À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

16/05/2010

Du Fait Divers comme arme de repression massive

Un apéro géant, quoi de plus sympa, quoi de plus de français, quoi de plus humain ?... Jeunes ou vieux, dans cette France laminée par les crises, avons-nous meilleure possibilité de fraterniser un peu, de nous réchauffer et d’oublier nos misères ensemble ?...

Ainsi des milliers de jeunes et moins jeunes se sont servis d’un réseau communautaire pour se donner rendez-vous à une grande fête, exploitant pour celà une des facettes centrales du Net, la possibilité de partager, de faire du lien. Lien social si cruellement délité et, bien sûr, totalement délaissé par les politiques, pour la fondamentale raison que le bénéfice pécuniaire ou électoral n’en coule pas de source.

Une des rares relations non-incriminantes de l’évènement est fournie par Ouest-France :

« ....Le jeune homme qui est mort, jeudi, en chutant d’un pont nantais, avait une alcoolémie de 2,40 g. Le procureur de la République de Nantes, Xavier Ronsin, a rappelé que le seuil délictuel est de 0,8 g. “Ce jeune homme avait bu dans un appartement avant de se rendre à l’apéro géant, place Royale. Pendant cette soirée, il a consommé dix à quinze verres d’alcool fort. Sa mort est due à une grave imprudence et à une alcoolisation excessive”... »

Le jeune homme avait bu avant l’apéro géant de Nantes. L’imprudence, l’alcool sont les seuls responsables du drame, c’est le Préfet qui le dit.

Les médias officiels balayent cette relation dépassionnée. La cause est entendu, le problème est national, un homme est mort, tous les rassemblements apéritifs sont responsables, mortels. Contre toute logique et conclusion d’une autorité pourtant, on le sait, prompte à sauter sur la moindre occasion de sanctionner et d’interdire comme le veulent l’esprit et l’action de l’extrême-droite au pouvoir, aujourd’hui en France.

Une chose se manifeste clairement, jour après jour, tonnes d’images après tombereaux de papier, les hérauts médiatiques arrogants et impérieux pratiquent tous autant qu’ils sont la pensée unique de l’info.

L’info est un produit industrialisé et pré-emballé par l’AFP, un brouet factuel et complaisant, non-hiérarchisé, non critiqué par ses producteurs, toujours choisi pour émouvoir et servir le pouvoir. Livré brut, pour donner du travail aux médias. Medias dont l’activité fondamentale d’info consiste, donc, à délayer les news de l’AFP. Ou plutôt les appauvrir encore grâce à ces dizaines de rédacteurs briefés ultra-libéral qui touillent chacun les pépites d’info dans la "sauce" de leur canard respectif, qui ne diffère qu’à peine de celle du voisin. Tout en se voyant naturellement en clone d’Albert Londres, looké par Prada et boosté par Vuarnet.

Vous avez l’impression d’entendre la même vieille nouvelle répétée dans les mêmes vieux termes, sur RTL9, France 2, France-Inter, TFtheone ou Beurkmedia, hein ? Rassurez-vous, moi aussi. Voilo l’effet qui coule de cette sauce fondamentale, dont les commandements majeurs sont :

1 Mettre le paquet sur les faits divers ;
2 Mettre le paquet sur les faits divers à possible connotation politique ;
3 Valoriser par les faits divers l’action et/ou le personnel politique et marchand en place.
4 Dénigrer, dévaloriser les actions des simples gens, particulièrement quand ils se veulent rassemblés et/ou citoyens.

Posons quelques éléments, non pas de langage, mais de simple logique.

Quelle est la proportion statistique qu’il y ait au moins un incident à la sortie d’un événement impliquant des milliers de personnes ?

Elle n’est pas nulle, elle ne rejoint pas zéro, contrairement à la tolérance des médias pour l’information équilibrée.

Combien de personnes sont mortes sur un lieu de travail, harcelées par leur patron ?

Les médias n’en font pourtant jamais état, sauf quand on en vient à l’intolérable. Ça ferait pourtant des « faits divers » qu’on peut considérer comme infiniment significatifs de quelque chose et incriminant pour l’environnement où ils se produisent, eux. Même un journaliste ne pourra nier longtemps pas que la souffrance au travail et le management de la terreur ont acquis une cruelle évidence aujourd’hui. A France-Telecom, mais aussi dans l’ensemble des entreprises françaises. Environ 400 personnes se suicident pour raisons professionnelles chaque année en France, comme l’explique le documentaliste Paul Moreira, co-auteur de « Travailler à en mourir ».

