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11/09/2011

Le sexe est bien une construction


Commençons la nouvelle saison d'Une heure de peine de la même façon que la précédente s'est terminée : en discutant nature, culture et féminisme. Pascal Picq, paléoanthropologue de son état, a fait paraître dans le Monde une tribune renvoyant dans les cordes les 80 imb... abru... députés qui "pensent" (quand on écrit "théorie du genre sexuel" et qu'on prétend que cela a pour objectif de justifier la pédophilie, c'est que l'on est soit un crétin, soit quelqu'un de très malhonnête, et j'ai trop de respect pour nos représentant pour choisir la seconde option) qu'il ne faut pas dire aux lycéens que les gênes ne déterminent pas tout le comportement sexuel de l'être humain. Pourtant - peut-être du fait d'un certain opportunisme editorial - son texte s'intitule "Le sexe n'est pas que construction". Et de fait, il y critique certaines orientations "antibiologistes" (radicales, ajoute-t-il) des sciences sociales. Pourtant, le sexe - pas seulement le genre, pas seulement la sexualité - est bien une construction sociale. Il faut juste savoir ce que cela veut dire...

Donnons d'abord la parole à Pascal Picq, en profitant pour redire la très haute tenue de son texte et en saluant sa défense de la place des théories du genre dans la formation scientifique des lycéens :

C'est là qu'une partie des sciences humaines pose problème. En raison d'un antibiologisme radical, elles refusent cette réalité biologique qui fait que nous sommes dans le groupe des espèces les plus déterminées biologiquement par le sexe. C'est inepte d'un point de vue scientifique, stupide d'un point de vue philosophique et ouvert à toutes les idéologies. Par-delà le sexe (biologique), il y a la sexualité, c'est-à-dire la diversité et la plasticité des comportements qui amènent des individus à avoir des relations sexuelles. Heureusement, une partie des sciences humaines travaille avec l'anthropologie évolutionniste, notamment autour de la sexualité et de la construction sociale de l'identité sexuelle des individus.

On regrettera que Pascal Picq ne dise pas plus précisément quels auteurs ou quels travaux il vise, mais c'est sans doute la conséquence du format choisi : on ne peut pas truffer une tribune dans un grand quotidien, fut-il du soir, de références savantes. Il revient cependant un peu plus loin sur cette question pour préciser qu'il faudrait quand même pas pousser Mémé dans les orties :

Je m'oppose à toutes ces théories qui détournent les gender studies, avec pour seul argument imbécile d'affirmer qu'il n'y a pas de sexe biologique, et qui plient les observations faites dans la diversité des sociétés humaines et de grands singes.

On le voit, le ton est sans concessions. Le problème que j'ai avec ce texte, c'est que par son titre et les passages cités, on pourrait en retenir qu'il n'y a pas lieu de dire que le sexe est une construction sociale. Or, il est tout à fait légitime et scientifique de l'affirmer. A condition de bien savoir ce que cela veut dire. S'il y a un problème, c'est donc dans la compréhension de la métaphore, courante en sciences sociales, de la "construction sociale".

Dire que le sexe est une construction sociale, qu'est-ce que cela veut dire ? Certainement pas que le sexe n'existe pas ou peut être ignoré ou, encore, n'a pas de pertinence pour comprendre le comportement d'un individu. La métaphore de la construction sociale doit être prise au sérieux : une construction, ça existe, et c'est solide.

Considérons une autre construction sociale : la ville. Il serait aberrant de dire qu'une ville n'est pas construite socialement. Le tracé de ses rues, la répartition de ses quartiers et de ses activités, les règles qui régissent en son sein la circulation des hommes et des choses : toutes cela est le produit d'une histoire faite d'interactions entre les hommes. Si Paris n'avait pas connu Haussman et si celui-ci n'avait pas eu à sa disposition le monopole de la violence légitime fournit par le Second Empire, et bien Paris ne serait pas la ville que l'on connaît aujourd'hui. Et rien ne distingue l'avenue Montaigne de Barbès si ce n'est les croyances et les relations des individus qui accorde plus de valeur ici et un sens différent là...

