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24/01/2009

Soyons modernes, soyons modérés! - La radicalité n’est plus dans le vent

Luc Rosenzweig

Entre deux râles d’admiration pour le nouveau président des Etats-Unis, les commentateurs habituels ont puisé dans leur sac à clichés quelques adjectifs bien sentis pour définir le style Obama. Modéré, pragmatique, centriste sont les vocables les plus fréquemment employés pour caractériser le discours et le programme du “nouveau locataire de la Maison blanche” comme on dit dans les journaux, à la radio et à la télé. Si nous partons du principe que Barack Obama est perçu comme l’inverse absolu de son prédécesseur George W. Bush (exalté, droitier et idéologue), et que ce dernier incarnait tout ce qui était haïssable dans la gestion américaine des affaires du monde, nous sommes bien partis pour quelques années de moderate attitude.

Dans modéré, il y a “mode”, et cette nouvelle tendance va se traduire dans tous les aspects de la vie, se décliner dans la nourriture, l’habillement, les loisirs, les arts et la culture. Finis le “radical-chic” des bourges à col mao, les expériences gastronomiques extrêmes de la cuisine moléculaire, la déconstruction derridienne et la déstructuration du complet-veston.

Mao (”Feu sur le quartier général !”) sera définitivement remplacé comme icône chinoise par son successeur Deng Xiao Ping (”Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape des souris !”) et le mythe Che Guevara vit ses derniers instants sous les traits de Benicio del Toro filmé par Steven Söderbergh. Les héros populaires de demain ne seront ni tragiques, ni grandioses. Ils auront été prudents, avisés, habiles au compromis et soucieux d’éviter les affrontements inutiles : le prochain blockbuster cinématographique sera la biographie de Tomas Masaryk, tournée en décors naturels dans le vieux Prague. La jeunesse française se précipitera sur les T-shirts à l’effigie de Léon Gambetta et Waldeck-Rousseau, républicains modérés mais pas modérément républicains: ses enseignants, jamais en retard d’une mode idéologique, les auront précédés, comme ils l’avaient fait en adoptant, naguère, le keffieh arafatien comme accessoire de mode branché. L’association des “amitiés Henri Queuille” verra gonfler de manière considérable le nombre de ses adhérents.

Kerensky ressurgira de l’oubli, on exhumera des placards de l’Histoire les martyrs de la modération : Brissot et Vergniaud seront préférés à Danton et Robespierre. On rééditera à des centaines de milliers d’exemplaires la préface de Milan Kundera au roman de Josef Skorecky Miracle en Bohème dans laquelle il définit le printemps de Prague comme une “révolte populaire des modérés au nom du bon sens”, à la différence du Mai 68 français, empreint de lyrisme révolutionnaire et de radicalité rhétorique.

Comme tout phénomène de mode, celui-ci sera victime de la contrefaçon. Ainsi les pays arabes dits “modérés”, comme l’Egypte, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite risquent de devenir les vecteurs d’espoirs de nos concitoyens en mal d’exotisme politique, comme le furent jadis l’URSS, la Chine ou Cuba. Il faudra à ces néo-touristes un certain temps pour constater que sur les libertés publiques, les droits de l’homme et le statut de la femme, les différences entre ces “modérés” et les pays arabes classés parmi les extrémistes ne sautent pas aux yeux.

On se heurte à un problème du même ordre lorsqu’on recherche l’incarnation de la modération dans l’éventail politique français : Bayrou ? Trop teigneux. Royal ? Trop évangéliste. Aubry ? Flirte un peu trop avec la radicalité. Strauss-Kahn ? Trop loin. Sarko ? Trop trop. Comme dirait mon garagiste : “Y’a un créneau !”

Enfin, il ne saurait exister de mode sans blague-culte. Modestement, je propose celle-ci, qui doit être lue avec l’accent traînant de nos amis helvétiques. Deux paysans vaudois labourent leurs champs voisins par une belle journée de printemps. A la pause, ils arrêtent leurs tracteurs et commencent à bavarder.

– Tu vois ce soleil magnifique, ces reflets dans le lac et les cimes enneigées au loin, c’est-y pas merveilleux ?, dit le premier.
– Ben, tu vois, répond l’autre, je serais pas autrement étonné que derrière toutes ces beautés il y ait quelque chose comme un créateur.
Son copain devient grave.
– Tu serais pas en train de tourner fanatique, des fois ?

in Causeur

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