Vendredi 15 avril, le responsable d’un magasin hard-discount des Côtes-d’Armor a fait grève sur le parking. Il réclame des conditions de travail plus humaines pour les salariés.
«Chez Lidl, c’est hard-discount et soft social. » Jean-Marc Hubert, responsable du magasin de Lamballe (Côtes-d’Armor), a réinventé le slogan de l’enseigne à bas prix. Vendredi 15 avril, il s’est mis en grève devant la boutique. Sur sa pancarte, un appel au secours : « Caissières, chefs caissières, chefs de magasin, inorganisés, incompétents, fainéants, d’après la direction de Lidl, charge de travail inhumaine !!! » Accablé par la pression du chiffre, ce quinquagénaire un peu introverti, délégué CFTC, est sorti de ses gonds. « La veille, j’avais trouvé ma chef caissière en pleurs. Le responsable de réseau lui avait posé des questions sur son travail et le mien. Je ne voyais pas comment on pouvait bosser plus. » Après une nuit blanche, il descend à la cave, découpe un bout de carton et passe à l’action. « J’ai fait un burn-out », lâche-t-il.
Dans son salon, il laisse retomber la tension. En arrêt maladie pour épuisement, il enchaîne les cigarettes. « Ça fait une semaine que j’ai recommencé à fumer. Mon médecin m’a prescrit pour la première fois de ma vie des anxiolytiques. Heureusement que ma femme et mes enfants me soutiennent. »
En deux ans, une nouvelle organisation du travail a fait sombrer Jean-Marc et certains salariés. Chez Lidl, le temps mort n’existe pas. Une chef caissière, à temps partiel, charge la marchandise, fait de la mise en rayon, le ménage et encaisse le client. « Si jamais je reste discuter avec une employée, raconte-t-il, le chef de réseau nous en fait la remarque. L’enseigne ne prend pas du tout en compte l’aspect humain. »
848 licenciements pour inaptitude en 2010
À la tête du magasin depuis dix-sept ans, il a l’impression de faire mal son boulot. « Implicitement, on comprend qu’il faut mettre la pression sur les salariés. Mais je refuse le flicage ! » Ce natif de Dinan ne se résout pas à la productivité forcenée. Passé par l’école nationale de commerce des produits de la mer, il garde un bon souvenir de ses débuts professionnels dans un secteur où « on prenait le temps de bosser ».
Conséquence de cette course au rendement, quatre salariés du magasin sur huit sont victimes de troubles musculo-squelettiques. Jean-Marc souffre d’une épicondylite du coude, reconnue comme maladie professionnelle. En 2010, dix licenciements pour inaptitude ont été prononcés sur les 848 salariés de Bretagne. Pour cet amoureux de la mer, si les révocations explosent, c’est que l’entreprise ne fait pas de réels efforts de reclassement. « Pourtant, Lidl est un grand groupe. L’année dernière, ma chef caissière a eu une proposition de reclassement, mais c’était à Pétaouchnok ! Nous avons interpellé la direction lors du CHSCT national, elle ne fait rien. On dirait que c’est normal, que la maladie fait partie du contrat. Je dis stop ! »
Sa soif de justice semble inscrite dans son livret de famille. Son père était engagé dans la deuxième division blindée du général Leclerc pendant la Seconde Guerre mondiale. Et sa grand-mère, communiste, résistait au sein des francs-tireurs et partisans (FTP). Il est fier de cet héritage et l’entreprise l’a blessé dans sa fibre sociale. « Je suis plutôt calme mais je ne supporte pas l’hypocrisie. J’ai aussi fait grève pour aider les filles. Elles ont de petits salaires et peur des représailles. »
Code du travail ouvert sur sa table, Jean-Marc a bien l’intention de faire valoir le droit. « Il faut que le législateur rende le reclassement plus contraignant pour l’entreprise. J’ai déjà rencontré le député de ma circonscription et le maire de Lamballe à ce sujet. »
Du côté du hard-discounter, silence radio. « Ils ne répondent pas quand il s’agit des problèmes sociaux. Certains ont propagé la rumeur que si j’avais fait grève, c’est parce que je n’avais pas été réélu aux élections professionnelles, ce qui est faux ! Voyez un peu la mentalité. »
Le Costarmoricain n’a pas peur des coups de semonce du hard-discounter. « S’ils veulent aller jusqu’au conflit, j’irai. » Mais il ne veut pas non plus quitter le navire Lidl.
Une semaine après son coup d’éclat, il est submergé par les mails et les coups de fil. Le syndicaliste réfléchit à un blog sur la souffrance au travail et aimerait s’investir encore plus dans son activité de conseiller du salarié.
Des projets qu’il médite en pêchant le maquereau. Ou en plongeant dans l’histoire de la Révolution française. Son personnage préféré ? Danton, « un bourgeois qui s’était mis du côté du peuple ». Ce dernier exhortait à « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » pour faire bouger les choses. Jean-Marc Hubert n’en manque pas.
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