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07/06/2009

Peut-on rétablir les États-Unis?

John Kozy - Mondialisation.ca, - 6 juin 2009

« Washington a tendance à encourager la cohérence stupide. Si vous détenez un quelconque prestige et que vos opinions sont connues publiquement, tout ce que vous avez dit dans le passé tend à être projeté dans l’avenir et tout ce que vous dites maintenant est projeté dans le passé. Toute contradiction est susceptible de mener à des accusations de volte-face, d’hypocrisie, de trahison ou quoi que ce soit. Ces accusations sont certes justifiées dans bien des cas, mais la simple possibilité que quelque chose ait changé ou que l’expérience ou de nouvelles preuves vous ait amené à changer d’idée ne semble pas être prise au sérieux. Cela a pour effet de forcer les gens à camper sur des positions qu’ils savent erronées, car ils craignent moins la cohérence idiote que les accusations de volte-face.» (Bruce Barlett).

On ignore quand les Étatsuniens ont embrassé la notion voulant qu’il soit vertueux d’agir par principe et de défendre ses convictions, mais qu’en revanche, changer d’avis est inconvenant et constitue une volte-face éhontée, même lorsque les preuves sont suffisantes pour le justifier. Toutefois, il n’y a aucun doute que cette ligne de pensée est née de la dépendance étatsunienne à l’idéologie, valorisant davantage la croyance que la connaissance. L’absurdité de concept devrait être évidente, mais elle ne l’est vraisemblablement pas. Agir selon des principes erronés mène au désastre et la raison pour laquelle quiconque serait prêt à le faire est nébuleuse. Pourtant des conséquences encore plus sinistres découlent de ce principe. Puisque toute personne réputée ne veut être accusée d’être « sans scrupules », spécifiquement les élus, les gens répugnent à changer leurs opinions, même s’ils savent qu’elles sont fausses. Dès qu’ils ont décidé « qu’avoir des principes » est plus important qu’avoir raison, ils ne sont pas enclins à questionner la validité de leurs points de vue et ne désirent pas le faire en recherchant la vérité. Il en résulte que les soi-disant principes deviennent des dogmes rigides, les débats dégénèrent en vitupérations, le gouvernement devient inefficace et la société se désintègre.

L’intégration de ce concept combinée à la dépendance des Étatsuniens à l’idéologie ne prévient toutefois pas l’incohérence et le commentaire de Bartlett révèle un autre aspect de ce qui passe pour l’élite intellectuelle étatsunienne : la curieuse incapacité de penser au-delà du premier niveau de conséquences.

Ce qui échappe à Bartlett est que les gens ont des points de vue fondés sur des principes pour de nombreuses questions. Sur un sujet quelconque, une personne peut avoir une opinion basée sur des principes, laquelle est incompatible avec une autre de ses opinions, basée elle aussi sur des principes. Si les personnes « consciencieuses » n’éprouvent aucun désir de valider leurs positions ou ne sont pas enclines à le faire, elles ne réalisent jamais leurs contradictions.

Le statu quo politique des États-Unis, notamment la droite, mais fréquemment ceux que l’on dit modérés et libéraux également, épouse deux de ces opinions contradictoires. L’une d’elle est que la famille constitue l’unité fondamentale de la société. L’autre est la croyance idéologique dans le système capitaliste.

Aux yeux d’un anthropologue, les États-Unis d’Amérique n’ont rien d’une vraie société. Les États-Unis sont essentiellement constitués de groupes de personnes et de communautés, lesquelles ont diverses croyances souvent contradictoires et sont en général peu tolérants envers les croyances des autres. On dit que les Étatsuniens ne vivent pas ensemble, ils vivent simplement côte à côte. Ces individus et ces groupes cherchent ouvertement à promouvoir leurs propres intérêts aux dépens des intérêts de tous. On restreint des libertés de toutes sortes et ceux qui se situent en dehors des groupes dominants sont ou laissés à eux-mêmes ou complètement abandonnés. Une vraie société ne fonctionne jamais de cette manière et il est évident que les Étatsuniens n’ont jamais compris De la liberté de Mill.

