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25/03/2010

Portugal: ce n'est plus Trichet, mais Fitch qui dirige l'Europe!

Philippe Cohen

L'agence Fitch a baissé la note du Portugal à la veille du Sommet européen, ce qui annonce une extension de la crise en Europe. Et met au défi les dirigeants de l'Union : qui dirige, Barroso, Trichet ou Fitch ?

Si l’agence Fitch possède des locaux à Lisbonne, il faudrait lui conseiller de faire appel à des sociétés de sécurité privée : sa décision de baisser la note souveraine du Portugal est de celles qui pourraient bien provoquer la colère populaire, surtout dans un pays où la gauche non socialiste compte une trentaine de députés.
Qu’ont décidé les petits génies de la finance de Fitch ? Ils ont baissé de « AA » à « AA - » la note du Portugal à la suite de l’annonce de son déficit public à 9,3%, son endettement atteignant 126 milliards de dollars. Pourquoi ? Officiellement, ce n’est pas le plan d’austérité portugais – gel des salaires des fonctionnaires de 4 ans, arrêt des investissements -, ni même la crise qui est en cause : « Même si le Portugal n'a pas été affecté outre mesure par la crise mondiale, a précisé l’un des porte-parole de l’agence, les perspectives de reprise économique sont plus faibles que pour les 15 autres membres de la zone euro, ce qui va peser sur ses finances publiques à moyen terme. »
De grands phrases aux effets immédiats et dévastateurs, pour une toute petite réalité mathématique : la baisse de la note, qui a déjà fait chuter la bourse de Lisbonne de 2% mercredi 24, signifie simplement que le Portugal a une chance sur plusieurs milliers de faire faillite, que le ration du risque s'est légèrement dégradé, mais cela ne veut rien dire, sauf pour les opérateurs de marché qui vont pouvoir acheter et vendre de la dette portugaise. Car le Portugal ne fera pas faillite, parce que le pays n'est pas une entreprise, contrairement à Fitch (qui peut, elle, s'écrouler demain : par exemple, être dissoute par un gouvernement).

En réalité, cette annonce de Fitch en plein sommet européen est la conséquence logique d’une séquence qui a commencé dès cet automne. Dès que les plans de relance ont commencé de produire leurs effets, les représentants de Fitch – dirigés, rappelons-le par Marc Ladret de Lacharrière, un ancien séguiniste conseillé par Alain Minc – ont fait la tournée des popottes des différents gouvernements européens. De Paris à Londres en passant par Madrid et Lisbonne, le discours est le même. Il consiste à prévenir aimablement des conseillers des gouvernements que leur endettement est trop fort et que leur note pourrait bien être baissée. Objectif : aboutir à des plans d’austérité drastiques pour ce qu’on appelle « la sortie de crise ». Un conseil suicidaire : comme l’a déclaré à plusieurs reprises Dominique Strauss-Kahn, passer sans transition de la relance à l’austérité pourrait bien relancer la récession. Mais les petits malins de Fitch s’en moquent bien : assis sur leur rente (ils n’ont qu’un seul concurrent !), ils veulent écarter la menace d'une réglementation de leur funeste métier qui planait au lendemain du déclenchement de la crise. Quelle est la compétence d’économistes qui ont accordé une note « AA » à des centaines de banques aujourd’hui en faillite ? Leur vengeance se révèle donc à la hauteur de la trouille suscitée par la crise. Ladret de Lacharrière n’a-t-il pas vu sa fortune divisée par deux depuis 2007 ?
Mais la véritable force de Fitch et consorts réside bien dans la faiblesse des gouvernements, qui se servent de Fitch pour abriter leur propre couardise : incapables d’imposer des plans d’austérité à des peuples à fleur de peau, les gouvernements européens brandissent la menace « Fitch » pour les faire passer sans discussion. C’est ainsi que Fitch a été l’argument massue des fillonistes pour ne pas augmenter le montant du grand emprunt. Et que l'agence a évidemment pesé dans la potion amère que le gouvernement Papandreou impose à la population grecque, sans éviter la double peine : austérité + taux d'emprunt exorbitants.
Il faut donc le savoir : ce n’est pas Barroso ni même Trichet qui dirigent l’Union européenne, mais le patron d’une société privée qui emploie des milliers des cadres incompétents, mais devant lesquels nos gouvernants multiplient les courbettes. Jusqu'à quand ?

http://www.marianne2.fr/Portugal-ce-n-est-plus-Trichet,-mais-Fitch-qui-dirige-l-Europe!_a189940.html

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