Les événements au Honduras ne sont pas isolés mais font partie d’une contre-offensive conservatrice qui se met en place en Amérique latine. Depuis quelques temps, la droite se reconstruit en Amérique latine ; organisant des conférences, partageant leurs expériences, affinant leur message, travaillant avec les médias et nouant des liens avec leurs alliés aux Etats-Unis. Il ne s’agit pas de la frange fanatique mais plutôt de la droite classique avec de puissants alliés dans les classes moyennes et qui se considéraient comme centristes, mais qui ont été effrayées par les récentes victoires électorales de la gauche et la montée de mouvements sociaux. Avec Obama à la Maison Blanche et Clinton au Département d’Etat, ils ont décidé de passer à l’action. Bush, Cheney et compagnie ne leur accordaient pas d’attention et leur étaient inutiles. Mais avec un « libéral » (progressiste, NdT) à la Maison Blanche, les forces conservatrices ont désormais la couverture qu’ils espéraient. Ce n’est pas une coïncidence si l’opposition au Venezuela a applaudi à la nomination de Clinton au Département d’Etat en déclarant qu’ils avaient désormais un allié dans l’administration. L’ancien axiome de la Guerre Froide selon lequel il n’y a pas de meilleur antidote à la gauche qu’un gouvernement libéral à Washington prend une nouvelle signification sous Obama avec Clinton au Département d’Etat.
Les dirigeants du coup d’état au Honduras et leurs alliés cherchent à gagner du temps. Les valses hésitations de Washington leur permet d’épuiser les options, de même que les gouvernements de droite en Colombie, au Mexique, au Panama et au Pérou. Après tout, ce coup d’état ne concerne pas le Honduras mais le succès de la gauche en Amérique latine, dont le Honduras était le maillon le plus faible. Il devient de plus en plus évident qu’il n’y a aucune chance que les élites du Honduras acceptent le retour de Zelaya. Je ne pense pas qu’ils aient de plan « B » et cela en dit long sur les conseils qu’ils reçoivent des forces US dans la région. Si Zelaya revenait, la Cour Suprême, le Congrès, l’armée et l’église perdraient toute crédibilité et son retour ouvrirait la porte aux mouvements sociaux et politiques au Honduras qui feraient pression en faveur d’un changement radical que les forces conservatrices auraient du mal à résister.
Mais le Honduras ne forme qu’une partie de l’équation. La décision de la Colombie d’accepter l’installation d’au moins sept nouvelles bases militaires US (3 bases aériennes, y compris Palanquero, 2 bases navales dont une sur le Pacifique et l’autre sur les Caraïbes, et deux bases de l’armée de terre), étend de manière dramatique l’influence militaire des Etats-Unis dans le pays et dans toute la région. Le Pentagone lorgnait depuis longtemps sur la base de Palanquero qui possède une infrastructure complexe et de longues pistes d’atterrissage. Il s’agit d’un signe trés troublant qui va modifier l’équilibre des forces dans la région et en dit long sur la manière avec laquelle l’administration Obama prévoit de réagir au changements en Amérique latine. Une éventuelle base militaire sur la côte caribéenne de la Colombie offrirait aussi un mouillage commode sur le continent latino-américain à la 4eme Flotte des Etats-Unis qui a été réactivée récemment. En d’autres termes, le Venezuela serait littéralement encerclé. Cependant, le Venezuela n’est pas l’unique objectif. L’Amazonie brésilienne et toutes ses richesses se retrouveraient à portée de l’armée US, de même que les très convoitées chutes de Guarani. Après les critiques publiques de Bachalet au Chili, de Lula au Brésil et de Chavez eu Venezuela, Uribe a refusé de participer le 10 août à la réunion de l’UNASUR, l’Union Sud Américaine, où il aurait eu à s’expliquer sur la présence des bases militaires US. La réunion du Conseil de Sécurité de l’UNASUR devait examiner la question des bases ainsi qu’une proposition de la Bolivie de coordonner la lutte sud-américaine contre le trafic de drogue. Uribe a choisi de se lancer dans une tournée diplomatique personnelle en visitant cinq pays dans la région pour expliquer ses actions. De plus, le Conseiller à la Sécurité Nationale d’Obama, James Jones, se trouve au Brésil pour justifier la position des Etats-Unis sur les bases.
La récente guerre médiatique déclenchée par Uribe contre l’Equateur et Correa, les accusant une fois de plus de financer les FARC et la encore plus récente offensive contre le Venezuela au sujet de missiles suédois vieux de trente ans (il s’agit plutôt de lance roquettes – NdT) qui, tout comme les ordinateurs de Raul Reyes, ne peuvent être éxaminés par un organisme indépendant, ont encombré les ondes au Venezuela, en Colombie et dans la région. La campagne médiatique colombienne actuelle a été précédée par les efforts de Washington de faire condamner le Venezuela pour sa supposée mauvaise volonté à lutter contre le trafic de drogue. De plus, le ministre Israélien des Affaires Etrangères, Avigdor Liberman, a visité l’Amérique latine au mois de juillet en déclarant que le Venezuela constituait une force déstabilisatrice dans la région et au Moyen Orient.
Perdu au milieu de tout ça se trouve le fait qu’Uribe cherche un troisième mandat et son parti a déjà confirmé qu’il militerait pour une réforme constitutionnelle. Ainsi, les conflits avec l’Equateur et le Venezuela servent à réduire au silence les critiques et à maintenir les adversaires politiques d’Uribe à distance. Tout ce qu’il manque c’est qu’Uribe demande à Interpol de vérifier les origines des missiles et au directeur Ron Noble de donner une autre conférence de presse à Bogota. Encore du « déjà vu » !
La droite et ses alliés aux US se sentent aussi enhardis par la victoire électorale au Panama et les réelles possibilités d’une défaite de la gauche cette année au Chili et même en Uruguay. A l’évidence, ils sont encouragés aussi par la défaite humiliante de Fernández / Kirchner en Argentine. Ces développements pourraient redessiner la carte politique de la région. Le président de l’Equateur, Correa, s’est déjà déclaré préoccupé par la possibilité d’un coup d’état contre lui et la Bolivie sera certainement soumise à une forte pression à l’approche de nouvelles élections cette année. Tout ceci alors que les Etats-Unis augmentent leur engagement militaire au Mexique avec le Plan Merida qui cherche à profiter des leçons de la Colombie ; maintenir au pouvoir un président dont la politique économique et sociale est très impopulaire mais qui peut compter sur un conflit, dans ce cas la soi-disant guerre contre les cartels, pour préserver une popularité. Des régions du Mexique sont littéralement sous un état de siège, dont Michoacán, Ciudad Juarez, et Tijuana. Le résultat est une gauche divisée, le PRD fut le plus grand perdant des récentes élections à mi-mandat, et les mouvements sociaux demeurent localisés et incapables de se développer au niveau national.
Il n’y a rien d’irréversible dans ces événements, mais ils indiquent néanmoins que les forces conservatrices en Amérique latine et leur alliés aux Etats-Unis sont en train de mener une contre-offensive concertée qui pourrait augmenter les risques de conflits dans la régiona.
Le Grand Soir - 10.08.09
Sem comentários:
Enviar um comentário