Les Parlements dépossédés
Réduits au simple rôle d’exécutants, les Parlements nationaux – donc les peuples – n’auraient plus la maîtrise de certaines politiques.
En quelque sorte l’acte trois du coup de force contre la démocratie. Après le traité constitutionnel de 2005 et son avatar de Lisbonne, ce texte entend coordonner les politiques « en particulier dans les domaines qui relèvent de la compétence nationale » afin d’accroître la « compétitivité ». Ainsi, les États sont-ils invités à mener à bien des politiques afin de parvenir aux objectifs fixés par l’UE. En ce sens, les pouvoirs sont désormais encore plus concentrés entre les mains d’une Commission européenne non élue.
La retraite en ligne de mire
Aucune limite n’est donnée pour repousser l’âge de départ à la retraite et diminuer le niveau des prestations sociales.
« La viabilité des allocations sociales et de retraite sera évaluée » (!). Quand un tel texte est porté par Nicolas Sarkozy, celui qui, il y a quelques mois, imposait aux Français, majoritairement en désaccord, le recul du droit de départ à la retraite à 62 et à 67 ans à taux plein, ainsi que l’allongement à plus de 40 ans de la durée de cotisation, on peut être certain que les ajustements entre pays européens s’établiront au détriment des populations. D’ailleurs, il est précisé que « l’alignement de l’âge de la retraite se fera avec l’espérance de vie ». Au nom de quoi l’âge légal du départ à la retraite pourrait être, à terme, repoussé jusqu’à soixante-cinq ans, voire plus. Ce qui existe déjà dans certains pays européens comme, par exemple, l’Angleterre.
Ce passage ne vise pas simplement l’âge de départ mais les conditions financières du départ. Les prestations sociales sont en ligne de mire. Les différentes réformes Balladur (1993) et Fillon (2003) ont déjà conduit, en quelques années, à des pertes de 15 % à 20 % du montant des retraites. «Ils» veulent poursuivre en ce sens.
Le but reste de mettre sous tutelle toutes les politiques qui échappaient à l’emprise du droit européen par le biais d’une surveillance régulière et du pacte de stabilité. Enfin, la décision sur les objectifs resterait du ressort des chefs de gouvernement de la zone euro ; ce qui permettrait de contourner les autres pays. De même, afin d’atteindre les objectifs fixés par ces chefs de gouvernement « dans les douze mois », la Commission exercera un rôle d’audit afin de valider les « progrès » des États tandis que le Parlement européen, instance la plus démocratique des institutions, n’est guère évoqué.
Les salariés au régime sec
Sous le diktat de la compétitivité, les États devront « garantir une modération salariale » dans le privé comme dans le public.
La Commission européenne fait le choix d’inscrire la compétitivité d’un pays en seul lien avec son évolution salariale et la recherche de gains de productivité, épousant ainsi le modèle allemand. Fixant les objectifs de modération salariale, en fonction des autres partenaires européens, la Commission va plus loin en comparant les coûts unitaires de main-d’œuvre « aux principaux partenaires commerciaux ». La course au moins-disant social est ainsi lancée. Pourtant, la modération salariale a freiné la demande interne outre-Rhin – les gains de productivité non distribués aux salariés n’ont pour l’essentiel pas été consommés. Cette modération salariale a également renforcé la tendance à l’exportation de l’économie allemande. Pour ce faire, il est prévu une remise en cause de l’ensemble des systèmes de négociation. Il s’agit de rompre avec les négociations collectives, de les fragmenter par secteur, voire par territoire. À cela s’ajoute l’abolition de l’indexation des salaires sur les prix en Belgique ou en Autriche. Enfin, pour émettre « un signal important », les États sont tenus de pratiquer la modération salariale dans le secteur public.
Commercer sans entraves
Si le traité de Lisbonne avait déjà contribué à lever certaines barrières concurrentielles, ce texte propose d’aller encore plus loin.
