À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

15/01/2009

Soixante ans, ça suffit!


Denis Sieffert

L’histoire se répète. Rappelez-vous Camp David. Nous étions au mois de juillet 2000, et le gouvernement travailliste israélien, dirigé par Ehud Barak, celui-là même qui est aujourd’hui ministre de la Défense, accablait Yasser Arafat de tous les maux de la terre. On avait fait au vieux leader nationaliste une « offre généreuse », on lui avait proposé de « partager Jérusalem » – qui pouvait imaginer dans la culture israélienne concession plus importante ? –, et Arafat avait refusé ! Une extraordinaire campagne de communication sur le thème de « l’offre généreuse » avait alors envahi les médias occidentaux. La formule circulait en boucle, reprise comme une évidence sur toutes les radios et dans la plupart des éditoriaux. Un quarteron d’intellectuels se relayait pour tirer du refus palestinien la conclusion qui s’imposait : si Arafat refusait le « partage de Jérusalem », c’est qu’il ne voulait pas la paix. C’est qu’il ne voudrait jamais la paix. C’est que, derrière ses faux airs de jovialité, il rêvait toujours secrètement de la destruction d’Israël. En quelques semaines, à ce rythme, sous le poids de cette unanimité, Arafat était délégitimé. Et, bientôt, politiquement mort. Mort, d’ailleurs, comme ses bourreaux en communication, les Travaillistes israéliens, contraints par leur propre stratégie de se fondre dans un gouvernement de droite. Septembre 2000 : une simple provocation d’Ariel Sharon se rendant sur l’esplanade des Mosquées, manifestation, répression, et c’était le début d’un cycle de violence extrême qui conduirait en 2002 à l’opération israélienne « Rempart » au cœur des villes de Jénine et de Naplouse.

Une opinion israélienne chauffée à blanc approuvait. La répression ferait, côté palestinien, des milliers de morts. Les infrastructures d’une société à peine naissante seraient dévastées. Qui, derrière la déflagration des bombes israéliennes et des attentats palestiniens, avait prêté attention à cette vérité inaudible qui avait fini par percer : il n’y avait jamais eu « d’offre généreuse » à Camp David, et moins encore de « plan de partage » de Jérusalem ? Des négociateurs, américains d’abord, israéliens ensuite, avaient fini par l’avouer. Arafat avait en réalité refusé d’apposer sa signature au bas d’une nouvelle carte de la région entérinant la colonisation galopante de la Cisjordanie depuis les accords d’Oslo, en 1993, qui pourtant en prévoyaient le gel. Mais l’histoire est une lourde machine qu’on ne détourne pas facilement de son cours quand elle est lancée. Entre-temps, les attentats du 11 septembre 2001 avaient bouleversé le monde. Ariel Sharon s’était empressé de comparer Arafat à Ben Laden. La nature coloniale du conflit s’était dissoute dans le magma de la menace islamiste planétaire. Et le Hamas était renforcé. Pourquoi cette évocation aujourd’hui ? Parce qu’après vingt jours de bombes sur Gaza, après neuf cents morts et des milliers de blessés, nous avons l’impression que l’histoire se répète. Cette fois encore, c’est un effet de communication – pour ne pas dire un « mensonge » – qui a libéré cette vague de violence.

Nous l’avons dit. Nous sommes peu à le dire. Ce n’est pas le Hamas qui a rompu la trêve signée le 16 juin. C’est un raid israélien sur Gaza, le 4 novembre. Ce n’est pas prêter des desseins pacifistes au Hamas que de dire cela. C’est constater que son intérêt politique était ailleurs. Sinon, comment comprendre la façon dont il a traqué les militants du Jihad ou ses propres militants qui refusaient la trêve ? Le Hamas spéculait sur une victoire politique qui se traduirait par un desserrement du blocus. Or, c’est le contraire qui est arrivé. Renforcement du blocus et rupture de la trêve : le gouvernement israélien avait, comme on dit par euphémisme, un « autre agenda », celui de ses propres élections, celui du changement de président américain. Mais, devant le massacre qui s’accomplit, et alors que des ONG dénoncent le crime de guerre d’Israël, que des armes au phosphore sont utilisées contre la population civile, est-il encore temps de ratiociner sur les mécanismes de propagande qui sont à l’origine du crime ? Nous pensons en tout cas qu’il convient de s’interroger sur un discours qui n’est pas seulement celui d’Israël, mais du monde occidental en général, dans lequel le colonisé a toujours tort. Seul ce questionnement pourra nous permettre de renverser une logique mortifère qui juge non en droit mais en regard de la nature supposée, politique, religieuse ou ethnique, du colonisé, et qui exige de lui qu’il cesse de se révolter alors que persistent et s’aggravent les causes de sa révolte.

Dans quelques jours, le plus tôt possible espérons-le, le massacre de Gaza prendra fin. Le « ça suffit ! » que nous hurlons aujourd’hui à la une de ce journal vise d’abord l’opération israélienne. Le nombre des victimes civiles est tel qu’il ne s’agit plus de « dégâts collatéraux », mais de la volonté inavouée de châtier un peuple. Seule une vision coloniale peut rendre ce crime acceptable aux yeux de ceux qui le commettent, comme aux yeux de ceux qui le tolèrent. Mais notre « ça suffit » vise aussi soixante ans de conflit, soixante ans de colonisation, soixante ans de soutien apporté par la communauté internationale au fort contre le faible. C’est avec cette logique qu’il faut rompre. Nous n’avons pas à juger des peuples mais à imposer le droit. Dans quelques jours, il ne s’agira pas seulement de compter les morts. Il s’agira de régler ce conflit au fond, c’est-à-dire par la décolonisation des territoires, la levée du blocus de Gaza, et l’établissement d’un État palestinien. Il ne s’agira pas de relancer un énième « processus de paix », un plan par étapes qui permet toutes les échappatoires, toutes les provocations, pendant que les colonies, qui ruinent l’objet même de la négociation, continuent de s’étendre. Après le massacre, il n’est pas interdit d’espérer que la honte et le changement de certaines conditions politiques favorisent enfin un autre regard.

in Politis

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