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15/05/2010

Quand la technocratie opte pour le virtuel et ignore la réalité…

Daniel Vanhove - Mondialisation.ca, Le 15 mai 2010

Revenons sur l’explosion de la plate-forme pétrolière survenue il y a quelques semaines dans le golfe du Mexique, et dont les médias nous parlent étrangement peu, malgré les 11 victimes qui y ont laissé leur vie.

Les « experts & spécialistes » en ingénierie pétrolière s’agitent, moins fiers qu’à leur habitude tant le désastre semble inévitable… Ceux-là mêmes qui ont toujours réponse à tout, paraissent cette fois dépassés par l’ampleur de ce qu’ils ont de plus en plus de mal à cacher. Poussée par les vents, la nappe de pétrole s’avance inexorablement vers les côtes américaines, présage d’une catastrophe écologique d’une ampleur inédite dont l’écosystème particulièrement fragile des bayous (voir : article dans le Monde) mettra probablement plusieurs années à se remettre… Malgré la tentative de pose d’un premier dôme pesant 100 tonnes, malgré la pulvérisation par avion de produits dissolvants, malgré des kilomètres de barrages flottants, aucun de ces « experts & spécialistes » n’a de réponse efficace pour arrêter la fuite du puits à 1.500m de profondeur, ni pour contrer l’étendue visqueuse et délétère qui commence à souiller les côtes de Louisiane (à peine remise des suites de l’ouragan Katrina), avant celles probables du Mississipi, d’Alabama, de Floride,… Le désastre risque d’être à la hauteur de la prétention suffisante du puissant lobby pétrolier qui depuis des décennies, empoisonne impunément la planète, tant du point de vue des pollutions diverses et répétées que de celui des guerres innombrables menées un peu partout sous de fallacieux prétextes, pour arracher à la terre et à la mer, cet or baptisé « noir » et qui n’a sans doute jamais aussi bien porté son nom. L’on nous explique qu’en théorie, une vanne de sécurité « aurait dû couper le flux de pétrole remontant du puits, en cas de problème ». Seulement voilà : en pratique, la vanne n’a pas fonctionné. Et ce n’est pas la première fois, paraît-il. Faut-il encore s’en étonner ? Et dès lors, que penser si un accident de ce genre devait survenir dans une centrale nucléaire !? Evidemment, les « experts & spécialistes » de la question nucléaire nous diront que cela ne peut se produire, tant les mesures de sécurité sont garanties… Et si vous avez le malheur de leur rappeler le désastre de Tchernobyl – il y a plus de 20 ans de cela, et la zone désertique est toujours hautement contaminée, sans parler des milliers de victimes directes et indirectes dont on ne dit presque rien, et pour cause ! – ils s’empresseront de leur hauteur, de vous répondre qu’il s’agissait-là d’une technologie de l’Est, ou en d’autres mots, que la nôtre, celle de l’Occident prétentieux, est sans commune mesure avec celle des autres… Un peu comme ce que les « experts & spécialistes » de chez BP essaient de nous raconter aujourd’hui, si vous voyez ce que je veux dire… Un ami m’expliquait l’autre jour que c’était le revers de la médaille : le pétrole que les yankees volaient en Irak, ils le reperdaient en partie dans leurs eaux territoriales à raison de 800.000 litres par jour… Un autre me disait que c’était « bien fait pour eux » et que « malheureusement, il fallait que l’on passe par-là pour conscientiser un minimum tous ces irresponsables… » Reste à savoir si les responsables de cette catastrophe seront jugés et condamnés pour leur crime. Rien n’étant réglé, affaire à suivre…