Quelle est la pertinence de mettre cette malheureuse chute à Nantes en Une papier ou télé, comparativement aux choix possible d’un accident de voiture ou de train, bien plus grave et répété, ce qui induit des responsabilités et des défaillances structurelles probables ?... Il s’en produit chaque jour en France, je crois bien.

Le choix de privilégier cette info « apéro » n’apparaît absolument pas logique, ni même légitime. Comme l’ensemble de la structuration de l’info autour de faits divers travaillés, s’il faut préciser les choses.

Elle est pourtant mise en Une web par Le Parisien, le Figaro, France-Soir, etc, le jour même.

Aberrant, hein ?...Pas du tout.

Si l’on ouvre la focale au niveau « années » on constate une maximisation systématique de faits divers similaires. L’agression (qui se révéla imaginée par la pseudo-victime) dans le RER D, il y a quelques années en fut un des « points d’orgue ». Il ne se passe finalement pas de semaine sans que les médias ne sélectionnent et engraissent un incident jusqu’à en faire un problème crucial, alors qu’il est n’est au mieux qu’un hasard malheureux.

Sans parler de sa véritable existence....Par le fait que les gens sont attiré par la dramatisation médiatique, ils en arrivent à produire "le fait divers dont ils sont le héros". A moins que ce ne soit les rédactions elles-mêmes, on l’a vu, qui se prennent à leur propre jeu pervers...Icônes bidons récentes, les reportages truqués de France 2 et TF1, sur les incendies en Corse.

Peu importe, les mercenaire de l’info continuent leurs manipulations médiatiques pour faire émerger "le grand problème", aussi général qu’urgent à régler.

Le fait divers n’a rien d’anodin.

Les rédactions, leurs dirigeants journalistiques et financiers ont fait le choix de propulser en Une le ponctuel, le singulier, l’occasionnel, plutôt que de respecter la hiérarchie de sens, utilisée depuis à peu près l’aube de l’humanité, celle qui consiste à s’intéresser à ce qui est réellement le plus grave et/ou le plus exemplaire pour le plus de monde.

Ils ont divorcés de la compréhension pour épouser la manipulation.

Un fait divers lambda est une coquille vide qui ne fait sens que par lui-même et pour lui-même. C’est la proie idéale des spin doctors de l’ « information ». Ils vont le choisir soigneusement en fonction de leurs espérances, que nous verrons plus loin.

Ils vont le rendre important par la répétition d’abord, jusqu’à ce que le fait divers devienne une ritournelle. Ils obsèdent par la mort, la répétition de son déroulement, le suivi au plus près de la douleur du/des proches et son ressassement presque compulsif.

On atteint une sorte pornographie voyeuriste et compassionnelle, totalement artificielle.

Ensuite viendront les « produits dérivés » que sont les commentaires d’experts proches, tout proches des médias. On les retrouve chaque jour à l’antenne, si on regarde bien. Il faut dire qu’avec ne serait-ce que plusieurs dizaines de chaînes télés, ils ont le choix, pourvu qu’ils soient "bon clients". On les connaît bien, les Attali, Cohen, Barbier, Touati, Minc et autres souriants sages aux analyses "calibrées" pour correspondre à l’esprit de l’émission où elles sont proférées et faire monter le fait divers initial au rang de phénomène de société. Une société qui a, évidemment, dérapé.

Enfin, dans les jours qui suivent l’événement viennent les débats qui valorisent incomparablement le fait divers customisé et prouvent à M. Toulemonde qu’il y a bel et bien un problème de société.

Ainsi, un jeune homme éméché qui se tue malencontreusement devient le symptôme d’une crise générale. Il est incontestablement l’avant-garde d’une situation cruciale en marche, d’une défaillance qui va nous tomber dessus à tous. Escamoté, ou quasiment, le fait divers. On est maintenant dans le registre "global déviant", pathologie générale, névrose sociale, menace sociétale. Le deuxième étage de la fusée « fait divers » est prête à fonctionner.