Et pourtant, bien que socialement construite, Paris n'en est pas moins solide. Si je veux me rendre de Place d'Italie à Nation, je ne peux qu'emprunter les rues disponibles - l'usage d'un bulldozer est certes envisageable, mais incontestablement contraignant. Et j'aurais beau penser qu'il n'y a pas de raison que les prix de l'immobilier soit plus élevé Boulevard Raspail qu'à Bobigny, le fait que plein d'autres personnes ne partagent pas vraiment cet avis m'imposera toujours de trouver cent-cinquante mille cautions solidaires pour louer une chambre de bonne pleine de cafards.

Il en de même pour le sexe : dire qu'il y a là une construction sociale ne veut pas dire qu'il s'agit d'une chose inexistante, loin de la. Mais qu'est-ce que cela veut dire plus précisément ? Si l'on comprend bien que le genre soit une construction sociale - les qualités prêtés au masculin ou au féminin ne s'appliquant pas seulement aux hommes mais aussi aux choses - et qu'il soit tout à fait solide (les discriminations liées au genre et qui touchent aussi bien les femmes que les hommes pas suffisamment "virilisés" ne sont pas une illusion...), c'est plus difficile pour le sexe : ne s'agit-il pas d'une donnée biologique ? Les chromosomes ne sont-ils pas indifférents à nos petites histoires sociales ? Oui et non.

La question commence à se poser, comme le fait remarquer Judith Butler, lorsque l'on prend conscience qu'il n'existe pas forcément deux sexes, mais peut-être bien plus. Pascal Picq le signale également dans son texte : "un très faible pourcentage d'individus, écrit-il, naît avec différentes formes d'indéterminations sexuelles". Et voilà le problème. Qu'est-ce qui permet de qualifier ces situations de "formes d'indéterminations sexuelles" ? S'il s'agissait de formes de vie non-viable, on pourrait le comprendre, mais ce n'est pas le cas. On pourrait parfaitement considéré les personnes en question non pas comme souffrant d'un handicap, mais comme relevant d'un troisième/quatrième/etc. sexe. Ou comme des manifestations divines. Ou comme les victimes d'une malédiction. Ou de biens d'autres façons encore. Mais dans nos sociétés, on considère cela sous l'angle médical et on s'empresse d'opérer les enfants concernés pour les faire rentrer dans l'un ou l'autre des deux sexes que nous connaissons bien.

C'est donc bien par une construction sociale que nous attribuons des individus à l'un des deux sexes que nous connaissons et nommons socialement. Cela n'annule pas l'existence de chromosomes différents, pas plus que celle du sexe, mais cela prend acte qu'il y a et qu'il y a eu d'autres façons de gérer cette différence.

Mais on peut aller encore plus loin, d'autant plus que certains auront tôt fait de rejeter d'un revers de main ces cas en les considérant comme "minoritaires". Ils posent, en fait, une question plus générale : comment attribuons-nous un sexe à un individu ? Là encore, c'est par une construction sociale. Après tout, il est possible de changer de sexe au cours de sa vie - de sexe, et pas seulement de genre. Des personnes qui étaient des mâles deviennent des femelles, et vice-versa. Leurs chromosomes n'ont pas changé, souvent "seulement" leurs organes génitaux. Et les hommes devenus femmes ne peuvent toujours pas avoir d'enfants. Mais socialement, ils changent de sexe. C'est donc bien qu'en plus du sexe biologique, déterminé par ces fameux XX ou XY, il y a un sexe social, qui n'est pas autre chose qu'une construction.

Prenons une comparaison pour bien montrer que le fait que le sexe soit une construction sociale ne lui retire en rien de sa réalité. Wittgenstein s'est intéressé à la question de la connaissance dans le monde des mathématiques. Il s'est posé la question suivante : que faut-il pour qu'une proposition devienne une règle, pour qu'il soit autoriser, par exemple d'utiliser, tel théorème ? La réponse peut paraître évidente : il faut que ce théorème soit vrai. Oui, mais ce n'est pas suffisant. Après tout, le carré de l'hypoténuse était égal à la somme des carrés des deux autres côtés bien avant que Pythagore s'en mêle. Il faut donc a minima que le théorème soit formulé. Mais même cela ne suffit pas. Avant que les mathématiciens ne soient autorisés à l'utiliser sans en refaire toute la démonstration, il faut que la communauté des matheux se penche dessus et reconnaisse que, oui, effectivement, il a pas tort, c'est bon les gars, ça va nous épargner du code TeX. En un mot, il faut qu'il soit institutionnaliser, et ce socialement. Un théorème mathématique est une construction sociale, comme d'ailleurs toute proposition scientifique. Cela ne dit rien de sa véracité ou de sa fausseté, cela dit simplement qu'il est le produit d'une activité et d'un accord social - et si les néo-réactionnaires parvenaient à leurs fins, je ne donnerais pas cher de nos connaissances scientifiques les mieux établies...