L’UE n’a jamais été amie de ce qu’elle nomme les « restrictions ». Il est ainsi envisagé d’ouvrir les secteurs dits protégés afin de « lever les entraves injustifiées » et de « favoriser la concurrence ». Par le biais de ce texte, le travail du dimanche, de soir, voire de nuit est encouragé pour les magasins. En clair, un nouveau coup serait porté au droit du travail. Dans la même veine que le rapport Attali sur la « libération de la croissance », le pacte de compétitivité tend à déréguler l’activité économique en levant les restrictions pour les professions à numerus clausus telles que les notaires, les pharmaciens, les taxis ou les huissiers. Enfin, la référence aux « industries de réseau » (postes, énergie, transports, télécoms) est loin d’être anodine. Jusqu’ici, même si la « séparation patrimoniale » a eu lieu dans certains secteurs, les opérateurs historiques détiennent toujours certains accès privilégiés, véritables cauchemars pour la Commission. Autant d’éléments qui contribuent à surpasser le traité de Lisbonne et ses objectifs dérégulateurs et concurrentiels, à la fois dans le secteur public et dans le privé.
Le choix de la précarité
Comme la stratégie de Lisbonne, le document promeut la « flexicurité ». Une notion qui a permis de déréglementer le marché du travail.
C’est un leitmotiv depuis la définition des objectifs de la Stratégie de Lisbonne en 2000 qui est repris dans ce texte : «Les réformes politiques peuvent inclure : des réformes du marché du travail, pour promouvoir la flexicurité. » Cette notion, instaurée d’abord dans les social-démocraties nordiques, allierait flexibilité du marché du travail, et sécurité de revenu. En échange d’une facilité à licencier, les chômeurs reçoivent des allocations de l’ordre de 80 % de leur ancien salaire. Cette «flexicurité» est censée être la réponse à tous les maux. Hors de Scandinavie, elle a servi à précariser les travailleurs. Sa mise en œuvre a été couplée à la stratégie du « workfare » de Tony Blair. Culpabiliser les chômeurs et les remettre au travail (mal payé). C’est ce qui est proposé indirectement dans ce texte, en liant allocation et formation. Dans les pays nordiques, le modèle bat de l’aile. Même avant la victoire de la droite depuis 2000. Le chômage augmente. En Suède, seuls 55 à 60 % des chômeurs sont indemnisés par l’assurance chômage. Et un salarié sur cinq seulement est indemnisé à hauteur de 80 % de son ancien salaire.
Une TVA antisociale
La Commission veut transférer les cotisations sociales payées par les entreprises vers une hausse de la taxe à la consommation.
Outre les réformes sur le marché du travail, les gouvernements devront mettre en place des réformes fiscales. Le texte vise tout particulièrement à «déplacer la fiscalité du travail vers la consommation par la fiscalité indirecte», autrement dit il s’agit d’instaurer la TVA dite « sociale ». Le principe de la TVA dite sociale est d’augmenter le taux de TVA pour financer la protection sociale et de diminuer les cotisations sociales payées par les entreprises. Or cet impôt est le plus injuste de tous puisqu’il est payé par tout le monde au même taux, quel que soit le revenu. Une nouvelle ponction du pouvoir d’achat qui sera particulièrement douloureuse pour des millions de salariés, de privés d’emploi et de retraités, mais constituera un nouveau cadeau aux entreprises. Avec cette mesure, le risque est grand de voir une baisse significative de la consommation. De plus, les recettes pour financer la protection sociale deviendront entièrement dépendantes de la croissance. Si celle-ci venait à faiblir, les rentrées d’argent diminueraient et le déficit de la protection sociale s’aggraverait encore plus rapidement.
La rigueur devient la norme
Pour garantir que les budgets nationaux répondent aux besoins du capital, «ils» proposent de constitutionnaliser l’austérité
«Rendre contraignantes, y compris en les inscrivant dans notre Constitution, les règles budgétaires européennes». Avec un tel diktat, les dirigeants européens visent, ni plus ni moins, qu’a constitutionnaliser, dans les États membres de l’Union européenne, les politiques d’austérité. En effet, le traité de Maastricht, adopté par les libéraux et les sociaux-démocrates, limitait les déficits des budgets nationaux à 3 %. Au nom de ce texte, la casse des services publics, la remise en cause des politiques sociales, la pression sur les salaires étaient mises en œuvre. Si l’obligation est faite d’inscrire dans notre texte fondamental cette « règle d’or », comme disent pudiquement tous les tenants des politiques dites de rigueur, la représentation nationale, députés et sénateurs, donc le peuple, sera privée de toute alternative à l’austérité. Le maître mot sera alors la baisse des dépenses sociales et des investissements, même s’ils sont utiles, plutôt que de remettre en cause les cadeaux fiscaux de toute nature aux entreprises et aux hauts revenus dont le manque à gagner pour la nation a été de 150 milliards d’euros en 2010.
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