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03/09/2010

Peut-on comparer la dette publique des Pays dits « en développement » et la dette publique au Nord ?

Damien Millet, Eric Toussaint

Bien qu’il y ait une énorme différence dans les montants, il y a une première similitude au niveau de l’évolution dans le temps. La dette publique des PED et la dette publique au Nord ont explosé toutes deux au cours des années 1970. Au Nord, la récession généralisée des années 1973-1975 a obligé les pouvoirs publics à s’endetter pour relancer l’activité économique : création d’emplois publics, projets portés par l’État (par exemple, TGV, Ariane ou Airbus en France), politique de grands travaux industriels ou militaires. Les États et les collectivités locales ont donc été également pris au piège par la hausse des taux d’intérêt au tournant des années 1980. Leur dette publique a crû très vite puisqu’ils ont dû contracter de nouveaux emprunts pour rembourser, comme au Sud. C’était là aussi l’effet boule de neige.

A partir de la crise internationale qui a éclaté au Nord en 2007, la dette publique des pays les plus industrialisés, qui s’était maintenue jusque là à un niveau élevé notamment en raison des réformes fiscales favorables aux plus riches, a de nouveau explosé suite à l’effet conjugué des plans de sauvetage des banques et à la baisse des recettes fiscales due à la récession économique de 2008-2009. C’est ainsi que pour l’Union européenne, la dette publique est passée de 7 300 à 8 700 milliards d’euros entre 2007 et 2009. Un nouvel effet boule de neige risque bel et bien d’avoir lieu.

La deuxième similitude concerne les détenteurs de ces créances et les flux financiers qu’ils imposent. La part de la dette publique au Nord détenue par les citoyens à revenus modestes est très marginale. Lors de l’émission des emprunts au Nord via des obligations du Trésor, les grandes institutions financières privées (banques, compagnies d’assurances, mutual funds, fonds de pension, hedge funds) en raflent en quelques jours la quasi-totalité. Là aussi, ce sont elles et des particuliers très aisés qui détiennent les principales créances de la dette publique au Nord. La différence majeure avec les PED réside dans le fait que leur dette extérieure impose aux PED d’obtenir des devises fortes pour les remboursements, entraînant des exportations à tout va.

Du côté des débiteurs maintenant, l’État rembourse en prélevant les sommes nécessaires sur les recettes d’impôts. Or les revenus du travail sont taxés plus fortement que les revenus du capital. En outre, la part des impôts indirects tend à augmenter, comme la TVA, alors qu’en termes relatifs, elle est plus coûteuse pour les classes populaires et moyennes. Ainsi, l’État rembourse essentiellement les riches institutions privées avec l’argent prélevé lourdement sur les gens à revenus modestes : il s’agit là aussi d’un transfert des populations (dans ce cas, celles du Nord) vers les détenteurs de capitaux. Il existe donc une solidarité objective profonde entre les victimes de la dette publique des PED et celles de la dette publique du Nord.

« Les marchés des titres de la dette publique (les marchés obligataires publics), mis en place par les principaux pays bénéficiaires de la mondialisation financière et puis imposés aux autres pays (sans trop de difficultés le plus souvent) sont, au dire même du Fonds monétaire international (FMI), la ‘‘pierre angulaire’’ de la mondialisation financière. Traduit en langage clair, c’est très exactement le mécanisme le plus solide mis en place par la libéralisation financière de transfert de richesses de certaines classes et couches sociales et de certains pays vers d’autres. S’attaquer aux fondements de la puissance de la finance suppose le démantèlement de ces mécanismes et donc l’annulation de la dette publique, pas seulement celle des pays les plus pauvres, mais aussi de tout pays dont les forces sociales vivantes refusent de voir le gouvernement continuer à imposer l’austérité budgétaire aux citoyens au titre du paiement des intérêts de la dette publique. »
François Chesnais, Tobin or not Tobin ? ATTAC, Mille et une nuits

La troisième similitude réside dans le fait qu’au Nord comme au Sud, l’important endettement est le prétexte idéal pour imposer des politiques d’austérité et modifier les rapports sociaux au profit des détenteurs de capitaux. Mises en place dès les années 1980 au Nord parallèlement aux plans d’ajustement structurel au Sud, ces politiques ont trouvé un cadre général dans l’Union européenne à travers le traité de Maastricht : sa priorité a été une forte réduction du déficit public, ce qui a impliqué la poursuite d’une politique de rigueur, notamment des privatisations, une remise en cause de la Sécurité sociale et du système de retraite par répartition, une réduction des dépenses de santé et d’éducation…