Il a créé un vide, ce fait divers transfiguré. Un vortex béant, une angoisse populaire, pour ne pas dire populiste. En témoignent d’ailleurs les commentaires, largement sollicités, en ligne ou en micro-trottoir, les sondages éventuellement...Il faut y répondre à ce grand problème, il est impératif de sortir la France de l’anxiété de la semaine.

Non pas de l’angoisse concernant l’infinitésimale probabilité que vous tombiez sur une voie de chemin de fer, après avoir bu quelques verres de trop, non... Nous sommes maintenant dans un problème de dérive profonde de la société et de contrôle des mécanismes fondamentaux d’une civilisation, vous comprenez ?...

Nous sommes quelques heures, quelques jours plus tard, dans le temps de la réponse. L’apaisante réponse, toujours identique. Il faut sévir face à l’inquiétant phénomène, ce monstre qui fut fait divers.

Par quels chemins déductifs est-on passé, dans les officines médiatiques, pour en arriver à la lumineuse et répétée conclusion, qui parfois vous semble prévisible ?..

Un homme se tue après un apéro Facebook, on présente, on rappelle, on souligne, on fait accepter, par tous « produits dérivés », - dans le même temps qu’on touille la mousse du fait divers lui-même - la nécessité de réagir, d’empêcher la multiplication pensable, possible, inévitable des morts. Il faut sévir, évidemment, contre l’inéluctable enchainement des dérives, des débordements, des faits divers mortels, des séries mortelles, des catastrophes générales, mortifères et inéluctables à venir.

Il faut sévir, il n’y a pas d’autre alternative.

Il faut sévir contre les initiateurs des apéros Facebook, au prétexte qu’ils n’ont rien prévu et pas prévenu toute autorité, ni sécurisé sécuritairement les lieux avec les forces de l’ordre ad hoc.

On imagine la joie et l’impression de fête, de joyeuse liberté, données par un apéro géant entouré de flics.

Il faut sévir contre Facebook, véhicule virtuel des rencontres.

On voit tout a fait bien Facebook traquer tous les mails et éjecter toutes les personnes qui parlent sur le réseau d’apéritifs ou de fêtes, ou, pire, des deux. Ce serait bien sympa en termes de buzz, et de C.A.

Il faut d’abord et enfin sévir contre ces apéros Facebook et leurs irresponsables acteurs.

Ils donnent réalité à la possible mort accidentelle future, qui pourrait, pourra, devra être suivi par des centaines d’autres. Si on ne sévit pas fortement et sur tout le territoire pour prévenir la survenue de tous les angoissants possibles, qui certainement se réaliseront.

Un homme est mort, il faut interdire partout de peur qu’advienne. C’est à peu près le raccourci à la hache permanent qu’abattent les médias.

Peu importe que l’incident soit fortuit, que les centaines de groupes d’amis qui font un apéro en France au même moment risquent autant que deux ou trois mille personnes réunies pour boire un coup festivement. Peu importe que des centaines de personnes par an meurent dans une situation où les corrélations claires entre travail ou voiture et victimes appelleraient en Une des enquêtes sur des faits véritablement parlants, dont la récurrence n’a statistiquement rien de fortuit.

Les questions corrélatives à la Grande Manip, comme dirait un expert en manip, sont assez claires.

Qui peut profiter de ces mises en scène médiatiques sollicitant la peur et appelant à une répression toujours dirigée contre les événements qui échappent à la planification des élus et forces de l’ordre ?...

Qui subit les conséquences de ces cris permanents au loup ?...

A ces deux questions, tout un chacun se voit de plus en plus capable de trouver les réponses dans l’évolution de l’espace individuel et social de liberté qui lui est alloué.

PS : des apéros géants ont été interdits ce samedi à Troyes (Aube), Annecy, Chambéry (Savoie) et Limoges (Haute-Vienne) ; Coppé a déclaré que « les apéros » étaient un sujet « national » ; Hortefeux, l’amateur d’Auvergnats, va faire des réunions de « réflexion » la semaine prochaine ; le ministre de la Jeunesse et des solidarités actives, Daubresse, n’aime pas l’apéro, il s’est prononcé pour l’ « interdiction totale »...

http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article4573

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails