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21/03/2011

Une nouvelle opération coloniale contre la Libye

Domenico Losurdo - Mondialisation.ca, Le 20 mars 2011



Après avoir bloqué par un veto solitaire une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamnait l’expansionnisme colonial d’Israël dans la Palestine occupée, à présent les USA se posent à nouveau en interprètes et champions de la « communauté internationale ». Ils ont convoqué le Conseil de sécurité, non pas pour condamner l’intervention des troupes saoudiennes au Bahrein mais pour exiger et finalement imposer le lancement de la « no-fly zone » et d’autres mesures de guerre contre la Libye.
 
D’ailleurs, quelques mesures de guerre avaient déjà été entreprises unilatéralement par Washington et par certains de ses alliés : comme le démontrent l’approche de la flotte militaire étasunienne au large des côtes libyennes et le recours à l’instrument colonialiste classique de la politique de la canonnière. Mais Obama ne s’est pas arrêté là : ces jours derniers il avait plusieurs fois intimé à Kadhafi de façon menaçante d’abandonner le pouvoir ; il avait appelé l’armée libyenne à opérer un coup d’Etat. L’aspect le plus grave est encore ailleurs. Avec la Grande Bretagne et la France, les USA ont depuis quelques temps lâché leurs agents pour mettre les fonctionnaires libyens face à un dilemme : ou passer du côté des rebelles ou bien être déférés à la Cour pénale internationale et passer le reste de leur vie en prison, en tant que responsables de « crimes contre l’humanité ».
  
Pour couvrir la reprise des plus infâmes pratiques colonialistes, l’habituel, gigantesque appareil multimédia de manipulation et désinformation s’est déchaîné. Et, pourtant, il suffit de lire avec un minimum d’attention la presse bourgeoise elle-même pour s’apercevoir de la tromperie. Jour après jour on a répété que les avions de Kadhafi bombardaient la population civile. Or voici ce qu’écrivait Guido Ruotolo sur La Stampa du 1er mars (p. 6) : « C’est vrai, il n’y a probablement eu aucun bombardement ». La situation a-t-elle radicalement changé les jours suivants ? Sur le Corriere della Sera du 18 mars (p. 3) Lorenzo Cremonesi rapporte de Tobrouk : « Et comme il est arrivé déjà dans les autres localités où l’aviation est intervenue, il s’est agi tout au plus de raid d’avertissement. "Ils voulaient faire peur. Beaucoup de bruit mais pas de dégât", nous a dit par téléphone un des porte-parole du gouvernement provisoire ». Ce sont donc les révoltés eux-mêmes qui démentent le « génocide » et les « massacres » invoqués pour justifier l’intervention « humanitaire ».
  
A propos des révoltés. Jour après jour ils sont célébrés comme des champions de la démocratie dans toute sa pureté, mais voici en quels termes a été racontée leur retraite face à la contre-offensive de l’armée libyenne par Lorenzo Cremonesi sur le Corriere della Sera du 12 mars (p. 13) : « Dans la confusion générale, des épisodes, aussi, de saccage. Le plus visible est celui de l’hôtel El Fadeel, où ils ont emporté des téléviseurs, des couvertures, des matelas en transformant les cuisines en poubelles, les couloirs en bivouacs crasseux ». Il ne semble pas que ce soit vraiment le comportement d’un mouvement de libération ! Le moins qu’on puisse dire est que la vision manichéenne du conflit en Libye n’a aucun fondement.

De plus. On dénonce chaque jour les « atrocités » de la répression en Libye. Et lisons maintenant ce qu’écrit sur l’International Herald Tribune, à propos du Bahrein, Nicholas D. Kristof : « Pendant ces dernières semaines j’ai vu des cadavres de manifestants, tués presque à bout portant par des coups d’armes à feu, j’ai vu une jeune fille se tordre de douleur après avoir été tabassée, j’ai vu le personnel d’ambulances être frappé pour avoir tenté de sauver des manifestants ». Encore : « Une vidéo du Bahrein semble montrer des forces de sécurité atteindre à quelques mètres d’eux, avec une grenade lacrymogène un homme pas très jeune et désarmé. L’homme tombe à terre et essaie de se relever. Ils l’atteignent alors à la tête avec une autre grenade ». Si tout cela ne suffit pas, qu’on se souvienne que « ces derniers jours les choses vont beaucoup plus mal ». Avant même que dans la répression, c’est d’abord dans la vie quotidienne que la violence s’exprime : la majorité chiite est obligée de subir un régime d’ « apartheid ».
  
Pour renforcer l’appareil de répression sont à l’oeuvre des « mercenaires étrangers » et des « chars d’assaut, armes et gaz lacrymogènes » étasuniens. Le rôle des USA est décisif, comme l’explique le journaliste de l’ International Herald Tribune, en rapportant un épisode qui est en lui-même éclairant : « il y a quelques semaines un de mes collègues du New York Times, Michael Slackman, a été capturé par les forces de sécurité du Bahrein. Il m’a raconté qu’on a même pointé les armes sur lui. Craignant que quelqu’un ne tire, il sortit son passeport et cria qu’il était journaliste américain (étasunien, NdT). A partir de là l’humeur changea tout d’un coup ; le leader du groupe s’approcha et prit la main de Slackman, en s’exclamant chaleureusement : « Ne vous inquiétez pas ! Nous, nous aimons les américains ! ».
  
En effet la Cinquième flotte étasunienne est basée au Bahrein : il n’est même pas utile de dire qu’elle comme devoir de défendre ou imposer la démocratie : évidemment, pas au Bahrein ni même au Yémen, mais seulement... en Libye et dans les pays qui, tour à tour, sont pris dans le collimateur de Washington.
 