En France, symboliquement, les gouvernements nommés par Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy ont pris deux mesures phares : la réduction de l’impôt sur le revenu (qui ne bénéficie pas à la moitié des ménages qui ne sont pas imposables) et la privatisation partielle de plusieurs entreprises publiques, comme Air France, Aéroports de Paris, France Telecom, Electricité de France, Gaz de France, Crédit Lyonnais, Dassault Systèmes ou plusieurs sociétés d’autoroutes. La réforme sur les retraites déjà programmée à l’été 2010 constituerait, si elle était adoptée, un recul important pour les salariés français. Les conséquences économiques de la dette pour les populations – ajustement structurel au Sud, austérité au Nord – sont donc fortement semblables.

La quatrième similitude, c’est l’intervention du FMI tant au Sud de la planète (ce qui n’est pas nouveau) qu’au Nord. Les mesures imposées à la Grèce, à l’Espagne, à la Roumanie, à la Hongrie, à la Lituanie… tous membres de l’Union européenne, ont été concoctées avec la participation directe du FMI.

Par conséquent, dans l’origine, dans le mécanisme même, dans ses conséquences, la dette frappe au Nord et au Sud avec une vigueur impressionnante. Quel contour précis donner à la catégorie des PED ? Est-il logique d’y inclure la Chine ? la Russie ? et les pays d’Europe de l’Est qui ont fait leur entrée dans l’Union européenne ? On ne peut être cohérent en décidant d’une limite arbitraire, comme le font le FMI et la Banque mondiale, et en proposant des solutions différentes alors que les populations sont touchées par des mécanismes dont la logique sous-jacente est la même… Il est donc nécessaire de réclamer les mêmes solutions, à savoir l’annulation de la dette publique au Nord envers les grandes institutions financières privées. Une idée originale pour la mettre en place pourrait être un impôt exceptionnel sur la fortune des créanciers des pays du Nord (c’est-à-dire les zinzins constitués par les banques, les assurances, les fonds de pensions…), d’un montant égal au montant des créances qu’ils possèdent… Cet impôt servirait à rembourser anticipativement la dette de l’État à leur égard. Ainsi le problème de la dette serait-il rapidement résolu ! Pour les citoyens du Nord, l’effet serait très important car les pouvoirs publics, libérés du fardeau de la dette, retrouveraient des marges pour financer des projets sociaux, pour générer des emplois, pour verser des réparations aux peuples du Sud et pour œuvrer de manière satisfaisante dans l’intérêt du plus grand nombre.

Une autre proposition fondamentale est la nécessité de décréter un moratoire sur le remboursement de la dette et de réaliser un audit de la dette. Le moratoire est mis à profit pour procéder à un examen des emprunts afin d’identifier les dettes illégitimes. La participation citoyenne est la condition impérative pour garantir l’objectivité et la transparence de l’audit. Il permettra de déterminer les différentes responsabilités dans le processus d’endettement et d’exiger que les responsables rendent des comptes à la collectivité. Les dettes identifiées comme odieuses ou illégitimes doivent être annulées.

Avec son expérience sur la question de la dette des pays du Sud, le CADTM met en garde contre une revendication insuffisante, comme une simple suspension du remboursement de la dette. Il faut un moratoire sans ajout d’intérêts de retard sur les sommes non remboursées.

D’autres mesures complémentaires devraient être mises en œuvre |1| :

- 1. Exproprier les banques pour les transférer au secteur public sous contrôle citoyen.
Il n’y a pas de régulation durable possible avec des institutions financières privées. Les Etats doivent retrouver leur capacité de contrôle et d’orientation de l’activité économique et financière.

