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25/02/2009

À chaque pouvoir sa famille.

Rémi Lenoir - sociologue

Les débats sur le Pacs mettent à jour une longue tradition familialiste, qu'elle soit d'Église ou d'État. Une conception si prépondérante qu'elle empêche aujourd'hui de penser sans préjugé le droit à la famille pour les homosexuels.

Sans retracer ici la préhistoire de la morale familiale, dont les controverses actuelles attestent encore l'empreinte, on doit cependant rappeler très brièvement qu'elle s'est peu à peu diffusée et imposée dès le premier christianisme. En effet, l'Église catholique a construit, dès l'origine, un système de règles de parenté dont l'un des effets a été de porter atteinte aux coutumes indigènes d'alors, notamment à la toute-puissance du chef de famille, et de renforcer ainsi son emprise sociale et ses bases économiques (mariage par consentement mutuel et liberté de tester). Elle interdisait ainsi la répudiation des femmes stériles, les mariages consanguins - elle avait élargi considérablement le nombre des degrés de parenté entre lesquels les mariages étaient prohibés -, l'adoption des enfants, la polygamie, le divorce, autant de mesures qui contribuaient très directement à accroître son patrimoine. Ainsi, le modèle familial que nous connaissons encore aujourd'hui, celui du groupe où les membres sont unis par des attaches affectives et qui est fondé sur le consentement, est associé à la transformation de la secte chrétienne en Église, grâce à l'accumulation de biens aliénés en sa faveur.

Avec l'État absolutiste et la centralisation administrative qu'il implique, la gestion des affaires matrimoniales passe peu à peu de l'Église à l'État, ce transfert s'accompagnant d'une transformation de la définition de la famille. En effet, la centralisation politique qui s'opère dès le XVIè siècle s'appuie sur l'essor d'une élite administrative. Celle-ci est essentiellement composée de bourgeois et d'anoblis récents ayant étudié le droit, qui sont titulaires d'offices au Parlement et dans ce qui allait devenir l'administration. Ayant mobilisé des fonds familiaux importants pour acheter leurs charges, ils ont élaboré un règlement visant à maintenir ce nouveau type de patrimoine dans leur famille.

Les nouvelles dispositions, à l'encontre du droit canon, visent à éviter toutes les formes de dilapidation : illégalité des mariages secrets, publication des bans, restriction des possibilités de séparation des époux, interdiction des grossesses clandestines, renforcement de l'indivision des successions, autant de mesures qui constituent un nouveau modèle familial conférant au chef de famille une autorité socio-économique sans partage. Avec la montée du pouvoir monarchique et de la bourgeoisie de robe qui lui est économiquement et politiquement liée, l'un des enjeux de la lutte entre l'Église et l'État a été de déterminer l'instance légitime qui, en imposant le modèle familial correspondant à ses intérêts, s'assurait du même coup les conditions à la fois morales et économiques de sa perpétuation. Ainsi, les affaires de famille deviennent des affaires d'Église et des affaires d'État. Bien sûr, il ne s'agit pas de n'importe quelle famille, c'est-à-dire de n'importe quel groupe social. Dans ces luttes, il n'est question que de la famille des groupes les plus élevés dans la hiérarchie sociale.

