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21/01/2009

Si l’Etat ne peut pas nous sauver, alors il nous faut une licence pour imprimer notre propre monnaie

George Monbiot - The Guardian, mardi 20 janvier 2009 - article original :"If the state can't save us, we need a licence to print our own money"

Dans le roman de Russell Hoban, « Riddley Walker », les descendants de survivants d’un holocauste nucléaire cherchent au milieu des décombres la clé pour retrouver leur civilisation perdue. Ils finissent par être persuadés que la réponse est de réinventer la bombe atomique. Cette histoire m’est revenue à l’esprit lorsque j’ai pris connaissance des nouveaux plans du gouvernement [britannique] pour nous sauver de la crise du crédit. Il a l’intention – aux dépens d’un public estomaqué – de persuader les banques de recommencer à prêter, à des niveaux similaires à ceux de 2007. N’est-ce pas ce qui a déclenché le problème en premier lieu ? Des niveaux insensés de crédit sont-ils réellement la solution à une crise provoquée par des niveaux insensés de crédit ?

Oui, je sais que sans argent il n’y a pas d’entreprises et que sans entreprises il n’y a pas d’emplois. Je sais aussi que la plus grande partie de l’argent en circulation est émise sous forme de dette, au moyen d’une réserve bancaire fractionnelle[1]. Cela signifie que l’on ne peut pas résoudre un problème (le manque de liquidités) sans en provoquer un autre (une montagne de dettes). Il doit y avoir un meilleur moyen que celui-ci.

Je ne suis pas dans mon sujet de prédilection et je m’aventure bien au-delà de mes prérogatives. Mais je veux vous présenter un autre moyen de négocier la crise du crédit, qui ne nécessite aucun risque moral, aucun remède de cheval et aucune dépense publique. Je m’appui, dans ma démonstration, sur l’ancien courtier en devises et banquier central, Bernard Lietaer.

Dans son livre « The Future of Money » [le futur de l’argent], Lietaer fait remarquer – comme l’a fait hier le gouvernement [britannique] – que dans des situations comme celle que nous connaissons actuellement tout s’arrête brusquement à cause de la pénurie de liquidités. Mais il explique également qu’il n’y a aucune raison pour que cet argent doive prendre la forme de la livre sterling ou qu’il soit émis par les banques. L’argent ne consiste qu’à « un accord au sein de la communauté d’utiliser quelque chose comme moyen d’échange ». Ce moyen d’échange pourrait être n’importe quoi, du moment que tous ceux qui l’utilisent ont la certitude que tous les autres en reconnaîtront la valeur. Durant la Grande Dépression, des entreprises aux Etats-Unis ont émis des queues de lapins, des coquillages et des disques de bois comme monnaie, de même que toutes sortes de bons de papier et de jetons de bois. En 1971, Jaime Lerner, le maire de Curitiba au Brésil, a relancé l’économie de sa ville et résolu deux problèmes sociaux majeurs en émettant de la monnaie sous la forme de jetons de bus. Les gens les gagnaient en ramassant et en triant les ordures : nettoyant ainsi les rues et permettant d’effectuer les trajets journaliers pour se rendre au travail. Un tel plan a permis à Curitiba de devenir l’une des villes les plus prospères du Brésil.

Mais les programmes qui se sont révélés les plus efficaces furent ceux inspirés par l’économiste allemand Silvio Gessell, qui est devenu le ministre des finances de la république bavaroise en perdition de Gustav Landauer[2]. Il a proposé aux communautés cherchant à échapper à l’effondrement économique d’émettre leur propre monnaie. Pour décourager les gens de la thésauriser ; il fallait imposer une prime (appelée surestarie), qui a le même effet qu’un intérêt négatif. Le dos de chaque billet devait contenir 12 cases. Pour que le billet reste valable, son détenteur devait acheter un timbre tous les mois et le coller dans l’une des cases. Ce billet serait retiré de la circulation au bout d’un an. Une telle monnaie s’appelle un certificat à timbres : une devise privée qui perd de plus en plus de valeur au fur et à mesure que vous la détenez.

L’un des premiers endroits à avoir expérimenté ce système est la petite ville allemande de Schwanenkirchen. En 1923, l’hyper-inflation avait provoqué une crise du crédit d’une autre sorte. L’ingénieur Hebecker, propriétaire d’une mine de charbon à Schwanenkirchen, avait dit à ces ouvriers que s’ils n’acceptaient pas le certificat à timbres adossé au charbon qu’il avait inventé – le Wara – il serait obligé de fermer ma mine. Il avait promis d’échanger ces certificats, dans un premier temps, contre de la nourriture. Ce système a immédiatement décollé. Il a sauvé à la fois la mine et la ville et il a été rapidement adopté par 2.000 sociétés dans toute l’Allemagne. Mais, en 1931, sous la pression de la banque centrale, le ministère des finances mit fin à ce système, avec des conséquences catastrophiques pour les communautés qui en étaient devenues dépendantes. Lietaer fait remarquer que la seule option qui restait pour l’économie allemande était une planification économique centrale impitoyable. Hitler serait-il arrivé au pouvoir si l’on avait permis au Wara et aux autres systèmes similaires de survivre ?

La ville autrichienne de Wörgl a aussi essayé l’idée de Gessell, en 1932. A l’instar de la plupart des communautés en Europe à l’époque, Wörgl souffrait d’un chômage massif et d’un manque de liquidités pour les travaux publics. Au lieu de dépenser les maigres fonds de la ville pour des nouveaux travaux, le maire les plaça en dépôt pour garantir le certificat à timbres qu’il avait émis. En payant les ouvriers avec cette nouvelle devise, il a pavé les rues, restauré le système d’alimentation en eau et construit un pont, de nouvelles maisons et une piste de saut à ski. Parce qu’ils perdraient rapidement de la valeur, les propres schilling de Wörgl circulaient beaucoup plus vite que la devise officielle, avec pour résultat que chaque unité de devise générait 12 à 14 fois plus d’emplois. Quantité d’autres villes cherchèrent à copier ce programme, au point qu’en 1933, la banque centrale l’a éradiqué. Les ouvriers de Wörgl furent à nouveau jetés au chômage.

Des programmes similaires ont démarré en même temps dans des douzaines de pays. La plupart d’entre eux ont été supprimés (un seul, le système WIR de la Suisse, existe toujours), alors que les banques centrales paniquaient à l’idée de perdre leur monopole sur le contrôle de la monnaie. Roosevelt a interdit les devises complémentaires par un décret présidentiel, bien qu’ils eussent pu offrir un moyen plus rapide, meilleur marché et plus efficace que son New Deal pour sortir les Etats-Unis de la Dépression.

Personne ne suggère de remplacer les devises officielles par des certificats locaux : c’est un système complémentaire, pas une alternative. Lietaer ne prétend pas non plus que ce soit une solution à tous les maux économiques. Mais avant même de considérer comment il pourrait être amélioré au moyen de la technologie moderne de l’information, plusieurs caractéristiques de ce système retiennent notre attention. Nous n’avons pas besoin d’attendre que le gouvernement ou la banque centrale vienne à notre secours : nous pouvons mettre en place ce système nous-mêmes. Il ne coûte rien aux contribuables. Il contourne les banques avides. Il recharge les économies locales et donne aux petites entreprises un avantage sur les multinationales. Il peut être taillé sur mesure aux besoins de la communauté. Il ne nécessite pas – ainsi qu’Eddie George, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, le prétend – qu’une partie du pays soit pressée comme un citron afin que l’autre puisse prospérer.

Ce qui est peut-être plus important, c’est qu’un système de surestarie inverse le problème écologique des taux d’escompte. Si l’on est obligé de payer pour conserver son argent, plus tard l’on reçoit son salaire, plus il a de valeur. Donc, cela a un sens sur le plan économique, en vertu de ce système, d’investir sur le long terme. Alors que les ressources du sous-sol sont un meilleur placement que l’argent déposé à la banque, ce système encourage leur préservation.

Je ne prétends à aucune expertise. Je ne suis pas qualifié pour identifier les défauts de ce système, ni ne prétends l’avoir défendu au mieux. Tout ce que je demande, si vous ne le connaissiez pas auparavant, est de ne pas le rejeter sans en apprendre plus. Tandis que nous sommes confrontés à l’échec du premier programme de subventions bancaires du gouvernement et au coût incroyable du second, n’est-il pas temps de prendre en considération les alternatives ?

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
Notes :
[1] Connu en anglais sous le nom de Fractional Reserve Banking [FRB], ce système permet aux banques d’émettre de la monnaie par l’intermédiaire de prêts, en gardant en réserve une fraction de la monnaie émise. La banque centrale fixe le taux de réserve – il est actuellement de 6% à la Banque Centrale Européenne. Si une personne dépose 1.000 € à sa banque, alors cette dernière peut prêter 1.000 € (et donc émet 1.000 €) pour chaque fraction de 60 € de cet argent déposé. Ainsi, 1.000 € déposés à la banque, puis mis en réserve à la banque centrale, permettent à cette même banque d’émettre 16.666 € de crédit. C’est ainsi que la monnaie est créée par les banques. C’est la monnaie « scripturale » qui se crée par jeu d’écriture. Bien évidemment, si les déposants réclament tous en même temps le remboursement de leurs dépôts ou si la banque ne peut faire face à ses obligations de remboursement, le système capote et c’est l’effondrement financier.
[2] Gustav Landauer, né le 7 avril 1870 à Karlsruhe et décédé le 2 mai 1919 à Munich, était un anarchiste et un révolutionnaire allemand. Il a été impliqué dans la création de la république des Conseils de Munich et y servit en tant que commissaire à l'instruction publique. Landauer est aussi connu pour l'étude et la traduction d'œuvres de William Shakespeare en allemand. (source : Wikipedia)

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