- 2. Instaurer une véritable justice fiscale européenne et une juste redistribution de la richesse. Interdire les paradis judiciaires et fiscaux. Taxer lourdement les transactions financières.
Avec une harmonisation européenne de la fiscalité permettant d’empêcher le dumping fiscal, il faut une réforme en profondeur de la fiscalité. Le but est une augmentation des recettes publiques, notamment via l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, et une baisse rapide du prix d’accès aux biens et services de première nécessité (aliments de base, eau, électricité, chauffage, transports publics…), notamment par une baisse forte et ciblée de la TVA sur ces biens et services vitaux.
Depuis 1980, les impôts directs n’ont cessé de baisser sur les revenus les plus élevés et sur les grandes entreprises. Ainsi, dans l’Union européenne, de 2000 à 2008, les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés ont baissé respectivement de 7 et 8,5 points. Ces centaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux ont pour l’essentiel été orientés vers la spéculation et l’accumulation de richesses de la part des plus riches.
Il faut interdire toute transaction passant par des paradis fiscaux. Les différents G20 ont refusé, malgré leurs déclarations d’intention, de s’attaquer réellement aux paradis judiciaires et fiscaux. Il faut interdire ces gouffres noirs de la finance, de la corruption, de la délinquance de haut niveau et des trafics illicites. A la progressivité de l’impôt, il faudrait ajouter une taxation dissuasive des transactions spéculatives et des revenus des créanciers de la dette.

- 3. Lutter contre la fraude fiscale massive des grandes entreprises et des plus riches.
La fraude fiscale prive de moyens considérables la collectivité et joue contre l’emploi. Des moyens publics conséquents doivent être alloués aux services des finances pour lutter efficacement contre cette fraude. Les résultats doivent être rendus publics et les coupables lourdement sanctionnés.

- 4. Mettre au pas les marchés financiers, notamment par la création d’un registre des propriétaires de titres et par l’interdiction des ventes à découvert.
La spéculation à l’échelle mondiale représente plusieurs fois les richesses produites sur la planète. Les montages sophistiqués de la mécanique financière rendent celle-ci totalement incontrôlable. Les engrenages qu’elle suscite déstructurent l’économie réelle. L’opacité sur les transactions financières est la règle. Pour taxer les créanciers à la source, il faut les identifier. La dictature des marchés financiers doit cesser.

- 5. Réduire radicalement le temps de travail pour créer des emplois tout en augmentant les salaires et les retraites.
Répartir autrement les richesses est la meilleure réponse à la crise. La part destinée aux salariés dans les richesses produites a nettement baissé, tandis que les créanciers et les entreprises ont accru leurs profits pour les consacrer à la spéculation. En augmentant les salaires, non seulement, on favorise le pouvoir d’achat des populations, on renforce aussi les moyens de la protection sociale et des régimes de retraite. En diminuant le temps de travail sans réduction de salaire et en créant des emplois, on améliore la qualité de vie des populations.

- 6. Socialiser les nombreuses entreprises et services privatisés au cours des 30 dernières années.
Une caractéristique de ces 30 dernières années a été la privatisation de nombre d’entreprises et services publics. Des banques au secteur industriel en passant par la poste, les télécommunications, l’énergie et les transports, les gouvernements ont livré au privé des pans entiers de l’économie, perdant au passage toute capacité de régulation de l’économie. Ces biens publics, issus du travail collectif, doivent revenir dans le domaine public.

- 7. Pour une assemblée constituante des peuples pour une autre union européenne.
L’Union européenne issue des traités constitutionnels imposés aux populations est une véritable machine de guerre au service du capital et de la finance. Elle doit être totalement refondée par un processus constituant où la parole des populations est enfin prise en considération. Cette autre Europe démocratisée doit œuvrer à l’harmonisation par le haut de la justice fiscale et sociale, permettre une élévation du niveau et de la qualité de vie de ses habitants, retirer ses troupes d’Afghanistan et quitter l’OTAN, réduire radicalement ses dépenses militaires, bannir les armes nucléaires et s’engager résolument dans le désarmement, mettre fin à sa politique de forteresse assiégée envers les candidats à l’immigration, devenir un partenaire équitable et véritablement solidaire à l’égard des peuples du Sud de la planète.

Notes

|1| Ces propositions sont reprises du texte rédigé en août 2010 par le CADTM Europe et intitulé « La dette, une manne pour les créanciers, un drame pour les peuples ! »

P.-S.

Ce texte est une version actualisée et augmentée de la Question/Réponse n°58 du livre de Damien Millet et Eric Toussaint 60 Questions/60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM-Syllepse, Liège-Paris, 2008, http://www.cadtm.org/60-Questions-6...

http://www.cadtm.org/Peut-on-comparer-la-dette-publique

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