Coauteur de Manager ou servir (Syllepses, 2011), le sociologue Thomas Lamarche décrypte les dangers du « nouveau management public ».
Que pensez-vous du projet de confier l’évaluation aux chefs d’établissement ?
Thomas Larmarche. Donner de la légitimité au chef d’établissement pourrait être une bonne idée
s’il s’agissait d’améliorer la démocratie scolaire. Mais là le ministère cherche surtout
à créer une nouvelle hiérarchie à sa botte.
Ce dispositif s’inscrit totalement dans
le « nouveau management public » (NMP) qui se met en place dans l’éducation nationale.
D’où vient ce nouveau management ?
Thomas Larmarche. Initié par Margaret Thatcher, le concept a depuis été repris par l’OCDE et la stratégie de Lisbonne. L’idée centrale est d’adapter au service public
les méthodes de management du privé.
On ne pense plus l’État à partir
de sa mission politique et éthique, mais
à partir d’une logique de rationalisation
et des seules techniques de gestion. Dans les faits, le NMP se caractérise par une profonde défiance à l’égard des personnels qui,
pour les autorités, doivent faire l’objet
d’un contrôle très étroit. On multiplie donc
les dispositifs d’évaluation systématiques et l’on crée de nouvelles hiérarchies intermédiaires. Apparaissent des « managers » dont la fonction n’est pas d’être au contact
des personnels et d’animer l’organisation mais de contrôler de manière rigide, procédurale, ceux qui sont devenus leurs subalternes.
En clair, on impose une logique de caporalisation là où l’on travaillait ensemble dans une logique relevant de la confiance.
Comment cela se met-il en place
dans l’éducation nationale ?
Thomas Lamarche. Cette transformation se fait par la formation des cadres de l’éducation nationale, dont les chefs d’établissement. La nouvelle génération est moins liée
à la profession et beaucoup plus formée aux techniques managériales. Ces cadres ont moins une mission d’ordre général
et sont de plus en plus mobilisés pour imposer aux personnels une avalanche
de règlements et de procédures strictement cadrées. L’évaluation individuelle, le livret de compétences ou encore les évaluations de CE1 et CM2 sont typiques
de ces dispositifs. Au lieu d’éclairer l’enseignant sur la meilleure manière
de faire évoluer chaque élève,
on lui demande de le faire rentrer dans
une norme uniforme et nationale.
Quel est l’impact sur les personnels ?
Thomas Lamarche. Cette forte pression produit beaucoup de stress. Contrôlé sans cesse
dans son action, l’enseignant finit
par perdre confiance et se dévalorise. L’avalanche procédurale produit également de la distance entre les personnels,
avec la hiérarchie et avec les familles.
Les discussions sont toujours « intermédiées » par une norme. Au final, le NMP contrarie l’action des personnels et produit surtout de l’immobilisme. Le gouvernement parle beaucoup d’« autonomie » et de liberté
des équipes enseignantes. C’est un leurre. La vraie liberté, c’est d’avoir des personnels compétents avec les moyens d’agir. Aujourd’hui, ils restent compétents
mais sont enchaînés par les procédures.
Ce qui va à l’inverse de la démocratie scolaire.
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