l’horizon des 80% annoncé il y a plus de 20 ans. Les résultats sont même médiocres si l’on examine de plus près ce pourcentage. En effet, seuls 34% d’une génération a décroché un bac dans une série générale, 16,4% dans la voie technologique et 14, 3% dans une filière professionnelle. Massification ne signifie pas forcément démocratisation
Ainsi, la massification scolaire a bien eu lieu, mais de façon moins ambitieuse qu’on ne l’avait envisagé dans la deuxième moitié du 20ème siècle : ce pourcentage de 60 à 65% est stable depuis plus 15 ans. Quant à la démocratisation scolaire, elle reste largement un vœu pieux. On est en effet bien loin des espoirs qu’avait pu susciter l’accès à tous à l’enseignement secondaire dans les années 1990. Certes, comme le rappelle le sociologue Jean-Pierre Terrail, Les chances pour un enfant d’ouvrier d’accéder à un bac général ont doublé. Mais celles d’un enfant de cadre ont aussi largement augmenté puisque l’écart entre les uns et les autres n’a guère évolué et se situe toujours autour de 50 points. De nombreux travaux l’ont souligné ces dernières années, la massification de l’enseignement secondaire n’a donc pas rimé avec une démocratisation scolaire que l’on attend toujours (la question serait d’ailleurs aussi de savoir si elle véritablement souhaitée par tous ?).
Les élèves issus des classes populaires entrant au collège puis au lycée ont majoritairement été inscrits dans les filières courtes, technologiques et professionnelles, mises en place pendant cette période de massification. Ils sont également surreprésentés dans les 3ème d’insertion, les dispositifs relais, etc. Les analyses de cette ségrégation qui se joue désormais essentiellement à l’intérieur du système éducatif sont nombreuses et les acteurs soucieux de cette question de la démocratisation scolaire gagneraient à s’en emparer davantage. Rappelons ici, deux ou trois points fondamentaux, qui font écho aux précédents billets publiés sur ce site concernant le décrochage scolaire, l’école buissonnière ou la déscolarisation.
Des orientations plus subies que choisies
Comme l’a bien montré Tristan Poullaouec dans un ouvrage récent, l’hypothèse d’une faible aspiration scolaire dans les milieux populaires ne tient plus dans le contexte français de scolarisation, où la forme de socialisation scolaire s’est imposée comme dominante et où la culture ouvrière s’est profondément transformée, notamment dans son rapport à l’école. Le souhait des jeunes de milieux populaires de poursuivre des études secondaires générales le plus longtemps possible s’est très nettement accentué ces dernières décennies. Or les résultats sont loin d’être à la hauteur des attentes : la grande majorité des familles vise désormais un diplôme de l’enseignement supérieur, et seuls 43% des élèves y parviennent dans une classe d’âge. Et si l’on observe bien chez certains de ces jeunes des comportements de désistement, d’auto-exclusion, de ruptures scolaire ou de révision à la baisse de leurs attentes par rapport à l’école, ce n’est certainement plus a priori (en début de parcours) suivant une logique de culture anti-scolaire, mais le plus souvent a posteriori, après avoir vécu une série d’expériences répétées d’échecs, de sanctions ou de verdicts scolaires négatifs, de redoublement(s), etc. A cet égard, la note de la DEPP souligne bien que le fait de ne « pas être à l’heure » obère les chances de décrocher le bac, et en particulier un bac général. Les difficultés dans les apprentissages scolaires constituent bien l’un des grands ressorts du décrochage prématuré ou d’une orientation le plus souvent subie vers une filière courte (les jeunes de milieux populaires sont nombreux à ressentir l’orientation vers une telle filière, notamment les plus dévalorisées socialement, comme un destin qui s’est joué « malgré eux » et non comme le fruit d’un « choix personnel ») Si l’on peut être en rejet par rapport à l’école (des enquêtes ont toutefois montré combien l’attitude des jeunes « décrocheurs » était marquée par l’ambivalence par rapport à l’école), c’est au terme d’un long processus marqué par des échecs, des heurs et des malentendus qui se sont noués et cristallisés en grande partie à l’intérieur même de l’institution scolaire.
En rupture avec une approche aujourd’hui dominante qui insiste sur la responsabilité-culpabilité des familles hâtivement considérées comme « démissionnaires », c’est du côté de l’institution scolaire qu’il faut certainement tourner le regard pour repenser et définir collectivement une politique éducative ambitieuse pour tous. Si des « partenariats » avec des acteurs extérieurs à l’école (issus du secteur associatif, du monde de l’’éducation populaire ou dans des cadres tels que les Programmes de Réussites Educatives, etc.) peuvent certainement constituer des atouts pour construire une école qui ne peut-être un sanctuaire, ils ne sauraient constituer la principale réponse aux difficultés que rencontre l’école désormais massifiée. Contre une logique d’externalisation des problèmes, c’est avant tout de l’intérieur que l’école devrait poursuivre une réflexion collective sur les manières d’enseigner, les représentations quant aux supposées inégales aptitudes des élèves, leur mise en concurrence, les logiques d’étiquetage différenciés en fonction de l’origine sociale, la logique gestionnaire et parfois sécuritaire des actes de transgression à l’ordre scolaire, etc.
Les difficultés persistantes des familles de milieux populaires
Ajoutons pour conclure une dimension du débat qui semble également incontournable : la question scolaire est indissociablement une question sociale et politique. Pour être comprises, les difficultés dans les apprentissages que rencontrent davantage les élèves issus des classes populaires, les conditions d’existence et les modes de socialisation parfois contradictoires dans lesquels ils sont pris doivent être pris en compte et travaillés. Des logements exigus peu propices à la réalisation des devoirs, encourageant des formes de dispersion et le développement d’habitudes d’extérieur, à l’encontre d’une posture scolaire de concentration dans un lieu clos. Des horaires de travail atypiques, une instabilité professionnelle ou l’expérience du chômage déterminent des rythmes familiaux décalés ne facilitant pas non plus l’intériorisation d’un certain emploi du temps et du corps (régulier et planifié) que réclame l’institution. Des situations administratives compliquées et chronophages, des problèmes de santé chroniques, etc. Toutes ces dimensions qui constituent le lot de nombre de familles populaires ne facilitent pas ce que Pierre Bourdieu appelait une « disposition scolastique », permettant un détachement des préoccupations immédiates, et notamment matérielles pour entrer et se concentrer durablement dans le monde scolaire du « loisir studieux ».
En un mot ces modestes résultats du bac 2010 et l’esquisse de leur analyse nous rappellent combien la définition d’une politique éducative ambitieuse passe à la fois par une refonte sérieuse de l’école et une lutte contre les phénomènes contemporains qui accentuent encore la ghettoïsation et la précarisation des familles populaires.
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