Ulrich Rippert - Mondialisation.ca, Le 23 février 2009
Des statistiques publiées jeudi par l’agence Eurostat de l’Union européenne révèlent que la production s’est effondrée dans toute l’Europe à la fin de 2008. Les chiffres annoncés sont bien pires que ne l’avaient prévu les analystes. En décembre, la production industrielle a baissé de 2,6 pour cent par rapport au mois de novembre. Sur une année la production européenne a chuté de 12 pour cent.
Les hommes politiques européens avaient pendant un certain temps essayé de donner aux chiffres en baisse de la production européenne un aspect positif, mais les chiffres publiés jeudi amenèrent un changement de ton. Le commissaire européen à l’Industrie, Günter Verheugen, dit au Financial Times Deutschland « l’ampleur et la vitesse de la crise est tout à fait nouvelle ».
La veille de la publication de ces nouvelles statistiques, une étude de l’institut de recherche économique Ifo révélait que les perspectives du monde des affaires des seize pays de la zone euro étaient en baisse pour le sixième trimestre consécutif, atteignant son point le plus bas depuis 16 ans, c'est-à-dire depuis que ces études existent. La BCE (Banque centrale européenne) publia elle aussi une mise en garde selon laquelle la récession qui s’était emparée de l’Europe ne serait pas de courte durée. Selon la BCE, il s’agit bien plutôt d’une baisse d’activité forte et prolongée.
La réaction des différentes nations européennes à la montée de la crise a été d’adopter une suite de mesures protectionnistes. Le premier ministre italien, Silvio Berlusconi a ainsi averti récemment le producteur d’appareils ménagers Indesit SpA de ne pas transférer sa production et ses emplois en Pologne, et en Grande-Bretagne les syndicats et les hommes politiques revendiquent des « emplois britanniques pour les ouvriers britanniques ».
Mercredi, le président du Conseil européen en exercice, le premier ministre tchèque Mirek Topolanek se présenta devant la presse à Bruxelles et mit en garde contre une « course protectionniste » en Europe, tout en reconnaissant que les économies nationales de l’Union europénne étaient durement frappées par la crise internationale et qu’elles étaient en perte de vitesse d’une façon non envisagée jusque-là.
Topolanek dit « à la suite de la crise économique et financière apparaissent des problèmes que l’Union européenne considérait être des reliques du siècle passé et comme résolus de longue date ».
A la suite d’une réunion avec le président de la Commission européenne, Manuel Barroso, Topolanek décrivit la situation en Europe comme « pire qu’elle ne l’[avait] jamais été ». La confiance des citoyens dans le système économique a été ébranlée, dit-il, et il avertit de ce que la fermeture des marchés nationaux mettait en danger le marché intérieur européen et l’économie mondiale.
Le journal allemand Süddeutsche Zeitung se fit l’écho des déclarations du président du Conseil européen et écrit : « Tout homme politique cherchant à résoudre la crise économique par des mesures protectionnistes ne fait qu’aggraver la situation. »
Barroso adressa aussi une mise en garde aux Etats qui voulaient faire cavalier seul. Les chefs d’Etat et de gouvernement européen devaient mettre un terme à tout « nombrilisme nationaliste » dit-il. Sans quoi il existait le danger qu’une forte tendance à la baisse ne s’intensifie ».
L’industrie automobile européenne est frappée de façon particulièrement dure par l’absence de crédit. Une analyse de l’Union européenne déclare à ce propos : « L’accès aisé au crédit joue un rôle important dans l’industrie automobile où entre 60 et 80 pour cent des achats privés se font sur la base du crédit ». Les experts de la Commission européenne ont fait état d’une baisse des commandes entre 43 et 57 pour cent pour l’industrie sidérurgique.
La direction de l’UE s’attend à une forte hausse du chômage dans les mois qui viennent. Selon Verheugen, le commissaire à l’Industrie, les entreprises ont éliminé 158 000 emplois ces quatre derniers mois, n’en créant qu’à peine 25 000. C’est un brusque revirement par rapport aux trois premiers trimestres de 2008 où l’emploi avait généralement tendance à augmenter.
Mercredi dernier, le producteur automobile français Peugeot annonçait la suppression d’au moins 11 000 emplois et Renault annonçait le lendemain ses propres plans de réduction d’effectifs et la suppression de 9000 emplois. Ces suppressions d’emplois ont été approuvées par le gouvernement et les syndicats français et coïncident avec l’annonce d’un plan de subventionnement des producteurs automobiles français à hauteur de 6 milliards d’Euros.
Sarkozy déclara qu’il était selon lui irresponsable de continuer à produire des voitures francaises en République tchèque. Il réclama un arrêt des transferts de production vers d’autres pays. Si l’Etat donnait de l’aide à l’industrie automobile dit-il, ce n’était pas pour qu’elle installe des usines en République tchèque. Il pressa aussi les industriels de l’automobile de soutenir les industries de sous-traitance qui fournissent matériel et services à l’industrie automobile française.
