Douze suicides et sept tentatives depuis le début de l’année à France Télécom. C’est le dernier décompte officieux de l’Observatoire du stress. Est-ce l’inertie propre à une entreprise de 105 000 salariés en France ? Syndicats comme direction veillent à ne pas polémiquer. Mais le rythme, deux fois plus élevé qu’en 2009 - 18 suicides recensés sur 2009 -, interroge.
«Les gens disent sur le terrain que rien n’a changé ou pas encore suffisamment», dit Pierre Dubois (CFDT) en première ligne dans les négociations sur le stress. Qui ajoute toutefois «avoir énormément de mal à comprendre cette accélération». Même questionnement à la CFE-CGC : «Oui, il y a une base hiérarchique qui continue ici et là comme avant, et des salariés qui sont dans un climat de défiance», constate Pierre Morville. Mais, cela ne suffit pas, dit-il, «à comprendre ce qui se passe». Sauf ce point sur lequel direction et représentants du personnel s’accordent : le nombre de ces suicides récents sont le fait de salariés en longue maladie, notamment pour dépression. Certains venaient de reprendre leur poste. En tout cas, la «négociation sur le stress» se déroule «avec cette ombre-là», ajoute la CFDT.
France Télécom vient de s’engager à regarder ces retours au travail après une longue absence. C’est l’une des nombreuses mesures qui vont être mises en œuvre par l’opérateur. Stéphane Richard, le directeur général, a décliné hier une série d’engagements pour oxygéner une entreprise sous pression, notamment depuis six ans. A commencer par «renouer avec une politique de l’emploi active», avec 3 500 recrutements en 2010. On va «vers la stabilisation des effectifs», a juré Stéphane Richard, rompant avec des années de déclin. La part variable de la rémunération des 1 100 «top managers» sera indexée pour une part notable sur des indicateurs sociaux et non sur les seuls critères financiers. Cela s’ajoute à un plan d’urgence pour les personnes en difficulté (autour de 2 000 recensées). Aux 6 000 managers déjà formés. Ou encore la marge de manœuvre plus grande laissée aux managers locaux sur les recrutements, les congés ou les promotions. Autant de mesures qui constituent, selon Richard, «la réponse à la crise sociale».
Limbes. Mais vont-elles produire leurs effets suffisamment vite ? Les syndicalistes déplorent la lenteur des avancées. Sur les six chantiers ouverts à l’automne, deux seulement ont abouti. Dont un accord emblématique sur les règles de mobilité. Désormais, le changement de poste ou de site géographique ne sera plus forcé, mais se fera sur le mode du volontariat. Déjà à Marmande, Abbeville, Cahors, Voiron ou Lisieux, menacés de fermeture, les salariés ont conservé leurs emplois sur place. Sur le deuxième chantier «Vie privée-vie professionnelle», la CFDT, non signataire de l’accord, dénonce : «Il ne traite ni des horaires ni des problèmes de transport en relation avec les gardes d’enfant ou de la vie familiale», ce ne sont que «des déclarations de bonnes intentions».
La suite promet des discussions plus rudes encore. Les chantiers sur l’organisation et les conditions de travail sont dans les limbes. «On a passé une journée sur le préambule, et on avance avec les dents», confie un participant. Chaque avancée, parce qu’elle touche «au cœur du business», est âprement discutée. «Il faut 3 milliards d’euros pour la réforme», réclame Christian Mathorel pour la CGT. Le nouveau contrat social promis par l’opérateur se ficelle dans la douleur. D’autant que s’est immiscé à la table des négociations le consultant Technologia, venu le 16 mars avec ses 25 pistes de réforme. Et cela ne fluidifie pas vraiment les discussions. Les consultants ont ainsi dû remballer leur suggestion de nommer des médiateurs dans l’entreprise. La CGT y a vu une concurrence avec ses propres délégués. La direction, une concurrence avec sa hiérarchie…
purger. Déjà endeuillé par les suicides, le climat est plombé par une série de plaintes pénales. Le parquet de Besançon a ouvert le 17 mars une information judiciaire pour «homicide involontaire» après le décès d’un technicien. Le parquet de Paris, saisi depuis le 11 février d’un rapport de l’inspection du travail, est sur le point de dire s’il classe ou non les plaintes pour mise en danger d’autrui et harcèlement moral à l’encontre de trois dirigeants de l’opérateur. SUD PTT assure que son organisation «sera de toutes les actions pénales». Une prise de position rare, les syndicats réprouvant les mises en examen de dirigeants. Pour SUD, c’est sa façon de purger des années de harcèlement moral institutionnalisé. Et mettre un terme à la spirale ?
http://www.liberation.fr/economie/0101626800-apres-la-vague-de-suicides-rien-n-a-change-a-france-telecom
Sem comentários:
Enviar um comentário