Une résolution du Parlement européen de mai 2008 opère une légitimation du projet de création d’un grand marché transatlantique pour 2015. Elle envisage l’élimination des barrières au commerce, d’ordre douanière, technique ou réglementaire, ainsi que la libéralisation des marchés publics, de la propriété intellectuelle et des investissements. L’accord prévoit une harmonisation progressive des réglementations et surtout la reconnaissance mutuelle des règles en vigueur des deux côtés de l’Atlantique. Dans les faits, c’est le droit américain qui s’appliquera.
Parallèlement, des discussions discrètes se sont développées afin de créer un espace commun de contrôle des populations. Un rapport secret, conçu par des experts de six Etats membres, a établi un projet de création d’une aire de coopération transatlantique en matière de « liberté de sécurité et de justice », d’ici 2014. Il s’agit de réorganiser les affaires intérieures et la Justice des Etats membres « en rapport avec les relations extérieures de l’Union européenne », c’est-à-dire essentiellement en fonction des relations avec les Etats-Unis.
Plus encore que le transfert des données personnelles et la collaboration des services de police, processus déjà largement réalisé, l’enjeu de la création d’un tel espace consiste dans la possibilité, à terme, de la remise des ressortissants de l’Union aux autorités étasuniennes.
Rappelons que le mandat d’arrêt européen, qui résulte de la création d’un « espace de liberté, de sécurité et de Justice » entre les Etats membres, supprime toutes les garanties qu’offrait la procédure d’extradition. Le mandat d’arrêt repose sur le principe de reconnaissance mutuelle. Il considère comme immédiatement conforme aux principes d’un Etat de droit toutes les dispositions juridiques de l’Etat demandeur.
L’installation d’une telle aire de coopération transatlantique ferait que l’ensemble de l’ordre de droit étasunien serait reconnu par les 27 et que les demandes américaines d’extradition seraient, après de simples contrôles de procédure, automatiquement satisfaites.
Or, aux Etats-Unis, le Military Commissions Act of 2006 permet de poursuivre ou d’emprisonner indéfiniment toute personne désignée comme ennemi par le pouvoir exécutif. Cette loi concerne tout ressortissant d’un pays avec lequel les USA ne sont pas en guerre. On est poursuivi comme « ennemi combattant illégal » non pas sur des éléments de preuve, mais simplement parce qu’on est nommé comme tel par le pouvoir exécutif. Cette loi, de portée internationale, n’a été contestée par aucun gouvernement étranger.
Le parallélisme entre la libéralisation des échanges entre les deux continents et le contrôle américain des populations européennes existe durant les 13 années qu’a duré le processus de négociation.
Les progrès dans la création d’un marché transatlantique sont dus à l’action d’un institut euro-américain, le Transatlantic Policy Network. Fondé en 1992 et réunissant des parlementaires européens, des membres du Congrès des Etats-Unis et d’entreprises privées, il appelle à la création d’un bloc euro-américain aux niveaux politique, économique et militaire. Il est soutenu par de nombreux think tanks comme l’Aspen Institute et est alimenté financièrement par des multinationales américaines et européennes.
Un élément important de cet « espace de liberté, de sécurité et de justice », le transfert général des données personnelles est en train d’aboutir.
Un rapport interne écrit conjointement par des négociateurs appartenant au ministère de la Justice et au Département de la sécurité intérieure côté américain et par le Coreper, un groupe de représentants permanents, en ce qui concerne l’Union européenne, annonce un accord en ce sens pour début 2009.
Les négociateurs se sont déjà mis d’accord sur 12 points principaux. En fait, il s’agit de remettre en permanence aux autorités américaines une série d’informations privées telles que le numéro de la carte de crédit, les détails des comptes bancaires, les investissements réalisés, les itinéraires de voyage ou les connexions internet, ainsi que des informations liées à la personne comme la race, les opinions politiques, les mœurs, la religion…
Les Américains inscrivent leurs exigences dans le contexte économique. L’enjeu n’est pas de pouvoir transmettre ces données aux autorités administratives, ce qui est déjà largement réalisé, mais de pouvoir légalement les remettre au secteur privé. Il s’agit de supprimer tout obstacle légal à la diffusion des informations et de garantir des coûts les plus bas possibles. Il faut avant tout assurer la rentabilité du marché.
Les négociateurs européens ont abandonné leur propre légalité en ce qui concerne la nécessité d’un contrôle indépendant et ont accepté les critères américains. Ils admettent que le pouvoir exécutif se surveille lui-même en considérant que le système de contrôle interne du gouvernement américain offrait des garanties suffisantes. Ils ont accepté que les données concernant la « race », la religion, les opinions politiques, la santé, la vie sexuelle, soient utilisées par un gouvernement à condition « que les lois domestiques fournissent des protections appropriées ». Chaque gouvernement pourrait décider lui-même s’il respecte ou non cette obligation.
Le processus qui conduit à l’installation d’un grand marché transatlantique est l’inverse de celui de la construction de l’Union européenne. Le marché commun européen est d’abord une structure économique basée sur la libéralisation des échanges de marchandises.
Le grand marché transatlantique s’appuie sur la primauté du droit américain. Il est d’abord une construction politique, même la création d’une Assemblée transatlantique est évoquée. L’exercice de la souveraineté des autorités étasuniennes sur les populations européennes et la légitimation de ce pouvoir par l’Union sont les conditions de la mise en place de nouveaux rapports de propriété et d’échange : transformer les données personnelles en marchandises et libérer ce grand marché de toute entrave.
In lesoir.be
Sem comentários:
Enviar um comentário