Une fois de plus, on peut reprendre la métaphore de la construction au sérieux : un château fort et une cabane dans un arbre sont deux constructions, pourtant, il y a une des deux qui est préférable si votre objectif est de vous protéger d'une attaque ennemie. De la même façon, la science et la religion sont deux constructions sociales, mais si on veut soigner des gens ou faire voler des avions, il y a eu des deux qui a un peu plus de réussite à son actif... Toute les constructions sociales ne se valent pas.

Revenons-en au sexe. Quand vous êtes venu au monde, braillant à celui-ci la joie de votre arrivé, vous aviez évidemment un sexe : des chromosomes XX ou XY. Mais cela n'a pas suffit pour que l'on vous attribue aux mâles ou aux femelles. Il a fallut que quelqu'un jette un oeil au bon endroit, fasse "hum... hum...", coche une case sur un formulaire, le transmette à toute une série d'autres personnes - dont une au moins finira par l'archiver pour le cas où souhaiteriez contester le "hum... hum..." en question - et l'annonce à qui de droit : parents, médecins, état civil... : il en faut du monde pour faire de vous officiellement un petit garçon ou une petite fille.

Et alors, me direz-vous ? Et alors, il est possible qu'il y ait une erreur. Il est possible que les personnes chargées de cette identification soient prise d'un doute et ne sachent pas quoi faire. Il est possible que vous ne soyez pas d'accord avec elles, et que bien qu'elles vous répètent que oui, vous êtes un garçon/fille, vous ayez l'intime certitude que vous êtes une fille/garçon - et ce même si vos chromosomes et votre appareil génital ne semblent pas totalement d'accord avec vous. Bref, votre sexe est une construction sociale. Et ce n'est pas parce que cette une construction qui, la plupart du temps, occupe si bien sa place que vous voyez même plus les traces de sa fabrication qu'elle cesse de l'être.

Le problème est que cette construction n'est pas sans lien avec les autres qui occupent également l'espace social. C'est que l'on a une représentation sociale bien particulière du sexe, et que celle-ci n'est pas sans influence avec celle que l'on peut avoir du genre - avec la façon dont celui-ci est socialement construit. C'est comme souvent dans le langage que cela se fait le mieux sentir : ne parle-t-on pas, le plus souvent, de "sexes opposés" ? Mais qu'ont-ils de vraiment opposés ? D'un point de vue biologique, c'est bien difficile de le dire. Pourtant, même des chercheurs aguerris reconnaîtront que les grands singes sont leurs proches cousins tandis qu'ils décriront leur collègue de labo comme leur "opposé"... Comment ne pas y voir un lien avec les nombreuses tentatives, scientifiquement fragiles mais toujours avancées à grands cris, de montrer que les cerveaux masculins et féminins sont opposés ? Cordelia Fine (Delusions of Gender) et Rebecca Jordan-Young ont récemment publiés deux bouquins qui démontent ces travaux (voir le Sciences Humaines d'Octobre 2011, p. 76).

Cette construction sociale des sexes - et, une fois de plus, il s'agit bien des sexes et pas du genre - comme ayant des caractéristiques nécessairement opposés, et pas seulement différentes, est d'une importance fondamentale. Elle ne signifie pas l'inexistence du sexe biologique. C'est que, qu'on le veuille ou non, sciences de la nature et sciences sociales ne partagent pas les mêmes ordres de discours, ni les mêmes objets. Les biologistes parlent des chromosomes là où les sociologues parlent d'un fait social. Le "dépassement des disciplines" a beau être à la mode, il est le plus souvent vain si l'on ne comprends pas que les disciplines, justement, ont des économies internes particulières. Pour éviter les confusions, le plus simple est peut-être d'offrir un enseignement de sciences sociales à tous les lycéens. J'dis ça, j'dis rien. 

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