Nicolas Duvoux est maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Descartes et membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis). Il vient de publier l’Autonomie des assistés, Éditions PUF, septembre 2009.
La crise a-t-elle des conséquences sur les solidarités ?
Nicolas Duvoux. Pour les associations, on constate une augmentation évidente de leurs activités. Beaucoup d’indicateurs, comme l’augmentation du nombre de dossiers de surendettement, le montrent. Mais, selon moi, les effets les plus marquants de la crise devraient apparaître en 2010, avec un basculement accru vers l’assistance et des formes de politiques de solidarité.
Quelles sont les spécificités de la solidarité à la française ?
Nicolas Duvoux. Contrairement à des pays comme les États-Unis où l’on fait une grande place à la solidarité privée par le biais, par exemple, de fondations, il y a chez nous à la fois un recours à la solidarité privée et une tradition d’action publique. Cette ambivalence fait notre spécificité. D’un côté, la solidarité privée avec les associations qui génère soutien, confiance et un attachement presque émotionnel, et, de l’autre, l’État dont on pense qu’il doit intervenir et gérer les situations d’urgence.
Les associations, justement, reprochent à l’État de se défausser sur elles de la gestion de l’urgence…
Nicolas Duvoux. Ce que disent les associations est juste. Elles interviennent pour pallier les manques des pouvoirs publics. Et leur grand désarroi est de ne pas pouvoir agir en amont, sur les situations qui produisent réellement la précarité, la pauvreté ou l’exclusion.
L’État n’assume donc pas toutes ses responsabilités ?
Nicolas Duvoux. En déléguant la gestion de l’urgence, l’État se défausse effectivement d’une partie de ses prérogatives en matière de service public. En même temps, ce transfert de responsabilité, plus ou moins explicite, a permis aux associations de se structurer. Sur le fond, les pouvoirs publics ont donné à la société civile la responsabilité de traiter des problèmes sur lesquels ils ne savent pas comment agir. Prenez l’exemple du canal Saint-Martin et de l’épisode des Don Quichotte. Dans une situation qui implique directement la mobilisation de moyens publics, à savoir trouver des logements, on a transféré aux associations la responsabilité de faire entrer les personnes dans un parcours de relogement.
En quoi les actions de solidarité participent-elles à la construction de la citoyenneté ?
Nicolas Duvoux. La question est de savoir s’il y a une construction de la citoyenneté à la fois chez les intervenants, les personnes qui se mobilisent et les personnes qui reçoivent. La réponse est oui. Au niveau des personnes qui se mobilisent dans les associations, cela part d’une volonté d’investissement dans la société, donc de mobilisation citoyenne. Cela contribue à renouveler les formes de l’engagement. Un bémol, toutefois : le secteur associatif recrée les emplois que le public n’assume plus. On assiste donc à une forme de transfert de personnel avec un secteur associatif qui assure les mêmes missions, mais à un coût moindre et une protection sociale moindre…
À l’orée d’un nouveau débat sur les retraites, qu’en est-il de la solidarité intergénérationnelle ?
Nicolas Duvoux. Pour la génération qui arrive aujourd’hui à la retraite, les revenus restent relativement satisfaisants, même si la pauvreté des personnes âgées augmente. En revanche, la situation est plus compliquée pour les jeunes. Prenons l’exemple du RSA : son recours avant vingt-cinq ans est très limité. On constate une volonté de la société française de se reposer sur les solidarités familiales qui sont très insuffisantes et inégalitaires. Là-dessus, les associations pallient les difficultés les plus manifestes. Mais, par définition, je dirais que la solidarité intergénérationnelle ne peut être que garantie par un système relevant de la puissance publique. Sinon, nous sommes dans le don, la charité, l’engagement et le bénévolat, mais nous n’agissons pas sur les structures mêmes de la société.
entretien réalisé par Lionel Decottignies
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