Un peu plus loin sur la planète, d’autres « experts & spécialistes » nous ont dernièrement démontré pareille suffisance en paralysant l’espace aérien nord européen pendant près d’une semaine, pour cause de nuage volcanique. Entraînant des pertes financières dépassant largement le milliard d’euros pour une économie déjà à la traîne – le secteur du tourisme est la première industrie en Europe – sans prendre les précautions élémentaires de prélèvements dans l’air pour confirmer ou infirmer ce qu’un modèle informatique projetait comme données théoriques. Il est vrai que presque chaque jour l’on peut voir à quelles incroyables absurdités notre société contemporaine nous conduit : nous accordons désormais plus de crédit et de valeur au virtuel qu’à la stricte réalité des choses. N’a-t-on pas assisté à pareille bêtise lors de la pandémie annoncée d’une grippe H1N1 – après l’aviaire qui déjà s’était dégonflée telle une baudruche deux ans auparavant – censée décimer des populations entières par millions d’individus ? Et à quelles facéties n’assiste-t-on pas dans les dossiers tels que le changement climatique, les OGM , l’énergie nucléaire, … toutes matières déclarées par les tenants du pouvoir, théoriquement sans risque ? Mais, ne nous est-il pas répété depuis l’enfance, tel un mantra et quoi qu’il advienne, que demain sera meilleur qu’aujourd’hui ? Fondement même de toutes les religions, idéologies, et croyances faciles dans d’éternelles promesses, à défaut d’affronter les réalités toujours complexes du quotidien ? Loin d’être réglé, le problème du volcan islandais pourrait encore se rappeler à nous pendant de longs mois, voire quelques années, paraît-il. Ici aussi, affaire à suivre…

Dans le même temps, un peu plus au Sud de l’Europe, se déroule un autre drame : celui du risque d’une banqueroute d’un pays… premier peut-être d’une série désignée par d’autres « experts & spécialistes » tout aussi arrogants sous le patronyme peu amène de PIGS (porcs, en anglais) et regroupant le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne. La Grèce fait ainsi les frais d’une nouvelle cacophonie européenne où depuis des mois, les élites se succèdent aux diverses tribunes qui leur sont offertes pour déclarer « qu’il faut aller vite » pour aider un pays de la zone euro. Pour celles et ceux qui ignoraient ce que « vite » signifie dans le langage d’une bureaucratie aussi pléthorique qu’incompétente, ils sont désormais renseignés ! Lamentable ! C’était sans compter les dissensions habituelles et le manque de solidarité de certains membres de l’UE. Au point qu’après les incessants atermoiements de ses plus hautes autorités, nous assistons ces derniers jours, à une course contre la montre, pour tenter de calmer les marchés qui ne s’embarrassent pas de ces vains discours – les réactions étant d’ailleurs souvent inversement proportionnelles à ces déclarations officielles. Il faut dire que l’enjeu est de taille : c’est le système dans son ensemble qui paraît sur le point de vaciller, avec le risque évoqué sur tous les continents désormais, de la disparition éventuelle de l’euro… avant celui d’une Europe décidément trop vieille pour s’adapter au monde actuel et régulièrement tentée de se replier sur soi. Même le président Obama a dû appeler la chancelière allemande A. Merkel à deux reprises le week-end dernier, pour la presser d’accepter une solution crédible avant l’ouverture « des marchés » lundi matin, afin d’éviter le pire. Le pire ? Comprenez : une réévaluation trop forte du dollar par rapport à l’euro, ce qui à terme ralentirait les exportations américaines. La « monnaie unique » sauve donc le soldat dollar. Bravo aux (ir)responsables politiques et à leur cohorte d’ « experts & spécialistes » qui ont la prétention de nous gouverner ! Résultat : d’après nombre d’intervenants sur la question, la crédibilité de l’euro reste menacée parce que les fondements mêmes d’une économie européenne s’articulant sur des disparités telles que l’illustrent la puissante Allemagne et la Grèce précaire ne sont en rien résolus. Ainsi donc, après des mois de tergiversations les gouvernements des 27 soutenus par le FMI (Fond Monétaire International, le pompier-pyromane de service) ont-ils accouché d’un accord pour se pourvoir d’outils financiers théoriques afin de protéger l’euro et les pays européens les plus fragiles. Le total des sommes prévues pour défendre l’euro des spéculateurs avoisine les 750 milliards d’euros. Cela sera-t-il suffisant ? L’avenir… et les marchés nous le diront. Pour information, l’ONG Tax Justice Network estime à 11.000 milliards de US$ le montant des fortunes privées placées dans les paradis fiscaux (cfr. l’article du Monde Diplomatique d’avril 2010 dénonçant l’impunité qui prévaut dans la lutte contre la corruption généralisée, sous le titre : « 0,025% de condamnations pour corruption », par Eric Alt). C’est dire où se trouvent les abondantes réserves d’argent bien réel pour les Etats… À une et une seule condition : qu’ils s’unissent dans une même volonté politique d’éradiquer ce vol éhonté et ruineux pour n’importe quelle économie… ce qui ne semble toujours pas à l’ordre du jour, malgré les beaux discours d’une moralisation de la finance. Une fois encore, entre la théorie et la réalité, affaire à suivre…

Mais ce qui n’est pas dit dans ce pitoyable scenario, c’est que ces hordes d’« experts & spécialistes », payés comme des princes, dont il faut rappeler qu’ils sont improductifs aux économies des pays – dans le sens où ils ne créent pas de richesse, de valeur ajoutée – n’ont pas été capables malgré leur surnombre, de surveiller, d’analyser, de comprendre, de pointer et de corriger les manquements, les erreurs et les malversations graves d’un pays dont certains responsables aidés par quelque organisme financier de renom, ont triché pour entrer dans la zone euro…

Et ce qui n’est pas dit dans ce fiasco, c’est que quoi qu’il arrive à la « monnaie unique » ou à certains pays surendettés, ces planqués auront tant gagné pendant les années où ils se sont outrageusement payés avec l’argent public – ou en d’autres mots, avec nos deniers – que peu importe ce qu’il adviendra, ceux-là seront largement à l’abri des crises gravissimes qui pourraient survenir et auxquelles la grande majorité ne pourra faire face…

Et ce qui n’est toujours pas dit à la population pourtant en droit de savoir, c’est que malgré les habituels discours qui lui sont tenus au moment des campagnes électorales ou des crises majeures, rien n’a changé en ce qui concerne les économies parallèles, le laisser-faire en matière de régulation financière, le scandale des bonus et parachutes dorés, et les paradis fiscaux où l’argent est brassé à flots, sans souci pour les banques qui y ont toutes leurs filiales, visibles ou camouflées…

Enfin, ce qui n’est pas dit non plus, c’est qu’encore et toujours, la majorité de ces truands en cols blancs ne seront probablement pas inquiétés pour leurs malversations et fausses déclarations. Ils jouiront comme d’autres avant eux et sous toutes les latitudes, d’une impunité due à leurs statuts passés et à leur fortune, les protégeant de toute poursuite. Ceux-là n’auront peut-être même aucun regret. C’est un sentiment qu’ils ne connaissent plus depuis longtemps. Ces « seigneurs » se sentent intouchables et l’impunité dont ils jouissent n’est pas prête de tomber puisqu’ils sont souvent à la source même des lois protectrices qui les prémunit de ce genre de situation. En revanche, vous et moi, pour un mauvais stationnement, une roue sur un trottoir, une poubelle sortie avant l’heure, un document administratif rentré hors délai, et j’en passe… sommes vidéo-surveillés, rappelés à l’ordre et devons souvent nous acquitter d’amendes ou de poursuites judiciaires bien injustes… pour si peu de choses. Et vous et moi pouvons bien descendre de temps en temps dans la rue pour manifester notre mécontentement face à ce deux-poids deux-mesures, les tenants du pouvoir n’en ont cure, déclarant même sans vergogne à l’image du président français que « dorénavant même quand il y a la grève, plus personne ne s’en aperçoit… »

Dans ces diverses situations survenues à quelques semaines d’intervalle, une constante émerge cependant. Celle des conditions toujours plus précaires de la grande majorité des citoyen(ne)s qui n’ont d’autre choix que de subir les décisions de cette dictature d’« experts & spécialistes » en leurs matières respectives, avec cette conclusion que l’on peut en tirer : que nous sommes vraiment entourés de têtes pleines de certitudes et d’arrogance, mais hélas de têtes rarement bien faites ni à la hauteur des décisions qui s’imposent pour une saine, intelligente et juste gestion de la chose publique!

Ce que les citoyen(ne)s dénoncent, ce n’est pas tant le train de mesures qu’il faut parfois se résigner à prendre face aux difficultés passagères du quotidien, que l’injustice dans la part que chacun y prend, et les inégalités qui en découlent ! Est-ce donc si difficile à comprendre ? Et quoi de plus normal alors que face aux discours officiels qui nous sont tenus et relayés abondamment par les médias sous contrôle, nous restions vigilants, lucides, critiques et préférions la résistance et les alternatives, aux lendemains qui s’annoncent sombres, avant peut-être le délitement final qui risque bien de tout embraser !?

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