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23/04/2011

Zone euro : l’heure de vérité

Après la Grèce et l'Irlande, le Portugal a fait appel à l'aide de la Zone euro (fond européen de stabilisation financière) et du FMI qui prendra à sa charge un tiers de l'aide octroyée, pour un montant de 75 à 80 milliards d'euros, sur une durée de 7,5 ans, avec un taux d’intérêt correspondant au coût du financement plus 2%.

Le véritable risque est celui de la contagion à l’Espagne. La véritable question est de savoir si la crise de la dette souveraine est réglée ou si elle s’approfondit.

La situation des pays de la zone de tempête : la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne

 La crise en Grèce est due à la dérive des finances publiques ; en Irlande à l’endettement privé et à sa conséquence l’implosion de la bulle immobilière et la faillite de son système bancaire qui a été nationalisé ; quant au Portugal la crise est due à l’endettement des entreprises.

A l'exception de la Grèce, ces pays souffrent d'une crise de la dette privée, comme le montre les chiffres suivants ( Source : C. Lapavitsas et alii, « The Eurozone between austerity and default », RMF Occasional Report, SOAS, Londres, septembre 2010) : en Grèce la dette publique (fin 2010) représente 144% du PIB et la dette totale ( dette publique, dette des entreprises financières et non financières et dette des ménages) 296% de ce dernier (fin 2009) ; en Irlande respectivement 78% et 490% et enfin au Portugal 86% et 479%.

Quant à l’Espagne, qui n’a pas fait appel à l’aide de la Zone euro, c’est le pays qui a été le plus touché par l‘implosion de la bulle immobilière et de la bulle de l‘endettement privé, car l’immobilier et le BTP constituaient le cœur de son économie. En effet la dette publique représente 66% du PIB et la dette totale 506% de ce dernier.

Pourquoi parler de crise de la dette souveraine ? Après la crise le secteur privé a réduit son endettement, ce qui a obligé les États à faire augmenter leurs dépenses publiques (afin de renflouer le système bancaire) et fait exploser le déficit budgétaire (l’Irlande et l’Espagne avaient des excédents budgétaires avant la crise).

La seule issue : la restructuration de la dette

Outre l’importance de l’endettement, ces pays sont dans une situation équivalente. Ils doivent à la fois diminuer leurs déficits budgétaires (condition essentielle des prêts qu’ils ont reçus) de manière drastique et mettre en oeuvre des réformes structurelles visant à améliorer leur compétitivité et à relancer la croissance.

Le problème c’est qu’en réduisant leurs déficits budgétaires, ils freinent la croissance et l’emploi et réduisent leurs recettes fiscales. Ils sont donc dans l’incapacité d’atteindre un objectif concerté de réduction de leurs déficits. C’est le piège mortel de la dette dans lequel était tombée l’Argentine en 2002.

L’importance de l’endettement privé, est la conséquence d’un déficit structurel de leurs balances courantes, qui traduit leur faible compétitivité. Comme ils ne peuvent procéder à une dévaluation nominale (baisse du taux de change), ils sont obligés d’avoir recours à une dévaluation réelle. Ils doivent réduirent leurs coûts de production dont les coûts salariaux, de 20 à 30%, afin de relancer la croissance.

Si on tient compte de l’endettement total, il est impossible à la fois de réduire leurs déficits budgétaires (de manière drastique) et de procéder à une dévaluation réelle.

La conclusion est simple : la Grèce, l’Irlande et le Portugal seront obligés de restructurer leurs dettes. Quant à l’Espagne, elle semble condamné à dix ans de déflation, ce qui parait difficilement supportable avec un taux de chômage de 20% et surtout de 46% pour les jeunes. Elle sera obligée de faire appel à l'aide internationale.

La crise de la dette souveraine est, en réalité, une crise de la dette bancaire

Commençons par une remarque technique. Le FESF est doté d'un capital théorique de 440 milliards d'euros. Mais il faut tenir compte du fait que la Grèce, l'Irlande, et le Portugal sont de facto en dehors du système de péréquation. En outre, comme tous les pays n'ont pas la note triple A (la meilleure). Il a fallu sur-garantir les titres européens (120%) et maintenir des réserves en cash. Il est donc doté effectivement d'un capital de 240 milliards d'euros (auquel il faut ajouter 250 milliards du FMI et 60 milliards de la Commission Européenne).

La principale lacune de ce fonds est qu'il a été établi uniquement en fonction des besoins de financement connus des États. Or la problématique des banques ne se résume pas aux risques d’insolvabilité des établissements de la périphérie de l’Europe. Les banques des pays du cœur de l’Europe sont aussi en péril, à l’image des Landesbanken allemandes (banques régionales). Elles détiennent, en effet, de la dette souveraine des pays périphériques. Elles sont très exposées à celle-ci au regard de leurs capitaux propres. Les banques allemandes ont ainsi une exposition totale de 521 milliards de dollars au PIIGS, les banques françaises de 491 milliards de dollars (si on tient compte des compagnies d’assurances).

La situation serait gérable si l’Espagne n’est pas emportée par la tempête. Son principal problème consiste à restructurer les Cajas (caisses d’épargne) qui ont été frappées de plein fouet par la crise de l’immobilier. Le gouvernement espagnol estime le coût de la restructuration à 20 milliards d’euros, alors que des estimations plus réalistes font état d’un montant se situant entre 50 et 90 milliards (Moody, Standard&Poor’s, Morgan Stanley). C’est pour cette raison que l’agence Moody a dégradé d’un cran sa note souveraine (en mars).

Si on tient compte de son endettement global (506% du PIB) et des contraintes économiques auxquelles, elle est soumise : diminution drastique du déficit budgétaire et dévaluation réelle. Il semble difficile (voir impossible) de restructurer le système bancaire espagnol sans faire appel à l’aide internationale.

Poussons le raisonnement plus loin. Admettons que l'Espagne fasse défaut sur sa dette et que la décote appliquée soit de 30%. Dans ce cas les banques allemandes (et françaises) seraient en faillite, si leurs gouvernements respectifs ne les renflouaient pas. La crise de la dette souveraine est, en réalité, une crise de la dette bancaire dont l'épicentre se trouve en Allemagne.

2000 milliards d'euros pour sauver l'Europe : 

Dans une remarquable étude (la dette des nations), Willem Buiter (chef économiste de CITI) part de l'idée que la restructuration de la dette de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal est acquise et que l'Espagne fera appel à l'aide internationale. Il s'agit donc d'empêcher la restructuration de la dette espagnole.

Il propose donc de procéder à la fois à une restructuration de la dette publique et bancaire, en déterminant exactement quels établissements doivent être liquidés, et en s’assurant que les États et les banques auraient accès à des liquidités suffisantes. Il faudrait donc doter la Zone euro d’un fonds global de 2000 milliards d’euros, ce qui permettrait aussi de sécuriser la dette espagnole (sur 3 ans) ainsi que la dette d'autres pays (Italie, Belgique, France), en cas d'attaque spéculative ou de fuite des investisseurs.

En tenant compte des sommes disponibles, il n'y a que deux possibilités : soit, faire appel à des fonds souverains non européens, soit avoir recours à la BCE . La première solution n'est pas envisageable d'un point de vue politique, reste donc la seconde.

Plutôt que de monétiser systématiquement la dette publique comme le fait la FED en faisant augmenter la base monétaire ( et donc la masse monétaire), il propose que la BCE fasse augmenter son passif non monétaire : dépôts à terme, bons... (ce qui est équivalent d‘un point de vue économique), afin de dégager les liquidités lui permettant de financer un programme d'achat d'obligations. Dans ce cas on parlerait de « stérilisation sémantique » plutôt que de stérilisation effective (la BCE réduit son aide aux banques du montant de ces achats d’obligations souveraines).

La BCE refusera une telle stratégie, car elle n'est pas neutre fiscalement, elle suppose un soutien inconditionnel aux pays en difficultés.

Il y a une autre solution : transformer le FESF en une banque qui aurait un accès conditionnel aux facilités de la BCE. Elle pourrait ainsi lui faire des prêts et racheter les obligations qu'il émettrait (directement ou sur le marché secondaire). Cela permettrait, en outre, aux États de ne pas garantir l’ensemble de la dette (en fonction de leurs quotes-parts) mais uniquement les dettes émises par le FESF.

Outre le problème de l'aléa moral, cela suppose une révision fondamentale des traités. Mais y-a-t-il une autre solution ? Si ce n’est la dissolution de la Zone euro.

Dans l’état actuel des choses, la seule décision qui a été prise, consiste à doter effectivement d’un montant de 500 milliards d’euros, le Mécanisme Européen de Stabillité Financière (MESF), mécanisme permanent qui succédera au FESF à partir de 2013.

On peut donc en conclure que dans tous les cas l’Espagne fera défaut sur sa dette, ce qui provoquera une nouvelle crise financière et obligera les pays du cœur de l’Europe à renflouer leurs banques (essentiellement l’Allemagne).

L’Europe à la recherche d’un nouveau compromis politique :

Il nous reste toutefois à éclaircir une énigme : Pourquoi la Zone est-elle confrontée à une crise de la dette souveraine ? Alors qu’elle a une meilleure situation budgétaire que les États-Unis ou le Japon.

 En effet selon les travaux de Mundell (prix Nobel d'économie), une Union Économique et Monétaire (UEM) optimale doit avoir une politique monétaire mais aussi une politique budgétaire et fiscale communes. Autrement dit, les différences de productivité doivent être compensées, au moins en partie, par des transferts budgétaires.

L’ancien compromis politique supposait que les PIIGS pouvaient emprunter au même taux que l’Allemagne et que cette dernière bénéficiait, en contrepartie, d’une monnaie ayant un cours très inférieur à celui de leur ancienne monnaie. Le nouveau compromis politique supposerait qu’il y ait des transferts budgétaires des pays du cœur de l’Europe vers ceux de la périphérie afin que la Zone euro puissent fonctionner correctement.

En conclusion
, soit l’Europe se donne les moyens financiers, à court moyen terme, lui permettant de sortir de la crise de la dette souveraine et recherche à plus long terme un nouveau compromis politique (gouvernance économique et politique budgétaire et fiscale communes) ce qui suppose que le marché marche au même pas que la démocratie ; soit elle implosera avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer. L’avenir des États-Unis d’Europe n’a jamais été aussi incertain.

http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/zone-euro-l-heure-de-verite-92722

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