Dans les sociétés primitives, la famille, particulièrement la famille élargie, forme le groupe de soutien de l’individu. Lorsqu’une jeune mère décède ou devient infirme, lorsqu’une personne tombe malade ou devient inapte, lorsque les enfants deviennent orphelins ou que les gens vieillissent, la famille fournit le soutient nécessaire puisqu’il est fréquemment impossible pour un tel individu « de fonctionner au sein de son propre espace sociétal, d’assumer ses responsabilités et d’exploiter son potentiel ». [Voir Steyn ci-dessous]. La réalité n’est pas si bénigne. Au contraire, deux dogmes du capitalisme pratiqué aux États-Unis, que les Français appellent capitalisme sauvage, détruisent les familles : la mobilité de la main d’œuvre et le salaire de subsistance (ou le salaire le plus bas permettant d’acheter le travail requis).

Le revenu insuffisant qui résulte des bas salaires est une cause majeure de divorce et lorsque les membres des familles se dispersent parce qu’ils doivent déménager là où sont les emplois, la famille élargie se désintègre. Il y a environ un an, une étude sur les taux de divorce démontrait que ceux-ci étaient plus élevés dans ces États rouges, conservateurs de la ceinture biblique (Bible belt). Le clergé protestant a déploré ce constat en l’attribuant à sa propre incapacité à inculquer des valeurs chrétiennes à ses ouailles. Les ecclésiastes n’ont toutefois pas remarqué qu’en outre, dans ces mêmes états traditionnels, le revenu par habitant est le plus bas. Comme la famille élargie se désintègre, le groupe de soutien nécessaire s’effondre et l’individu incapable « de fonctionner au sein de son propre espace sociétal, d’assumer ses responsabilités et d’exploiter son potentiel » est abandonné. Les conservateurs considèrent qu’il est criminel d’abandonner son enfant, mais ne semblent pas reconnaître qu’une nation a tort, à tout le moins, d’abandonner sa population.

Lorsque ceux qui sont abandonnés de la sorte réclament un soutien sociétal, les conservateurs les admonestent pour leur « indolence » et les accusent de vouloir devenir des « pupilles de la nation ». [Voir Mark Steyn, hillsdale.edu]. Cependant le concept de nation est abstrait et il est impossible de devenir le pupille d’une abstraction. Les États ne subviennent à aucun besoin, ils sont de simples moyens. Les gouvernements sont constitués de personnes qui édictent des lois et récoltent les fonds nécessaires à leur application. L’argent provient des populations des États, du moins dans les pays fiscalement responsables. Lorsque des programmes sociaux sont créés afin de prendre soin des gens dans le besoin, ce n’est pas l’État qui offre ce programme, mais la société. La société est le village nécessaire à l’éducation d’un enfant, non pas l’État. Les gens ne deviennent pas des pupilles par indolence, ils le deviennent par nécessité. Et le système économique en est grandement responsable. Quand des gens perdent leur emploi en période de déclin économique, ce n’est pas en raison de leur indolence. Lorsqu’ils tombent malades ou se blessent et n’ont pas les moyens de s’offrir de soins médicaux, ce n’est pas parce qu’ils sont paresseux. Lorsque la valeur de leurs investissements chute en raison des mauvaises décisions qu’ont prises les chefs d’entreprise ou même des leaders politiques, ce n’est pas dû à leur indolence. C’est parce que le système économique a détruit la famille, qu’il est lui-même peu fiable et conçu de façon à échouer régulièrement. Le système économique aggrave ensuite le problème avec le dogme idiot voulant que les seuls groupes envers lesquels les compagnies sont responsables sont les actionnaires. [Voir mon texte Dumb Claims that go Unquestioned ]