Le premier ministre tchèque Topolanek réagit vivement à l’annonce de ce cours ouvertement protectionniste et appela à la tenue d’un sommet européen spécial afin de bloquer ce genre de politique ou des politiques similaires.
La chancelière allemande Angela Merkel (CDU – Union chrétienne démocrate) critiqua-t-elle aussi la décision française. La défense du libre marché et du marché intérieur européen était d’une importance primordiale, dit-elle.
L’économie allemande qui dépend fortement de ses industries d’exportation, serait particulièrement vulnérable à toute augmentation des mesures protectionnistes en Europe.
Sarkozy a défendu sa décision et a attiré l’attention sur le fait que la chancelière allemande avait, il y a quelques semaines, rejeté un programme commun de relance en Europe. Maintenant, chaque gouvernment était forcé de prendre ses propres mesures pour venir à bout de la crise, a-t-il dit. Il ajouta que le dernier en date des programmes allemands de relance était destiné à subventionner les entreprises allemandes.
Le conflit entre Paris et Berlin est profond. Sarkozy a réclamé de façon répétée, en tant que président du Conseil européen l’année dernière, l’établissement d’une « administration économique » pour la zone euro, disant clairement qu’il se considérait comme le meilleur choix pour diriger une telle administration.
Sarkozy, qui jouit du soutien d’une majorité des seize pays de la zone euro, cherche à forcer le gouvernement allemand à prendre davantage de responsabilités en matière de politique financière. Selon l’Elysée, l’Allemagne doit, en tant que plus importante économie du continent, contribuer beaucoup plus fortement à la gestion de la crise.
Le gouvernement allemand lui, veut précisément éviter une telle situation. Il se considère comme étant mieux préparé à supporter la crise que les autres pays de la zone euro, dû aux réformes du marché du travail introduites par le précédent gouvernement SPD-Verts qui réduisit drastiquement la protection contre le chômage et ouvrit la voie à la création d’un immense secteur de bas salaires.
Soutenu par les organisations patronales du pays, le gouvernement Merkel cherche à exploiter la crise afin de renforcer le rôle dominant de l’Allemagne en Europe. Berlin s’oppose avec véhémence à la prise de quelque responsabilité que ce soit vis-à-vis des « Etats faible » de l’Europe, c’est-à-dire des pays qui n’ont pas jusqu’à présent réussi à imposer des coupes drastiques de leur protection sociale et de la protection contre le chômage.
Derrière les appels de la chancelière à l’adhésion au « libre marché » et derrière son rejet du protectionnisme, il y a les intérêts égoïstes de l’élite économique allemande qui profite le plus du marché intérieur européen.
Les performances économiques inégales des différents pays de la zone euro et l’absence de politique financière et économique commune ont conduit à des « écarts » croissants dans les conditions auxquelles sont consentis les crédits gouvernementaux des pays de la zone euro. A la mi-janvier, la Grèce a dû contracter un nouveau prêt à un taux d’intérêt bien supérieur aux trois pour cent fixés pour les prêts gouvernementaux à l’Allemagne. Les experts financiers ont dit que la tendance à des écarts croissants se poursuivait « de façon définitive » et ils avertirent de ce que cela pouvait avoir des conséquences explosives quant au sort de l’Euro en tant que monnaie européenne commune.
Lorsque le président de l’Eurogroupe, le ministre des Finances et premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker suggéra l’introduction d’eurobons afin de permettre aux Etats membres moins forts d’avoir accès au crédit dans le cadre d’une solution paneuropéenne, sa proposition fut immédiatement rejetée par le ministre des Finances allemand, Peer Steinbrück (SPD). Au lieu de cela, le gouvernement allemand cherche à se servir de son commissaire à l’Industrie, Günter Verheugen, afin de forcer les Etats membres à effectuer des coupes budgétaires et à imposer une stricte politique d’austérité.
Face à ces tensions croissantes, la présidence de l’Union europénne et la Commission européenne ont annoncé la préparation de pas moins de trois sommets européens pour les trois mois à venir. Le 1er mars, les chefs d’Etat et de gouvernement se rencontreront à Bruxelles afin de « coordonner les programmes nationaux de relance ». L’ordre du jour doit comprendre la lutte contre les tendances protectionnistes, des mesures pour raviver la circulation du crédit, les mesures à prendre vis-à-vis des « actifs toxiques » et la politique à suivre vis-à-vis de l’augmentation du chômage. Trois semaines plus tard aura lieu le régulier sommet de printemps de l’Union européenne, qui se concentrera probablement lui aussi sur la crise économique et financière. Et le président tchèque du Conseil européen a invité les Etats membres à Prague pour un sommet sur l’emploi au mois de mai.
Derrière cette frénésie de rencontres au sommet, il y a la peur d’un possible éclatement de l’Union européenne et d’un développement de la résistance de la classe ouvrière au chômage de masse et à la pauvreté croissante.
À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.
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