Pour répugnante que soit l’hypocrisie de l’impérialisme, elle n’est pas une raison suffisante pour passer sous silence les responsabilités de Kadhafi. Même si historiquement il a eu le mérite d’avoir chassé la domination coloniale et les bases militaires qui pesaient sur la Libye, il n’a pas su construire un groupe dirigeant suffisamment large. De plus, il a utilisé les profits pétroliers pour bâtir d’improbables projets « internationalistes » à l’enseigne du « Livre vert », au lieu de développer une économie nationale, moderne et indépendante. Et a ainsi été perdue une occasion en or de mettre fin à la structure tribale de la Libye et au dualisme de vieille date entre Tripolitaine et Cyrénaïque, et d’opposer une solide structure économico-sociale aux manœuvres renouvelées et aux pressions de l’impérialisme.
 
Et nous avons cependant d’un côté un leader du Tiers Monde qui de façon grossière, confuse, contradictoire et bizarre suit une ligne d’indépendance nationale ; de l’autre un leader qui, à Washington, exprime de façon élégante, polie et sophistiquée les raisons du néo-colonialisme et de l’impérialisme : eh bien, seul celui qui est sourd à la cause de l’émancipation des peuples et de la démocratie dans les rapports internationaux, ou même celui qui se laisse guider par l’esthétisme plutôt que par le raisonnement politique, peut se ranger avec Obama (et Cameron et Sarkozy) !
 
Mais, en fait, est-il réellement élégant et fin cet Obama qui, bien que décoré du prix Nobel de la paix, ne prend pas un seul instant en considération la sage proposition des pays sud-américains, c’est-à-dire l’invitation de Chavez et d’autres, adressée aux deux parties en lutte en Libye pour qu’ils fassent un effort pour la solution pacifique du conflit et pour le salut et l’intégrité territoriale du pays ? Immédiatement après le vote à l’ONU, allant au-delà de la proposition à peine votée, le président des USA a lancé un ultimatum à Kadhafi et a eu la prétention de le lancer au nom de la « communauté internationale ». Depuis toujours, l’idéologie dominante révèle son racisme en identifiant l’humanité avec l’Occident ; mais cette fois sont exclus de la « communauté internationale » non seulement les deux pays les plus peuplés du monde, mais même un pays-clé de l’Union européenne. En se posant comme interprète de la « communauté internationale », Obama a montré une arrogance raciste pire encore que celle dont faisaient preuve dans le passé ceux qui ont réduit en esclavage ses ancêtres.
 
Est-il élégant et fin ce Cameron qui, pour vaincre chez lui l’opposition à la guerre, répète jusqu’à l’obsession que celle-ci répond aux « intérêts nationaux » de la Grande Bretagne, comme si les appétits pour le pétrole libyen n’étaient pas déjà clairs ? Qui ne sait que ces appétits sont devenus plus voraces encore, depuis que la tragédie du Japon a jeté une ombre pesante sur l’énergie nucléaire ?
  
Et que dire enfin de Sarkozy ? Sur les journaux on peut lire tranquillement qu’au-delà du pétrole, il pense aux élections : combien de Libyens le président français a-t-il besoin de tuer pour faire oublier ses scandales et ses gaffes et s’assurer ainsi une réélection ?
  
Les journalistes et les intellectuels de cour aiment dépeindre un Kadhafi isolé et harcelé par un peuple largement uni : mais pour qui a suivi les événements, il n’a pas été difficile de se rendre compte du caractère grotesque de cette représentation. Le récent vote au Conseil de sécurité a démasqué une autre manipulation : celle qui fabule sur une « communauté internationale » unie dans la lutte contre la barbarie. En réalité, se sont abstenus en exprimant de fortes réserves, la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et l’Allemagne ! Les deux premiers pays ne sont pas allés au-delà de l’abstention et n’ont pas mis leur veto pour une série de raisons : mais il ne faut pas perdre de vue qu’il n’est toujours pas facile et que cela peut comporter des problèmes de divers types de défier la superpuissance solitaire. Et il ne s’agit évidemment pas que de cela : la Chine et la Russie ont obtenu en échange le renoncement à l’envoi de troupes de terre (et d’occupation coloniale) ; elles ont évité des interventions militaires unilatérales de Washington et de ses alliés les plus proches, comme les interventions opérées contre la Yougoslavie en 1999 et en Irak en 2003 ; elles ont essayé de contenir les manœuvres des cercles les plus agressifs de l’impérialisme qui voudraient délégitimer l’ONU et mettre à sa place l’OTAN et l’ « Alliance des démocraties » ; et, qui plus est, une contradiction s’est ouverte au sein de l’impérialisme occidental conduit par les USA, comme le montre le vote de l’Allemagne.

Si l’on se réfère à un pays comme la Chine dirigé par un parti communiste, on doit observer que le compromis qu’elle a voulu accepter n’engage en aucune manière les peuples du monde.

Comme l’avait expliqué en son temps Mao Zedong, les exigences de politique internationale et les propres compromis de pays d’orientation socialiste ou progressiste sont une chose, une autre par contre est la ligne politique de peuples, classes sociales et partis politiques qui n’ont pas conquis le pouvoir et ne sont donc pas engagés dans la construction d’une nouvelle société. Une chose est claire : l’agression qui se prépare en Libye rend plus urgente que jamais la relance de la lutte contre la guerre et l’impérialisme.

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