S’ensuit bien sûr un rassemblement de personnes à l’image de ce que Locke et Rousseau décrivent comme un état de nature, l’état sauvage*, que les gouvernements civils sont en théorie destinés à mener à la soumission. Toutefois le capitalisme rend non seulement impossible la soumission de l’être à l’état sauvage, il détruit également la famille tout comme la base même de la société. Donc tout conservateur « scrupuleux » croyant à la fois au capitalisme et en la famille comme unité fondamentale de la société soutient deux points de vue radicalement opposés, même si chacune de ces opinions « consciencieuses» est affirmée avec conviction. Donc la cohérence stupide de la soi-disant « rigueur morale» ne tient absolument pas de la cohérence. Et puisqu’en théorie le statu quo étatsunien est à la fois dépendant et scrupuleux idéologiquement, ce qui est perçu comme une société étatsunienne est affligée de nombreuses contradictions insolubles. Tôt ou tard elle percutera la réalité tête première.

La difficulté survient au moment où l’on se demande comment régler les choses. Les vrais croyants et les personnes « consciencieuses » en fonctions ne peuvent pas être influencées par des discussions rationnelles, par des faits ou même par les conséquences désastreuses dues au fait qu’ils ’inculquent leurs croyances erronées. Quiconque s’imagine que ces croyances ne peuvent être fausses jugera immanquablement qu’elles ont été mal exploitées si elles connaissent des ratés. Si les gens sont pauvres, c’est qu’ils sont paresseux, si les entreprises échouent, c’est que leurs dirigeants sont incompétents ou corrompus, si les politiques gouvernementales ne fonctionnent pas, c’est qu’elles sont sous-financées, qu’on ne les soutient pas ou qu’elles sont appliquées inefficacement. Les certitudes ne sont jamais remises en question et le système n’est jamais réformé. Il est simplement rafistolé continuellement. Cependant on ne peut résoudre les contradictions en rafistolant.

Donc on ne peut pas refaire de fond en comble le système de santé en mauvais état, on ne peut que le rafistoler. Les pratiques ratées en politique étrangère ne peuvent pas être fondamentalement modifiées, elles ne peuvent qu’être retapées. Le système politique permettant aux lobbyistes aux poches creuses de corrompre le système ne peut pas être réformé, seulement rafistolé. Et c’est particulièrement le système économique capitaliste, le capitalisme sauvage que l’on ne peut pas transformer, que l’on peut seulement retaper. Plus on les rafistole, plus les choses demeurent les mêmes. Ce qui est vu comme une société se désagrège continuellement, on ne résout jamais les problèmes sociaux, les gens sont abandonnés par égard pour des institutions fondées sur des croyances erronées et tôt ou tard la nation s’effondre.

Voilà l’explication logique, mais il en existe une autre, pernicieuse. Il est possible que les affirmations de pureté et de cohérence de la part de l’élite du statu quo ne soient que du pur marketing. Peut-être que les membres de l’élite ne sont engagés dans aucune idéologie. Ils s’intéressent peut-être seulement à leurs intérêts personnels. Ils épouseraient probablement n’importe quelle position s’ils croient qu’elle sera profitable. Ils sont sans doute la descendance proverbiale de Caïn et la marque qu’ils portent est un S majuscule avec en son centre un trait vertical. Ils ne sont peut-être que des crapules. Bien des gens, des gens comme Bruce Bartlett, émettent l’hypothèse selon laquelle les vrais croyants «consciencieux» sont bien intentionnés mais qu’ils sont trompés, irrationnels, ignorants ou stupides. Mais peut-être que ceux qui ont tort sont Bruce Bartlett et ses semblables.

Il existe des preuves empiriques de cette vision : toutes les promesses non tenues qu’ont faites les politiciens pour se faire élire. Les gens qui mentent régulièrement pour arriver à leurs fins sont des voyous et les voyous n’ont pas de scrupules.

Les États-Unis d’Amérique se sont-ils condamnés par la dépendance de la population à l’idéologie et à la cohérence idiote, et en en développant une économie politique dirigée par des voyous? Est-ce impossible de remédier à la situation maintenant? À moins que les gens se lèvent et demandent des changements fondamentaux, la réponse semble être «oui»! Peut-on s’attendre à ce que les gens agissent de la sorte? Pas si l’on considère le statu quo de la propriété des médias, car la grande majorité de la population n’a même pas idée de ce qui se passe réellement.

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