Familialisme d'Église et familialisme d'État

L'État républicain a été amené, au même titre mais selon une logique tout autre que ce qui l'a précédé, à développer des stratégies nationales de reproduction en vue d'accroître la main d'œuvre et de fournir les armées. Et, comme l'Église, ne pouvant agir directement sur les familles, c'est par la morale et les incitations à s'y conformer qu'il est intervenu et continue de le faire sur la fécondité, l'éducation, l'hygiène et la socialisation au travail. D'où l'apparition d'un familialisme d'État qui s'est mis peu à peu en place, concurremment au familialisme d'Église, pendant la première moitié du XXe siècle, et qui trouve sa consécration au début de la Ive République : création de L'Institut national d'études démographiques, de l'Union nationale des associations familiales, des caisses d'allocations familiales, du quotient familial, mise en place définitive du Haut Comité de la population et de la famille et d'un ministère portant le même intitulé. Le familialisme n'est pas seulement un parti pris démographique et une morale de la vie privée. C'est une conception générale du monde social, qui fait de la famille le principe de toute chose, fût-elle la chose publique : organisation de la vie politique ("vote familial"), redistribution des richesses ("justice familiale"), morale de la vie publique ("ordre familial"), éthique de la vie privée ("famille nombreuse"). Le modèle de la famille que veulent imposer les associations familiales est celui des catégories sociales les plus élevées dont font partie leurs responsables, des industriels, des médecins, des enseignants et des notables catholiques de province. Le modèle n'a guère changé après-guerre, même si les promoteurs de la politique familiale appartiennent plutôt à la haute fonction publique, membres des grands corps, notamment du Conseil d'État et de la Cour des comptes, professeurs de médecine, démographes, avocats et, pour la plupart, catholiques. Ce modèle est celui de la famille de trois enfants dont a femme reste au foyer.

Il faudra attendre l'effondrement des bases sociales du familialisme (déclin de la paysannerie et des entreprises familiales, accroissement de la scolarisation et du travail salarié des femmes) et la montée du mouvement féministe pour que le modèle familialiste de la famille soir peu à peu remis en cause. Mais alors que l'Église catholique s'est officiellement démarquée de cette évolution campant sur ses positions, le familialisme d'État, avec beaucoup de réserves il est vrai, a tenté de concilier la sauvegarde de la famille et le changement des mœurs : contraception, avortement, divorce par consentement mutuel. Mais plus qu'une adaptation, il s'est agi d'une conversion, au double sens, nombre des tenants du familialisme rénové venant de l'avant-garde éthique qui a encore trouvé la plupart de ses adeptes dans la mouvance catholique, le catholicisme plus particulièrement, la haute bourgeoisie catholique et l'Église elle-même, se perpétuant à travers la famille et les institutions qui la défendent. Car cette "mutation" ne touchait pas à l'essentiel, la famille, même "recomposée", restant toujours la "famille".

Le mariage des homosexuels : une antinomie?

A cet égard, le Pacs montre les limites de cette avancée éthique. En refusant aux homosexuels le droit à fonder une famille, c'est la tradition familialiste que l'on perpétue. On ne défend pas seulement la famille, mais tout l'ordre social qui la fonde. Et c'est bien, en effet, la question centrale. S'il est il difficile de la poser et d'y répondre, c'est que la famille ne désigne pas seulement l'ordre social dans l'une de ses dimensions essentielles, elle est aussi une catégorie pour la penser. Le malaise ressenti parfois face aux revendications des homosexuels tient à ce qu'on a de la peine à les penser.

Comment penser ce qui a été institué comme impensable, le "mariage des homosexuels" ? Comment le penser si ce n'est selon les catégories mêmes - l'expression en témoigne - qui interdisent de le penser ? Les revendications mettent en cause des évidences d'État qui constituent au sens fort les catégories selon lesquelles sont pensées les institutions d'État. On comprend que les hommes politiques et la haute fonction publique ne peuvent se défaire des schèmes et des figures de pensée inscrits dans l'ordre étatique que chacun, à leur manière, ils incarnent.

Mais de quel ordre étatique s'agit-il ? L'histoire du familialisme le rappelle : un ordre qui exclut du droit, c'est-à-dire de la communauté nationale, une partie de ses membres. Et pas de n'importe quel droit, puisqu'il s'agit du droit à l'existence sociale. Le combat mené par les homosexuels et tous ceux qui les soutiennent ne se limite pas au mariage et à la plénitude des droits qui lui sont socialement attachés. C'est plus largement le droit à la vie, à décider de sa vie (et de sa mort). Un tel droit ne s'acquiert qu'au prix d'une laïcisation totale de l'État et, corrélativement, du rejet de toute forme de familialisme.
Homme Moderne

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